Dans une mosquée jordanienne, le pape dénonce la « manipulation de la religion »

Debout devant la plus grande mosquée de Jordanie, au deuxième jour de sa première visite dans un pays arabe, et au cœur d'une région déchirée par les extrémismes religieux, Benoît XVI a dénoncé la « manipulation idéologique de la religion » comme étant une origine des « violences » que subit la société. Le message est clair : s'il prend désormais soin de ménager les susceptibilités en choisisant ses termes avec précision, ne condamnant jamais l'islam en soi, le pape n'abandonne pas pour autant son projet de développer un lien fort entre la religion et la raison. Il est ainsi revenu sur le « défi de développer en vue du bien, en référence à la foi et à la vérité, le vaste potentiel de la raison humaine ».
Une première réflexion publique sur ce sujet, il y a trois ans, avait mené le pape fraîchement élu à suggérer, en citant un auteur, une relation forte entre l'islam et la violence - des propos qui avaient ému le monde musulman et provoqué une polémique internationale. Il n'a pas présenté d'excuses, comme le réclamaient certains groupes islamistes, mais avait dit regretter que ses propos soient « mal interprétés », et s'était engagé dans un effort de développement du dialogue islamo-chrétien. Samedi, dans l'enceinte de la mosquée al-Hussein bin Talal, sur les collines de Amman, ses efforts ont été salués par le prince Ghazi ben Mohammad, conseiller royal pour les Affaires religieuses : « Je dois (...) remercier Votre Sainteté pour le "regret" que vous avez exprimé après la conférence de Regensburg du 13 septembre 2006, pour le mal causé par cette lecture aux musulmans. » Le prince Ghazi était à l'origine de la lettre ouverte qui, adressée au pape par 138 dignitaires musulmans, avait mené au premier sommet islamo-chrétien au Vatican en novembre dernier.

Dialogue et éducation
D'autres dignitaires musulmans présents à la mosquée ont en revanche exprimé leur déception après la visite : certains regrettent que le pape n'ait pas explicitement présenté ses excuses, tandis que d'autres estiment qu'il aurait dû prier sur le lieu de culte. « Sa Sainteté s'est recueillie par respect pour ce lieu de foi et de prière », a précisé le Vatican. Par ailleurs, interrogés par L'Orient-Le Jour, les islamistes radicaux qui s'étaient opposés à la visite papale en Jordanie ont réitéré leurs condamnations (voir encadré).
À ce problème de la perversion religieuse, le pape propose une réponse par l'éducation. Dans la même journée, il s'est justement rendu à Madaba, une ville au sud-ouest de Amman, où il a posé la première pierre d'une université catholique. En parlant des futurs étudiants, il a affirmé que « la formation intellectuelle aiguisera leur sens critique, dissipera ignorance et préjugés, et aidera à briser l'attrait exercé par des idéologies anciennes et nouvelles ».
Ce même samedi, le pape a rappelé que son voyage était également une invitation au dialogue avec les juifs. Selon les Écritures, Dieu aurait emmené Moïse au sommet du mont Nebo pour lui montrer au loin la Terre promise. C'est sur cette colline de 840 mètres à 40 km au sud-ouest de Amman que Benoît XVI a déclaré : « Puisse aujourd'hui notre rencontre nous inspirer un amour renouvelé pour les écrits de l'Ancien Testament et le désir de dépasser tous les obstacles à la réconciliation des chrétiens et des juifs dans le respect mutuel et la coopération au service de cette paix à laquelle la parole de Dieu nous appelle. » Le chef du Vatican doit s'envoler aujourd'hui pour Tel-Aviv, où il ouvrira le volet israélien et palestinien de son voyage en Terre sainte.