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Liban

Pris dans l’engrenage, ils témoignent

Les immigrants libanais du Canada, et plus précisément du Québec, sont inquiets depuis le lancement de l'enquête sur le consultant libanais. Car elle touche tous ceux qui ont fait appel aux services de ce bureau de consultation pour obtenir leur citoyenneté.
Chaque immigrant libanais qui a eu affaire au consultant sous enquête, qu'il ait ou non manipulé ses dates de résidence au Canada, est sur des charbons ardents. Car il trouve vexants ces interminables interrogatoires menés par Citoyenneté et immigration Canada (CIC), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ou la Régie d'assurance-maladie du Québec (RAMQ). Il craint d'être la victime de cette enquête et de voir sa demande de citoyenneté rejetée ou retardée. De nombreux dossiers de citoyenneté attendent depuis plusieurs années, alors qu'une demande de citoyenneté aboutit normalement au bout de 13 à 16 mois. Des demandes de renouvellement de cartes d'assurance-maladie sont refusées, en attendant la fin de l'enquête. De même, des cartes de résidence permanente ne sont pas renouvelées et des immigrants se voient privés de quitter le sol canadien, car ils ne pourraient plus y retourner sans cette carte. Certains ont obtenu leur citoyenneté juste avant l'enquête. D'autres, pris dans l'engrenage de la fraude, doivent se résoudre à tout abandonner.

Des demandes de citoyenneté en attente
« Ce consultant a fait à la communauté libanaise ce que le 11 septembre a fait aux Arabes. Ce sont les termes exacts employés par un inspecteur de la GRC, lors d'une enquête auprès de notre famille à Montréal », rapporte Joseph, un immigrant libanais (tous les noms seront changés, pour respecter l'anonymat). Vu la grande discrétion des autorités canadiennes concernant l'enquête, et leur refus absolu de révéler la moindre information, cette seule phrase prouve à quel point elles semblent déterminées à aller de l'avant pour démasquer la fraude, là où elle se situe.
« Faut-il pour autant mettre tous les Libanais dans le même sac ? Pourquoi les autorités n'ont-elles pas sévi plus tôt ?» demande Joseph, convaincu que la majorité des immigrants libanais veulent s'établir au Canada. Car l'homme et sa famille, bien qu'installés depuis 2002 sur le sol canadien, attendent toujours d'obtenir leur citoyenneté. « En juin 2006, l'immigration m'a confirmé que notre dossier était bon et qu'il prenait son tour », se rappelle Joseph. Mais en mars 2007, alors que rien n'avance, le père de famille décide de demander conseil à un consultant réputé auprès de la communauté libanaise. « Je suis allé voir ce consultant, je voulais juste savoir pourquoi notre dossier n'avait pas abouti et s'il existait un moyen légal de faire avancer les choses. J'ai déboursé 1 500 dollars, mais n'ai jamais rien reçu en contrepartie. Ce consultant est d'ailleurs aujourd'hui sous enquête », déplore-t-il. Depuis, chaque membre de la famille est longuement questionné par la CIC à chacune de ses entrées sur le territoire canadien. Ils ont également dû se plier aux longs interrogatoires de la RAMQ et de la GRC. Même si les autorités continuent de rassurer la famille sur la recevabilité de son dossier, il n'empêche qu'elle commence à trouver que les choses traînent en longueur et qu'elle se sent bel et bien victime des pratiques frauduleuses de certains.

Des cartes d'assurance-maladie non renouvelées
Maya considère également que sa famille est victime de l'affaire. Pour sa demande de citoyenneté, présentée début 2008, la famille avait fait appel au consultant libanais. Elle est aujourd'hui sous enquête, des papiers la concernant ayant été saisis par les enquêteurs, lors de la perquisition du bureau du consultant. « La carte d'assurance-maladie d'un des membres de la famille n'a pas été renouvelée », raconte Maya. « Nous résidons pourtant au Québec depuis la mi-2004 et avons droit à cette carte », dit-elle. Elle-même se demande si sa carte de résident permanent, qui arrive bientôt à échéance, le sera. Convaincue que cette enquête dépasse le cadre de l'assurance-maladie, Maya raconte comment les membres de la famille ont reçu l'ordre de se présenter, à tour de rôle, à la RAMQ avec toutes les preuves de résidence. « On nous a posé des questions très personnelles et très minutieuses concernant nos projets d'avenir, l'emploi de temps de mon mari et celui de mes enfants », dit-elle. Maya se dit humiliée. « Les enquêteurs semblaient constamment remettre en question nos propos. Ils demandaient à mes enfants avec insistance des informations. Pourquoi seuls les clients de ce consultant font-ils l'objet d'une enquête, alors que rien n'a changé pour les autres ? » demande-t-elle enfin.

