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Liban

Les immigrants libanais sous enquête au Canada

Lorsqu'un immigrant quitte le sol canadien, il n'est soumis à aucun contrôle. De même, lorsqu'il rentre au Liban, un immigrant libanais peut ne pas faire tamponner son passeport à la Sûreté générale.

Aidés par un consultant libano-canadien, nombre d'immigrants libanais au Canada ont pris avantage de ces failles du système dans l'objectif d'obtenir la citoyenneté canadienne tout en demeurant au Liban. Une fraude apparemment massive qui fait l'objet d'une enquête au Canada et plus particulièrement au Québec.

 

 

Tout a éclaté au grand jour lorsque le ministère du Revenu du Québec a annoncé le 21 janvier 2009 avoir exécuté huit mandats de perquisition dans les régions de Montréal et de Laval, dans les locaux d'une société de consultants en immigration appartenant à un Libanais d'origine, dont nous tairons le nom. Cette entreprise est membre de la Société canadienne de consultants en immigration (SCCI), elle est donc habilitée à représenter des immigrants auprès du gouvernement et à s'occuper de leurs dossiers, au même titre que les avocats du barreau ou les membres de la Chambre des notaires du Québec.
«Revenu Québec », qui mène son enquête policière depuis 2007 avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC), soupçonne la société d'avoir « produit, avec la complicité de son administrateur et de ses employés, de fausses déclarations de revenus pour des citoyens non résidents du 1er décembre 2004 jusqu'à ce jour ». « Revenu Québec » croit également « que la société aurait mis en place un stratagème sophistiqué permettant à des étrangers de cumuler de fausses preuves de résidence et de présence pour faire croire aux autorités gouvernementales qu'ils étaient des résidents du Québec ». Ces étrangers pouvaient, par le biais de ce stratagème, « obtenir frauduleusement le bénéfice de certains programmes gouvernementaux, dont les crédits d'impôts pour frais de garde d'enfants, des remboursements d'impôts fonciers et des paiements de soutien aux enfants », selon le communiqué du ministère. « Revenu Québec » estime, de plus, que ce stratagème aurait permis à la société d' « encaisser des revenus de plus de 14 millions de dollars », alors qu'elle « en aurait déclaré moins de deux millions » au fisc.

Des avantages auxquels ils n'ont pas droit
Cette information a fait boule de neige. L'importante quantité d'informations et de documents saisis lors des perquisitions laissait comprendre que le consultant inventait une vie fictive à des immigrants libanais au Québec résidant au Liban, dans l'objectif de leur obtenir la citoyenneté canadienne. Selon le quotidien montréalais La Presse, se basant sur le rapport de perquisition, un des partenaires du consultant concerné « avait inscrit 14 clients comme résidant dans son appartement». Le quotidien ajoute que « lors de la perquisition, une employée avait sur elle de nombreuses cartes de débit destinées à faire des transactions pour laisser croire que les détenteurs étaient au Canada ». Ces immigrants libanais semblaient aussi profiter illégalement d'avantages sociaux considérables, notamment de la carte « soleil » d'assurance-maladie ou d'allocations familiales. Des avantages auxquels ils n'ont pas droit s'ils ne résident pas au Canada, mais qui leur servaient plus à confirmer leur présence sur le sol canadien qu'à recevoir des soins ou des allocations.
Alertés, de nombreux organismes du Québec et du gouvernement fédéral du Canada ont entamé, de leur côté, des enquêtes ou des vérifications, notamment le ministère de l'Immigration, appelé communément Citoyenneté et immigration Canada (CIC), la Régie de l'assurance-maladie du Québec (RAMQ), la Régie des rentes du Québec (RRQ), ainsi que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui mène l'enquête pour tel ou tel organisme.
Contactée par L'Orient-Le Jour, CIC a refusé de commenter l'enquête. L'organisme fédéral affirme cependant, par le biais de son porte-parole, Jacqueline Roby, que « la loi sur la citoyenneté comporte des dispositions visant à inculper quiconque a fait de fausses déclarations, commis une fraude ou dissimulé intentionnellement des faits essentiels ». Elle précise que les cas de fraude sont transmis pour enquête aux entités d'exécution de la loi, comme la GRC, et que ces entités peuvent « porter des accusations » et « prendre des mesures d'exécution ».
CIC ajoute qu' « il est possible de révoquer la citoyenneté d'une personne ayant fait de fausses déclarations la concernant, ayant commis une fraude, ou dissimulé des faits essentiels lors de sa demande de citoyenneté ou de résidence permanente ». Elle précise, aussi, que « le gouvernement cherche actuellement des façons de régler la question importante des consultants frauduleux ». L'organisme assure enfin que « personne n'est tenu d'avoir recours aux services d'un représentant » et que « le gouvernement du Canada traite chaque personne de manière impartiale, qu'elle ait recours ou non aux services d'un représentant ». Mais CIC n'explique pas pourquoi, à la sortie du territoire canadien, aucun tampon n'est apposé sur le passeport de l'immigrant, mesure qui limiterait la fraude, indubitablement.

