Au commencement était la rythmique

Elle, c'est Khouloud Yassine. Le mouvement, c'est son univers. Diplômée d'études supérieures de théâtre de l'Université libanaise, institut des beaux-arts en 2002, et de danse contemporaine de l'Université Paris VIII (2006), elle suit des ateliers de formation dans ce domaine avec des chorégraphes libanais et internationaux, notamment Thierry de Mey, Julien Hamilton et Seydou Borro. Après avoir collaboré à la fondation de la compagnie Maqamat et participé à plusieurs festivals dans le cadre des activités de la troupe, Khouloud Yassine va créer sa propre chorégraphie. Accompagnée de son frère Khaled à la darbouka, en 2007, ils présentent au Monnot B Layle Min Azar.
Lui, c'est Khaled Yassine. Il a le rythme au corps et sait l'exprimer à travers ses instruments de prédilection : les percussions (« cajun » et darbouka). C'est à l'âge de sept ans qu'il commence à s'y exercer. Mais Khaled est un esprit libre. Après trois ans de formation au Conservatoire libanais, c'est en autodidacte perfectionniste qu'il poursuit sa propre méthode d'apprentissage. Un apprentissage qu'il acquiert « sur le terrain », comme on dit, en jouant et en accompagnant de grands artistes comme Charbel Rouhana, Éric Truffaz, Anouar Brahim (l'album auquel il a participé sort cet été chez ECM) ou encore l'interprète jordanienne Makadi Nahas, avec qui il collabore en 2007 sur son second album, Khilkhal. Depuis 2003, Khaled Yassine est membre fondateur du groupe libanais Fun Jan Shaï dont le premier album, Beyond Traditions, a été lancé en juin 2006 en collaboration avec le compositeur Ziad al-Ahmadieh. C'est avec la danseuse, chorégraphe et également comédienne Khouloud Yassine qu'ils se sont lancés dans cette quête assidue pour unir le rythme et le
mouvement.

Dans les fractions du temps
Avec B Layle Min Azar, leur première chorégraphie commune, le tandem Yassine explorait la gestuelle dans une ambiance très intimiste, à la limite d'un huis clos où chaque spectateur muni d'écouteurs pouvait recréer la chorégraphie à sa façon. Une expérience intéressante, mais qui ne semblait certainement pas une démarche aboutie pour les jeunes artistes.
Deux ans plus tard, les voilà sur scène à nouveau dans une performance chorégraphiée par eux deux, avec Fadi Yenni Turk à la scénographie. Plus distanciés de l'audience, si la forme a changé, le cheminement de la réflexion demeure intact. Rythme et mouvements s'entrecroisent et fusionnent comme si tout d'un coup le geste devenait sonorité et que le son s'articulait. En parfaite harmonie, voire en symbiose, c'est à travers ce prisme qui renvoie des ombres et décompose les mouvements que le temps semble fractionné.
« Nous avons tenté de rentrer dans les interstices de l'espace temporel musical, dit Khaled Yassine. Une recherche que nous effectuons à deux depuis quelque temps. » Et elle d'ajouter : « Nous ne savons pas exactement qui du rythme ou du mouvement engendre l'autre. Comme nous partageons les mêmes conceptions artistiques, nous arrivons à refléter le même visuel. » Ce à quoi le percussionniste répond : « Au départ, nous ne nous laissons pas cloisonner dans une identité, mais au bout du compte nous parvenons certainement à avoir notre propre signature. »
Comme un métronome vivant, Khouloud Yassine, aux sons du oud, de la darbouka et du « cajun », s'approprie le temps et le décortique. Elle se le fait sien, le suspend, épluche ses strates, l'intercale et le mesure. Son ombre dédouble les mouvements et les intensifie. Une énergie dynamisante qui invite au voyage... du corps.