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La lente agonie des villages chrétiens de la bande frontalière

Depuis sept ans, Malaké vit loin de son mari

Son mari était un soldat dans l'armée libanaise. Originaire de Debl, il travaillait au Mont-Liban  durant les années 70. C'est l'armée qui l'avait muté  au Liban-Sud. Il a donc servi sous le commandement du général Saad Haddad, à partir de 1980.

Malaké n'a pas vu Afif depuis sept ans. Elle avait fui avec lui et leurs quatre enfants en Israël en mai 2000 et elle avait décidé de rentrer au Liban deux ans plus tard, le laissant derrière la frontière.
« Mon mari est soldat dans l'armée libanaise. Il est resté toute sa vie soldat. Jusqu'en avril 2000, alors que la bande frontalière était sous occupation, mon mari a encaissé tous les mois son salaire de l'armée libanaise. Il avait pris sa retraite en 1991 et il encaissait jusqu'en 2000 les indemnisations médicales et les indemnisations scolaires. Comme tous les autres soldats libanais. Jamais ces indemnités n'ont  cessé d'être versées, tous les mois jusqu'en mars dernier », raconte Malaké.
Quand, en mars dernier, elle n'a pas encaissé le chèque, elle s'est rendue au ministère  de la Défense puis au ministère des Finances. « Je voulais savoir pourquoi je n'avais reçu le chèque couvrant les allocations familiales. Une employée de l'administration m'a expliqué : « Ton mari est un agent israélien », raconte-t-elle.   
Malaké répète cette phrase comme pour la retenir, ne pas oublier cette blessure qu'elle porte béante encore depuis mai 2000, quand elle avait été obligée de quitter le pays sans jamais penser un jour qu'elle serait taxée avec les siens « d'agents d'Israël ».
« C'est le ministère de la Défense qui a décidé de bloquer les indemnités de mon mari. Quelle mouche les a piqués maintenant ? C'est maintenant qu'ils se sont souvenus que mon mari a travaillé sous l'occupation ? » se demande-t-elle d'un air désabusé.
Malaké se souvient de son retour au pays après deux ans passés en Israël.  « Je ne suis pas prête, jusqu'à ma mort, d'oublier les humiliations », martèle-t-elle.
Elle se souvient qu'elle avait été interrogée par les services de renseignements à Saïda, puis au ministère de la Défense. À plusieurs reprises. Elle ne parle pas des détails de son interrogatoire, ou des humiliations physiques subies. Elle se contente d'indiquer simplement :  « Ils m'ont posé des questions surtout sur mon mari, mais ils ne l'appelaient pas par son nom ou par ton époux, ils le désignaient par "le chien". »
« Et ben, ce chien a servi dans l'armée libanaise et ce n'est pas lui qui avait demandé, en 1980, à être transféré au Liban-Sud, quand Saad Haddad était en charge de l'ALS », s'exclame-t-elle.

Marginalisés
Jusqu'à présent, Malaké a un seul regret, c'est le même qu'elle avait quand on l'interrogeait au ministère de la Défense. « Je n'aurais jamais  dû rentrer au pays. Je n'aurais jamais dû quitter mon mari. Il est fatigué et malade. Quand nous vivions ici sous occupation israélienne, nous pensions que notre État était clément. Mais là, ce n'est pas le Liban dont nous avions rêvé, c'est l'enfer », souligne-t-elle.
En prenant la décision de rentrer au Liban, en 2002, Malaké a surtout pensé à ses enfants. « Ils sont nés au Liban, ils doivent donc grandir dans l'ambiance du pays. J'étais contente et fière d'être libanaise ; je n'ai jamais su que mon pays me traiterait ainsi », dit-elle.
« Il faut que l'on comprenne, une fois pour toutes, que pour notre État, nous sommes des chiens. Ils me l'ont bien dit quand ils m'interrogeaient au ministère de la Défense », déplore-t-elle.
Malaké est triste et fatiguée. Elle a perdu l'espoir, celui notamment de voir sa famille réunifiée. Elle indique : « On ne vit qu'une seule fois, pourquoi faut-il tant souffrir ? Mes enfants n'ont pas vu leur père depuis sept ans et mes petits-enfants ne le connaissent pas. Ici, dans cette zone où les chrétiens sont minoritaires, nous sommes marginalisés. »
Darine est la fille de Malaké et de Afif. Elle était partie avec sa famille en Israël, mais elle est rentrée avant sa mère et ses frères et sœurs au Liban.
En mai 2000, elle était fiancée à un jeune homme originaire de Debl. Lui aussi avait décidé de partir en Israël. Quelques mois plus tard, ils se sont mariés dans une église maronite de Haïfa. C'était le premier mariage célébré au sein de la communauté libanaise en Israël.
Darine a accouché d'une fille en Israël. Quelques mois plus tard, elle a décidé de rentrer au Liban avec son mari.  « Ma fille n'avait pas de papiers quand je suis arrivée au Liban, mais un avocat avait réglé l'affaire. Mon mari a été emprisonné dès notre arrivée. Il est resté huit mois en prison », raconte-t-elle.
« Quand je suis rentrée, le village était encore vide. J'ai habité chez mes beaux-parents. En fait, j'ai habité avec mes belles-sœurs et ma belle-mère parce que tous les hommes de la maison étaient soit en Israël soit en prison », ajoute-t-elle. Elle se souvient, non sans amertume, de la réaction de sa fille quand son mari est sorti de prison. C'était une enfant, elle ne le connaissait pas. À chaque fois qu'il la prenait dans ses bras, elle se mettait à pleurer.
Darine voit actuellement son mari en week-end et les jours fériés. Elle vit au village alors que son mari travaille à Beyrouth où il loue une chambre avec d'autres jeunes hommes du village qui travaillent comme lui dans la capitale et qui ne rentrent chez eux qu'en week-end.
«L'État ne veut pas de nous. Ici les Syriens, les Égyptiens et les Palestiniens trouvent du travail, mais non  pas les journaliers libanais. Si seulement on pouvait quitter le pays pour de bon », souligne Darine en conclusion.
Son mari était un soldat dans l'armée libanaise. Originaire de Debl, il travaillait au Mont-Liban  durant les années 70. C'est l'armée qui l'avait muté  au Liban-Sud. Il a donc servi sous le commandement du général Saad Haddad, à partir de 1980. Malaké n'a pas vu Afif depuis sept ans. Elle avait fui avec lui et...