Une affaire majeure
De son côté, la GRC a indiqué à L'Orient-Le Jour, par le biais du relationniste de presse, le sergent Greg Cox, qu'elle « a pour politique de ne pas confirmer ni nier le sujet ou l'objet éventuel d'une enquête. Autrement, elle risquerait de violer le droit à la vie privée des personnes touchées directement ou indirectement par l'enquête et de compromettre l'intégrité d'une enquête en cours ». Également contacté, le porte parole de la RAMQ, Marc Lortie, a précisé que « l'enquête avance, mais n'est pas terminée », tout en nous conseillant de consulter le communiqué officiel de la Régie, publié le 23 janvier 2009. Un communiqué qui affirme que « la RAMQ mène depuis quelques mois une enquête auprès de personnes potentiellement impliquées dans un subterfuge sophistiqué qui aurait été mis en place par un consultant en immigration en vue de faire croire qu'elles étaient des résidentes du Québec ». Le communiqué ajoute que « lorsque la Régie constate qu'une personne a obtenu une carte d'assurance-maladie et qu'elle a reçu des soins de santé alors qu'elle n'y avait pas droit, cette personne perd son admissibilité à l'assurance-maladie et se voit réclamer les sommes que la RAMQ a dû payer pour les soins reçus ».
L'Orient-Le Jour s'est aussi adressé au porte-parole de la RRQ, Herman Huot, qui a indiqué que c'est suite à une alerte de la RAMQ que l'organisme procède à des vérifications de dossiers, concernant les rentes de retraite et les allocations familiales aux enfants. M. Huot estime que « l'affaire est considérée comme majeure étant donné les ministères et organismes qui pourraient être affectés et les nombreux avantages que peut donner le fait d'être reconnu résident québécois, comme le droit aux prestations du régime de rentes et du soutien aux enfants ». Il souligne que « des personnes ne vivant pas au Québec obtiendraient ainsi les mêmes avantages que si elles résidaient au Québec douze mois par an ». Des avantages qu'il qualifie de « considérables ».
Nous avons, enfin, contacté Revenu Québec qui a précisé qu'il fallait s'en tenir au communiqué de presse publié en janvier. La conseillère en communication du ministère, Linda Di Vita, a ajouté que « l'enquête suit son cours » et qu' « aucune accusation n'a encore été déposée ». Quant à Revenu Canada, autrement dit le ministère national du Revenu, il n'a pas donné suite à notre demande d'information.

Un seul pschhh et devenez canadien !
De son côté, la SCCI mène aussi l'enquête, car « elle a le devoir de vérifier les allégations contre un de ses membres », souligne Patrice Brunet, directeur d'intérêt public de la société. Il précise que « la mission de la SCCI consiste à s'assurer que le code de déontologie est respecté par ses membres et à protéger les clients de ces derniers ». Observant que le consultant qui fait actuellement l'objet d'une enquête « exerce toujours en conformité avec le code de déontologie, car il est présumé innocent », M. Brunet affirme qu'en cas de fraude grave, un consultant risque de perdre son titre et d'être radié de la SCCI. Soucieuse de protéger les intérêts des immigrants, la société a lancé, en mars dernier, une campagne publicitaire à caractère sarcastique, intitulée « Un seul pschhh et devenez canadien », visant à sensibiliser sur le sujet de la fraude en matière d'immigration.
L'affaire est grosse, sans aucun doute. Il reste toutefois difficile, à l'heure actuelle, de connaître l'ampleur du processus enclenché, vu la grande frilosité des autorités fédérales et provinciales à donner la moindre information sur le sujet, tant que l'enquête se poursuit. Le sujet semble également tabou au niveau de l'ambassade et du consulat du Canada à Beyrouth qui ont préféré ne pas se prononcer sur le sujet.
Le sujet risque de faire des vagues, d'autant que nombre d'immigrants libanais au Canada n'ont pas arrêté de se vanter, au fil des années, d'avoir obtenu la citoyenneté canadienne en contournant le système de diverses manières et avec la complicité de la Sûreté générale libanaise. « Nous facilitons la tâche aux immigrants libanais au Canada et aux États-Unis, afin qu'ils obtiennent leur citoyenneté », affirme à ce propos un agent de la Sûreté générale à l'aéroport. « Nous ne tamponnons pas leur passeport, mais une feuille volante », ajoute-t-il, précisant que « la SG a recours à ce procédé auprès d'une quinzaine d'immigrants environ, chaque jour ». « Un procédé totalement légal », estime-t-il. Mais un procédé que le ministre de l'Intérieur, Ziyad Baroud, ne commentera pas, malgré nos appels répétés.
L'affaire est-elle liée aux sommes faramineuses (94 millions de dollars canadiens) payées par le Canada pour le rapatriement des 15 000 immigrants libanais lors de la guerre de 2006 ? Serait-elle aussi liée au fait que les autorités canadiennes ont découvert que de nombreux immigrants se trouvaient à ce moment au Liban, alors qu'ils étaient supposés résider au Canada ? Les Libanais en sont convaincus, mais il semble que ce ne soit pas le cas. « L'enquête n'a rien de politique, elle est purement judiciaire et a été déclenchée par des preuves bien concrètes », selon une source digne de foi. Dans l'attente des résultats, tous les Libanais du Canada sentent aujourd'hui le poids de cette enquête. « Nous sommes stéréotypés, ils nous considèrent tous comme des fraudeurs », déplore un consultant libano-canadien, installé et exerçant depuis 20 ans au Canada. Affaire à suivre...

Aidés par un consultant libano-canadien, nombre d'immigrants libanais au Canada ont pris avantage de ces failles du système dans l'objectif d'obtenir la citoyenneté canadienne tout en demeurant au Liban. Une fraude apparemment massive qui fait l'objet d'une enquête au Canada et plus particulièrement au Québec.
 
 
Tout a éclaté au...

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