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Lifestyle - Objets et histoire

À quand le prochain Grenelle ?

Chaque pays a ses expressions politiques obscures, qu'on ne peut pas comprendre sans quelques références historiques. Aux États-Unis, le suffixe gate désigne un scandale d'État, en référence à l'affaire du Watergate: Irangate, Monicagate... En France, on utilise le terme de Grenelle pour désigner une grande négociation politique qui réunit le gouvernement et des représentants de la société civile : le Grenelle de l'insertion, le Grenelle de l'environnement... Pourquoi ?
Jusqu'au XIXe siècle, Grenelle était un sympathique village des environs de Paris. En 1860, il fit partie des communes périphériques annexées à la capitale par le baron Haussmann. Pour ceux qui connaissent Paris, son territoire correspond aujourd'hui à une partie du XVe arrondissement, le quartier de Beaugrenelle. Ce village était relié à Paris par la rue de Grenelle, qui existe toujours. Aujourd'hui, c'est l'artère des beaux quartiers : elle part de Saint-Germain-des-Prés, passe devant les Invalides et arrive près du Champ-de-Mars, à deux pas de la tour Eiffel. La densité d'hôtels particuliers y est assez élevée. L'un d'eux abrite depuis 1905 le ministère du Travail. On touche au but... Car c'est dans ce ministère qu'a eu lieu en mai 1968 une réunion fondamentale dans l'histoire contemporaine française.
Nous sommes en mai 68. La France, comme d'autres pays, est alors agitée par le grand mouvement de protestation étudiante que l'on sait, mouvement auquel se joignent bientôt les ouvriers. C'est la crise, la « chienlit », comme disait de Gaulle. Le pays est au bord de la rupture. Dépassé, le gouvernement cherche une sortie. Il convoque au ministère du Travail des représentants syndicaux et patronaux. Après deux jours de débats, un accord est trouvé, qui porte notamment sur des augmentations de salaire. En référence au nom de la rue, on parle des « accords de Grenelle ». Dans la foulée, mai 68 s'essouffle.
Depuis, le terme de « Grenelle » est devenu une sorte de formule magique. Un problème, une crise, un mouvement, un appel à la révolution? Pas de panique ! Organisons un Grenelle ! Réunissons tous les gens concernés - l'État, les associations, les syndicats, les ONG... -, discutons et trouvons une solution. Un système de santé en crise ? Grenelle de la Santé ! Trop d'exclus dans la population ? Grenelle de l'insertion ! La planète va mal ? Grenelle de l'environnement ! Pas un mois ne passe sans qu'un quelconque responsable, de droite, de gauche ou du centre, n'appelle avec solennité à un Grenelle de ceci ou de cela.
Bon, évidemment, les débats ne règlent pas toujours tout. Et en cas de déception ou de désaccord, il se trouve toujours un esprit frondeur pour réclamer un « second Grenelle » ou un « contre-Grenelle »... Mais qu'importe : tant qu'il y a du Grenelle, c'est qu'on peut discuter. Et puis, c'est une invention bien française dont aucun pays ne peut s'emparer : seule Paris a une rue de Grenelle !
L'ironie dans tout ça, c'est que le Grenelle originel, celui de mai 68, ne fut en fait qu'un demi-succès. Les fameux accords ne sont qu'un facteur parmi d'autres de la sortie de crise. Ils ont été plutôt mal accueillis sur le coup par la base des ouvriers. Quant aux augmentations de salaire obtenues ce jour-là, elles ont été vite absorbées par l'inflation des années 1970. Scandaleux, dites-vous ? Il est urgent d'organiser un nouveau Grenelle !
Chaque pays a ses expressions politiques obscures, qu'on ne peut pas comprendre sans quelques références historiques. Aux États-Unis, le suffixe gate désigne un scandale d'État, en référence à l'affaire du Watergate: Irangate, Monicagate... En France, on utilise le terme de Grenelle pour désigner une grande...

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