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Législatives : juin 2009 - Tout le monde en parle - Les échos de l’agora

Victoire paisible de la démocratie

« La ville attend le viol, vêtue de marbre et parée d'or. Avec, au front de ses palais, un diadème de corbeaux. » C'est ainsi que Beyrouth a attendu durant de si longues années jusqu'à ce dimanche 7 juin 2009 où le peuple libanais a mis fin, de manière inattendue, au viol perpétuel de sa capitale. L'issue du récent scrutin des législatives est beaucoup plus qu'une victoire ou une défaite électorales. C'est infiniment plus qu'un événement important de la lutte légitime pour le pouvoir, engagée par les forces en présence. L'événement se situe à des années-lumière du caractère crucial, déterminant, vital, qu'on a voulu lui reconnaître. Le suffrage universel s'est bel et bien prononcé mais, ce faisant, il a changé non la couleur du ciel de Beyrouth mais l'univers mental du peuple libanais. Le Liban d'après le 7 juin 2009 vit dans un autre monde que celui d'avant la même date.

Symbolique d'un scrutin
L'enjeu symbolique des élections s'appelait Beyrouth. À qui la Ville-Mère-des-Lois allait-elle échoir ? Au peuple du Liban assoiffé d'urbanité, de civilité, de vie paisible ? Ou bien aux forces « poliorcétiques », c'est-à-dire spécialistes de cet art militaire qui consiste à assiéger une cité, la morceler par des clôtures, la territorialiser, avant de pratiquer le viol répétitif de son espace ?
La mobilisation éperdue et massive de son peuple a permis à Beyrouth de repousser l'assaillant. C'est dans la première circonscription de Beyrouth que le verdict des urnes prend toute l'ampleur de sa valeur symbolique. C'est à Achrafieh que la vraie défaite du camp « poliorcète » a eu lieu, au même titre que c'est au Kesrouan que le même camp « poliorcétique » et « urbicide » a maintenu ses positions les plus irréductibles et les plus grégaires. Achrafieh : la logique de la ville et de l'urbanité. Kesrouan : la logique des territoires, des clôtures et des enclos.
Mais que s'est-il passé ? « On a gagné, on vous a eus », disent les uns. « Vous n'avez rien gagné, nous continuerons à vous avoir à partir des bastions de nos campagnes », disent les autres. Une lecture aussi superficielle pourrait satisfaire plus d'un.

Métamorphose de l'ennemi
Mais le scrutin du 7 juin recèle, en filigrane, une dimension exceptionnelle, tellement rare et fragile qu'il serait criminel de ne pas la signaler. Samedi soir, nous nous sommes endormis avec la quasi-certitude de l'imminence d'une IIIe République, celle du non-État ouvert sur le pullulement des milices. Dimanche soir, par la seule volonté du peuple, nous nous sommes retrouvés dans l'univers de la paisible démocratie. Il aura suffi du temps d'un scrutin, douze heures d'une bataille électorale, pour que le monde bascule.
Les milliers de petits bulletins, déposés dans ces urnes, ont réussi ce que nulle armada ne pourra jamais faire : métamorphoser la nature même du conflit libanais. Le champ de bataille s'est soudainement transformé en « agora ». Sur le champ de bataille, les rapports entre les belligérants sont polémiques, sur l'agora, les belligérants se reconnaissent mutuellement et acceptent de dialogue en partenaires.
Un tel exploit de la démocratie mérite d'être qualifié de victoire divine, car c'est une victoire sur soi-même. Le belligérant cesse d'être un guerrier et devient un citoyen. L'adversaire devient un opposant. L'autre devient un partenaire d'un avis différent. En affluant massivement aux urnes, les électeurs ont jeté au fond de celles-ci les violences affectives, malsaines et perverses, que les forces « poliorcétiques » n'ont cessé d'agiter. Le peuple a, ainsi, pavé la voie à la naissance d'un État moderne qui se construit toujours sur les ruines de l'ennemi intérieur (Hobbes).

Naissance de la communauté politique
Au soir de la bataille, l'ennemi intérieur a été défait, non par son anéantissement, mais par sa métamorphose. En reconnaissant sa défaite, le Hezbollah a accepté de s'institutionnaliser, de quitter la sphère des vérités divines et d'agir en tant qu'une des forces politiques du Liban. Il y a eu inversion, un « passage remarquable du 7 mai 2008 au 7 juin 2009, du putsch au choix démocratique : c'est-à-dire un passage de la haine (putsch) à l'inimitié, passage de la violence au jeu réglé de l'opposition (...). Que l'ennemi criminel puisse se transformer en opposant, c'est là le miracle de la démocratie qu'il s'agit de reconnaître quand il se produit, faute de quoi nous risquons de susciter le désespoir et l'impuissance » (J. Beauchard).
Inconsciemment, symboliquement, le peuple libanais a dit non à une certaine logique verticale et « poliorcétique », celle qui voudrait que l'unité politique soit fondée sur le(s) territoire(s), conçus comme enclos identitaires où l'action politique se confond avec la gestion administrative et fonctionnelle. À l'issue d'une rude bataille au fond des urnes, c'est une autre logique qui a été exprimée, plus horizontale, moins grégaire, plus rationnelle, celle qui pose la ville, qui s'étend tant en mer qu'en montagne, comme l'espace naturel de la synthèse politique des territoires et comme le lieu privilégié de la recherche du bien commun.
Le 14 mars 2005 fut une date éphémère, celle d'un événement fondateur. Fondateur de quoi ? n'ont cessé de demander les adversaires irréductibles, « englués dans la gangue boueuse de leurs territoires ». Le 7 juin 2009, le peuple du Liban a démocratiquement répondu par la naissance de la communauté politique.
« La ville attend le viol, vêtue de marbre et parée d'or. Avec, au front de ses palais, un diadème de corbeaux. » C'est ainsi que Beyrouth a attendu durant de si longues années jusqu'à ce dimanche 7 juin 2009 où le peuple libanais a mis fin, de manière inattendue, au viol perpétuel de sa capitale. L'issue du...