Pris en otages
À l'humiliation, s'ajoute la colère de certains, contre les autorités canadiennes et contre le consultant concerné. « Ces autorités sont très laxistes, mais ne comprennent pas que les gens prennent avantage du système », note Leila, une mère de famille qui vit à Montréal et qui a aussi eu affaire au consultant libanais. « Rien de tel ne serait arrivé si les passeports étaient tamponnés à la sortie du Canada », ajoute-t-elle, convaincue que la demande de citoyenneté de sa famille sera retardée par cette enquête. « La RAMQ veut prouver que nous n'habitons pas le Canada. Elle estime que nous sommes coupables et que nous devons prouver notre innocence. Elle nous a avertis que nos cartes d'assurances ne seront pas renouvelées », lance-t-elle. De même, des personnes proches de Leila résidant au Québec n'ont pas réussi à renouveler leurs cartes de résidents permanents. « Ces personnes sont sous enquête. Elles sont prises en otages et ne peuvent pas quitter le Canada », affirme-t-elle. Le coup de gueule de Leila est aussi dirigé contre le consultant libanais à l'origine de l'enquête. « Il a tout fait pour que les Libanais puissent tricher à travers lui », observe-t-elle, précisant que le consultant se faisait verser régulièrement des sommes plus ou moins importantes. « Certes, les immigrants savaient qu'ils trichaient, poursuit-elle, mais ce consultant est à blâmer parce qu'il disait à ses clients de ne pas s'en faire, leur assurant que les autorités n'étaient pas regardantes ». Leila accuse aussi le bureau du consultant d'avoir « sciemment omis » de donner certaines informations utiles à ses clients, comme le fait qu'ils avaient le droit de s'inscrire en tant que non résidents et de revenir s'établir deux ans plus tard. « Le problème est que les services de ces professionnels de l'immigration sont indispensables », estime Leila, « ce sont les seuls à pouvoir aider les immigrants qui viennent d'une autre culture, car les formalités sont longues et nécessitent beaucoup de recherches ».

Tout arrêter plutôt que de mentir
Des familles s'accrochent et optent pour l'attente. D'autres flanchent et décident de jeter l'éponge, plus particulièrement celles qui résident au Liban. « Lorsque j'ai appris que le consultant auquel j'ai confié mon dossier d'immigration, il y a quatre ans, a loué mon appartement en même temps à une autre famille, j'ai commencé à avoir des doutes », raconte Ziyad. « Lorsque ce consultant a été placé sous enquête, j'ai réalisé que tout cela n'était que du bluff, d'autant que je n'ai rien obtenu de ce qu'il m'a promis. J'ai été induit en erreur, malmené et ne veux plus avoir affaire à lui », dit-il. Ziyad affirme qu'il s'est contenté de faire le landing au Canada (l'admission de l'immigrant ou sa première arrivée) et de ramener sa famille au Liban, où il a ses affaires. Ziyad croyait sincèrement que l'opération n'avait rien d'illégal.
« Le consultant m'avait assuré qu'il s'occupait de tout et que je ne devais pas m'en faire, parce que le gouvernement canadien fermait les yeux », raconte-t-il. Mais aujourd'hui, après avoir été contacté par la GRC depuis l'ambassade du Canada à Beyrouth, Ziyad a décidé d'arrêter tout le processus d'immigration de sa famille. « Je ne veux pas mentir, ni être hors la loi », dit-il fermement. « J'ai d'ailleurs répondu honnêtement aux questions que les enquêteurs m'ont posées par téléphone ». Quant à l'argent qu'il a payé au consultant, soit 75000 dollars de droits d'investisseur (qui devraient avoir été payés au gouvernement canadien), et 4500 dollars d'émoluments, il craint qu'ils ne soient partis en fumée.  
Dans cet état des lieux, les immigrants qui ont obtenu leur citoyenneté par l'intermédiaire du même bureau de consultants font profil bas, même s'ils sont convaincus que les autorités canadiennes ne remonteront pas la filière indéfiniment. « Jusqu'où vont-ils remonter ? Sont-ils prêts à débourser des sommes importantes d'argent ? » demande Michèle, qui a reçu sa citoyenneté au moment où l'enquête démarrait. Elle ajoute que de nombreux immigrants ont fraudé, sans avoir nécessairement eu recours au bureau du consultant sous enquête. Elle ajoute qu'il y a quelques années, les choses étaient encore plus simples, car les immigrants se contentaient de faire le « landing » au Canada et de revenir vivre au Liban. « Mon beau-frère a obtenu sa citoyenneté sans avoir résidé un seul jour au Canada », affirme-t-elle. Michèle non plus n'a pas résidé au Canada le temps nécessaire, contrairement à d'autres membres de sa famille qui y sont installés. « Il suffit d'avoir un appartement, des factures d'électricité et des preuves de résidence », dit-elle. Elle raconte que personne ne lui tamponnait le passeport, à sa sortie du territoire canadien et comment, lorsqu'elle rentrait au Liban, la Sûreté générale tamponnait juste un papier rose, lorsqu'elle montrait sa carte de résident. Michèle vit aujourd'hui au Liban, mais elle a rendu sa carte d'assurance médicale. « J'ai déclaré que je suis non résidente », dit-elle simplement.
Chaque immigrant libanais qui a eu affaire au consultant sous enquête, qu'il ait ou non manipulé ses dates de résidence au Canada, est sur des charbons ardents. Car il trouve vexants ces interminables interrogatoires menés par Citoyenneté et immigration Canada (CIC), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ou la Régie d'assurance-maladie du...

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