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La lente agonie des villages chrétiens de la bande frontalière

L’immense amertume des chrétiens du Liban-Sud

Alors que les villages qui les entourent se reconstruisent, les villages chrétiens de Bint Jbeil ne bénéficient quasiment pas de projets de développement. Faisant toujours l'objet de mandats d'amener à leur encontre, malgré les précédents interrogatoires et séjours en prison, les habitants de ces localités ne parviennent pas à refaire leur vie.

« En 1976, nous avons été livrés à nous-mêmes. Nous n'avions pas le choix. Si nous n'étions pas restés sur nos terres, les Israéliens auraient construit des kibboutzim dans la bande frontalière. Nous avons résisté - en restant sur notre terre - à l'occupation. » Le vice-président du conseil municipal de Aïn Ebel, Youssef  Khreich, ne mâche  pas  ses mots. Et il n'est pas le seul à tenir ces propos.
Ces phrases, on les entend au détour de chaque conversation, à la fin de chaque témoignage donné par des personnes originaires de Debl et de Aïn Ebel, ayant vécu sous l'occupation israélienne.
Désabusés et amers,  nombreux sont ceux, ici, qui disent avec ironie : « Maintenant et à l'avenir nous seront toujours considérés comme des agents israéliens. On n'avait pourtant pas  le choix. » Et ils rappellent que ceux qui avaient travaillé avec les Israéliens sous l'occupation n'avaient pas les moyens de quitter leurs villages pour Beyrouth. Les femmes travaillaient  dans les usines de la Galilée alors que les hommes avaient rejoint les rangs de la milice libanaise pro-israélienne, l'Armée du Liban-Sud.  
En mai 2000, les habitants de la bande frontalière, notamment les chrétiens, ont pris la fuite avec le départ de l'armée israélienne afin de se réfugier en Galilée. À l'époque, quelques jours avant le redéploiement israélien, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait menacé de représailles ceux qui avaient eu affaire aux Israéliens qui contrôlaient la zone. Apeurées, beaucoup de personnes originaires de ces villages étaient donc parties. Un grand nombre d'entre elles n'avaient jamais travaillé au sein de l'Armée du Liban-Sud.
Debl fait partie des villages dont la population est partie en Israël en 2000.  Il compte plus de  4 000 habitants, mais uniquement 1 600 habitent le village tout au long de l'année. En été, ce chiffre atteint les
3 000.
Le président du conseil municipal, Akl Naddaf, indique que « lorsque les Israéliens se sont  retirés de la bande frontalière, environ
1 300 personnes originaires du village ont fui Debl pour partir en Israël. Mais depuis, plus d'un millier  sont  rentrés au village. Actuellement,  il ne reste plus que 250 personnes, hommes, femmes et enfants, qui se trouvent toujours en Israël ».

Impossible réconciliation
Mais il ne suffit pas de rentrer au Liban. Il faut après la prison et les poursuites judiciaires pouvoir se réconcilier avec son pays. Et les habitants chrétiens du Liban-Sud avaient à un moment cru - surtout en rentrant d'Israël - qu'ils pourraient  réaliser  un  rêve  qu'ils  entretiennent  depuis la fin des années soixante : celui d'être des citoyens libanais à part entière, de sentir la présence de l'État libanais dans leur village. En vain.
Akl Naddaf ainsi que Youssef Khreich évoquent avec révolte et amertume la situation des habitants de l'ex-bande frontalière ayant séjourné en Israël et étant retournés au Liban, consacrant leurs économies pour couvrir les frais des avocats et purgeant des peines de prison.
Mais le calvaire ne s'arrête pas à la sortie de prison.
« Jusqu'à présent, beaucoup de ces personnes n'ont pas encore le casier judiciaire propre et il leur est donc quasi impossible de travailler et de bénéficier de la sécurité sociale. Ils ne peuvent pas non plus déposer  une demande pour l'obtention d'un passeport afin qu'ils puissent partir à l'étranger. En outre, ces personnes, même si elles ont purgé des peines de prison, font l'objet de mandats d'amener, explique M. Naddaf. Ainsi, si elles sont, par exemple, victimes d'un incident, elles ne peuvent même pas porter plainte à la gendarmerie qui n'agira pas en leur faveur tout simplement à cause du mandat d'amener à leur encontre », ajoute-t-il.
Il indique qu'avec les présidents des conseils municipaux des villages chrétiens voisins il s'est adressé déjà à tous les responsables, notamment chrétiens, pour que le problème des habitants de ces localités soit réglé. En vain. « Nous voulons que justice soit faite. Des gens avaient été arrêtés sans raison, si leur père ou leurs frères travaillaient avec les Israéliens, ils ont été interpellés et jusqu'à présent ils ne peuvent pas refaire leur vie », ajoute-t-il.
Les  deux  responsables  municipaux  s'insurgent contre le fait que neuf ans après le retrait israélien de l'ex-bande frontalière, l'État n'a rien fait pour aider ces personnes - qui ont payé  des  amendes  et purgé des peines de prison - à mener une vie normale.
Elles vivent toujours dans la précarité. Elles travaillent dans l'agriculture, notamment dans la culture du tabac, ou sont employées en tant que journaliers. Et si elles ont les moyens, elles ouvrent une petite épicerie au village.

