Lumières indirectes pour les voûtes des galeries du Cloître où s'installe une première moitié de spectateurs. Nous sommes sur la « rive arabe ». De l'autre côté des jardins, sous la voûte étoilée de l'église, c'est la « rive grecque ». S'y installe l'autre moitié des spectateurs. À l'entracte, on change de rive, mais change-t-on pour autant d'humanité ? Que l'on soit d'une rive ou de l'autre, il y a toujours un autre - si différent et pourtant si semblable.
Côté arabe, douze choristes, un guitariste et un percussionniste. Des mots - plutôt des sons - jaillissent, syncopés, hachés, « mitraillés ». Les mots - utilisés pour leur sonorité plus que pour leur sens - émergent d'une sorte de chaos phonétique. Les voix se répondent, dans une sorte d'échange guttural, instinctif. Au fur et à mesure des mouvements, les choristes changent de rive. Les uns après les autres, ils passent de l'autre côté. Adoptent une autre langue. Se départissent d'une peau pour en revêtir une autre. Mais, au bout du compte, peu importe la langue ou la peau, c'est une même violence qui suinte. Et à chaque passage de choriste, d'un lieu vers l'autre, tonne un cri rauque, comme une plainte sortie du plus profond de la terre. Un appel à ce qu'il y a de plus primitif en nous, de plus instinctif... Ce lien sauvage et viscéral qui relie, inévitablement, une rive à l'autre.
On se laisse envoûter par la puissance de l'ensemble vocal ânonnant une série ininterrompue de borborygmes, de fragments de mots à la sonorité brute, basique.
Côté grec, la même pièce se déroule à l'envers. Un choriste commence seul à chanter le 1er mouvement. Au fur et à mesure que les choristes arrivent les uns après les autres, ils reconstituent un chœur, qui concentre une nouvelle énergie... à la combativité guerrière. Chaque voix qui vient s'ajouter aux autres leur fait écho, augmentant ainsi la puissance du groupe. Le tout rythmé par un cymbalum précis et des percussions
puissantes.
L'Autre rive est né d'un questionnement d'enfant pris sous les bombardements et qui s'interroge : « Et si j'étais né de l'autre côté ? » Un questionnement qui obsède et déborde. Pour finir en amer constat : « L'autre rive est ici, elle renvoie à notre propre solitude une fois que le groupe se défait, jusqu'à la perte de soi, explique Zad Moultaka dans la brochure du festival. De l'autre côté, on part de sa propre solitude pour rejoindre les rangs du groupe jusqu'à l'aveuglement. »