(Isaïe 5:20)
Ainsi, sayyed Hassan Nasrallah tire gloire et fierté de la ratonnade et de l'expédition punitive organisées durant les terribles journées de mai 2008 contre la population de Beyrouth et de sa banlieue. Le Liban a connu bien de massacres durant ces dernières décennies. Cependant, c'est la première fois dans l'histoire des tueries libanaises que l'auteur de tels actes arbore, sans sourciller, le trophée de la victoire sur les dépouilles de ses concitoyens et les ruines de la capitale de son pays. Dans ces conditions, il faudrait que les tueurs du 6 décembre 1975 fassent de même et élèvent le fameux samedi noir au rang d'un jour de gloire. On peut également espérer que les ignobles massacreurs de Sabra et Chatila, de Damour, du Chouf et tant d'autres lieux osent sortir de l'ombre et proclament aux yeux du monde la glorieuse et légitime fierté que leur barbarie pourrait leur octroyer. Au lieu d'observer un silence pudique face aux propos démesurés de Sa Clémence Hassan Nasrallah, le général Michel Aoun s'est dépêché d'applaudir, en élève sage et discipliné, les propos du maître.
Armée régulière et milice
Tant les propos de Hassan Nasrallah que ceux de Michel Aoun posent le problème grave de la responsabilité morale de l'homme politique. En général, on tire fierté de la défaite de l'ennemi ; on s'approprie ses trophées, on le soumet à sa volonté. On ne l'humilie pas. La civilisation n'a certes pas éliminé la guerre, mais elle a au moins eu le mérite de la discipliner. On se souvient, en 2008, des soldats de l'armée régulière libanaise menant une bataille acharnée contre le camp de Nahr el-Bared où s'étaient retranchés les pires tueurs qui soient. L'armée régulière a pris un soin particulier à évacuer les femmes, les enfants et les civils non combattants avant de donner l'assaut. La guerre ne supprime pas l'exigence de moralité. On se souvient des images de militaires portant eux-mêmes les enfants de l'ennemi pour les mettre à l'abri. Nous n'avons rien vu de pareil durant les journées de mai 2008.
Les miliciens cagoulés de Hassan Nasrallah, qui ont envahi Beyrouth en mai 2008, n'ont pas fait preuve de ce discernement moral qui est le propre des sociétés civilisées, respectueuses de la règle du droit. Ils ont plutôt agi comme jadis les tribus d'Israël lors de la conquête de la « terre promise ». Une telle négligence s'explique probablement par le fait que lesdits miliciens du parti de Dieu étaient convaincus que leur action bénéficiait d'une couverture divine, ce qui, par nature, les place au-dessus de toute loi, morale ou non. En effet, seul Dieu est en mesure de décréter l'extrême violence qui échappe au jugement moral du bien et du mal. Un peuple consacré à Dieu n'est pas un peuple comme les autres. On voit mal comment les catégories du jugement moral pourraient lui être appliquées.
Conquêtes divines et massacres humains
Quand les tribus d'Israël ont envahi la terre de Canaan, elles ont exterminé les nations du pays conformément aux instructions divines « Quand Iahvé ton Dieu les aura livrées devant toi... tu les voueras à l'anathème » (Josué 6:21). L'anathème, ou herem en hébreu, désigne très précisément le devoir de massacrer. « Ainsi Josué (...) ne laissa pas un seul survivant et voua, tout être vivant à l'anathème, comme Iahvé le dieu d'Israël, l'avait ordonné » (Josué 10:40). Après avoir éradiqué tous ses ennemis, le peuple du Dieu unique et jaloux pouvait enfin jouir de son butin sans que sa conscience ne lui pose aucun problème, car Iahvé lui avait promis que « Tu dévoreras tous les peuples que te livre le Seigneur, ton Dieu » (Deutéronome 7:16 ).
Par ses menaces et le ton cruellement cynique de ses propos, Hassan Nasrallah nous a ramenés à la nuit des temps, à ces époques lointaines où le mal peut être appelé bien, au nom de Dieu. Lorsqu'on s'appelle parti de Dieu, on est forcément en dehors de la logique humaine. On en veut pour preuve la compréhension que les membres de cette mouvance théologico-politico-guerrière ont de leur chef suprême, le faqih, à qui ils reconnaissent non seulement la qualité d'infaillibilité, mais aussi d'impeccabilité. Le faqih, comme continuateur des vertus de l'imam caché, est dit impeccable dans le sens qu'il ne peut pas fauter quoi qu'il fasse. Cette vision place le groupe militant du faqih dans un registre de sainteté qui le met en marge de la société et explique l'arrogance dont il fait preuve.
Totalitarisme et compromis
Peut-on dire de même de ceux qui, par opportunisme, ne font que suivre le parti de Dieu sans adhérer à son idéologie religieuse ? Il est permis d'en douter. Cependant le CPL, allié du Hezbollah, se comporte comme s'il participait en quelque sorte au climat de sainteté divine dans lequel baigne la pensée des fidèles du parti de Dieu. Il suffit d'écouter les discours du général Aoun qui n'hésite pas à menacer quiconque ne pense pas comme lui, ou ose le critiquer, des pires rétorsions : couper les langues, briser les membres, etc. Seule une pensée totalitaire, participant du divin, peut ne pas distinguer le bien du mal.
Quel type de modus vivendi peut-on établir avec une telle pensée totalitaire ? Peut-on envisager que le Hezbollah puisse, un jour, mettre l'intérêt du Liban avant les intérêts théologico-stratégiques de l'idéologie qui est la sienne ? En principe, on voit mal comment le Hezbollah pourrait évoluer en un parti ordinaire, comme les autres. Une telle issue l'obligerait à accepter le compromis. Dans ces conditions, il perdrait son identité propre, celle de vicaire d'une certaine vérité métaphysique qui ne souffre aucune nuance.