Le rôle de l'Église
Les élus municipaux ou les habitants de ces villages ne diront jamais que les personnes restées en Israël ont gardé le contact avec leurs familles au Liban via Internet. Ils soulignent, par contre, que s'ils ont réussi à préserver quelques liens avec leurs bien-aimés restés en Israël, c'est grâce à l'Église, notamment à l'évêque maronite de Haïfa et de Terre sainte, Mgr Paul Sayyah, qui fait le messager entre les familles disloquées.
Livrés à eux-mêmes et se sentant comme des laissés-pour-compte, les chrétiens du Liban-Sud parlent avec amertume de l'Église. Ils auraient souhaité de l'aide financière ou une simple présence. Ce sentiment est devenu plus prononcé après la guerre de juillet 2006, précisément après la reconstruction des villages chiites voisins, une reconstruction parrainée par les pays arabes et l'Iran et encadrée par le Hezbollah.
« Les chrétiens de Beyrouth et du Mont-Liban ne nous soutiennent pas comme ils devraient le faire. Ils ne savent pas ce que c'est d'être minoritaire », indique un homme montrant les minarets de Rcheif, village chiite faisant face à Debl. « Peut-être qu'ils ont compris que l'on ne vivra jamais tranquille sur cette terre, dans nos villages », ajoute-t-il.
Le vice président du conseil municipal de Aïn Ebel souligne de son côté : « Durant la guerre de juillet, je suis resté seul à la maison, j'ai pétri seul du pain et j'ai mangé avec mes voisins. Dans les villages chiites, des cheikhs  venaient régulièrement leur distribuer  du pain. Au village, nous avons reçu la visite de quatre évêques qui n'ont pas pensé amener du pain pour la paroisse. Et Dieu sait si l'on n'avait pas manqué de tout lors de la guerre de 2006. »
Le président du conseil municipal de Debl se demande de son côté pourquoi l'Église n'aide pas les habitants des villages en créant des projets, par exemple. « Dans ces villages frontaliers, nous sommes des laissés-pour-compte, dit-il. Toutes les aides arrivent aux autres villages, qui reçoivent  des dons des soldats de la Finul et de divers donateurs. Nous sommes une minorité dans cette région et personne ne veut nous aider », ajoute-t-il.
De son côté, M. Khreich demande  «pourquoi l'Union européenne, qui est en train de financer des projets dans les villages voisins, n'a pas pensé à mettre en place des projets dans les quatre villages chrétiens de Bint Jbeil ». Et depuis juillet 2006, la différence est de plus en plus prononcée entre ces villages peuplés par une minorité et les autres localités qui les entourent.
Depuis le retrait israélien, les villages chrétiens de la bande frontalière agonisent.
Alors que les villages qui les entourent se reconstruisent, les villages chrétiens de Bint Jbeil ne bénéficient quasiment pas de projets de développement. Faisant toujours l'objet de mandats d'amener à leur encontre, malgré les précédents interrogatoires et séjours en prison, les habitants de ces localités ne...