Rechercher
Rechercher

Liban - Société

Dialogue avec les femmes de Beyrouth

Une association féministe va à la rencontre des Libanaises pour les pousser à parler de leurs droits. Les femmes interrogées expriment leurs inquiétudes, leur résignation ou leurs espoirs.
Pour les militants du Collectif féministe, une toute jeune organisation libanaise fondée en début d'année, la date du 8 mars est avant tout synonyme de journée internationale de la femme. Ce jour-là, ils ont donc investi les rues de Beyrouth pour rappeler aux Libanaises et aux Libanais que la lutte pour les droits des femmes dans leur pays est loin d'être terminée. Partant du principe que pour parler des femmes, il faut d'abord parler aux femmes, ils ont interrogé plusieurs centaines d'entre elles en une journée, les choisissant au hasard dans des lieux publics. Ils tirent aujourd'hui de cette opération un bilan moins sombre qu'on ne pourrait le prévoir dans un pays où les citoyennes n'ont pas le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants.
Ils étaient une quarantaine de bénévoles, répartis en petits groupes dans onze quartiers de la capitale. Le principe de l'intervention était simple : il s'agissait d'interroger les passantes, sans discrimination d'âge ou de statut social, sur ce qu'elles pensaient de la condition féminine aujourd'hui au Liban. Les bénévoles leur remettaient ensuite un « flyer » sur lequel figurait une liste des principes féministes dont se réclame le collectif. Les hommes étaient eux aussi interrogés au passage, mais c'est aux femmes que s'adressait principalement la question.
Cette question se voulait ouverte, et la règle était de laisser les personnes interrogées s'exprimer librement, mais il fallait parfois que les bénévoles les encouragent à parler en suggérant des pistes de réponse et en les questionnant sur des aspects particuliers de la condition féminine. Une femme ne parvenant pas à rassembler ses idées sur le sujet pouvait par exemple être dirigée sur un problème particulier comme les inégalités professionnelles ou la répartition des tâches au foyer. Cette méthode était susceptible d'influencer les réponses, mais celles-ci gardaient dans l'ensemble une certaine uniformité, suivant les quartiers de Beyrouth où elles étaient recueillies.

Facilité d'expression
« Il y a beaucoup de choses à faire », s'enthousiasme une jeune étudiante d'Achrafieh, interrogée par l'un des bénévoles - et elle n'a pas besoin de réfléchir longtemps pour établir une longue liste de ces « choses » qui pourraient changer, allant des inégalités civiques aux problèmes de maltraitance dans les cercles familiaux, en passant par le manque de représentation au sein du gouvernement. De nombreuses femmes de son âge, dans le même quartier, donnent le même type de réponse. On les sent familières avec le sujet et elles en parlent librement. Cette attitude est encore plus marquée autour de la rue Hamra, zone étudiante et cosmopolite. Là, les personnes interrogées viennent de toutes les régions du pays et sont simplement de passage. « On est en terrain neutre, explique un des bénévoles du Collectif féministe, et les gens s'expriment beaucoup plus librement que chez eux. »
Les évolutions que beaucoup parmi les femmes interrogées dans ces quartiers évoquent et espèrent pour un avenir proche sont surtout des changements concrets, visibles à travers la loi. Transmission de la nationalité par la mère libanaise, lutte contre la violence domestique, protection sociale en cas de divorce : autant d'apports qui, de l'avis des personnes interrogées, doivent et seront faits aux institutions par les législatures à venir.

Des conditions difficiles à surmonter
Dans les quartiers où la population est moins hétérogène que dans le centre de Beyrouth, les langues ont plus de mal à se délier. Nous sommes maintenant dans la banlieue sud, où la situation sociale des femmes a pour réputation d'être plus conforme qu'ailleurs à la tradition islamique. Ici, les passantes sont beaucoup moins nombreuses à s'arrêter. Lorsqu'elles acceptent, elles regardent souvent autour d'elles avant de s'exprimer, expliquant qu'elles ne souhaitent pas être surprises par leurs proches en train de parler à des inconnus. Mais au-delà de ces précautions, beaucoup d'entre elles dénoncent avec véhémence les conditions dans lesquelles elles vivent. Plutôt que les problématiques législatives, ce sont les problèmes de leur vie de tous les jours qu'elles évoquent en priorité.
« Pour aider à nourrir les enfants, raconte une habitante de Chiyah, je travaille six jours par semaine, dix heures par jour, et je suis payée 200 dollars par mois. Le salaire minimum, pour nous, ça n'existe pas. » Une autre explique aux bénévoles qu'elle n'a aucune autorité reconnue au sein de son couple : c'est son mari qui décide de tout, qu'il s'agisse de l'éducation des enfants ou de la gestion du budget familial. Ces femmes disent savoir que leur situation est connue de tous, mais elles ne comptent pas sur un changement dans un avenir proche. « Il y a des Libanaises qui se sont libérées, parfois même dans notre quartier, constate une habitante de Ghobeiri. Elles vivent vraiment de façon très moderne maintenant. Celles qui n'ont pas eu la chance de pouvoir sortir du trou tout de suite vont y rester, elles sont prisonnières de la société. »

Un chemin à suivre
Les hommes ont, eux aussi, donné leur avis sur la question, la plupart accueillant favorablement l'initiative du collectif. D'autres ont fait part de leur mépris pour la cause féministe, estimant que les droits dont jouissent les femmes au Liban sont largement suffisants. Cette réponse est également celle de certaines femmes qui ont exprimé leur désaccord avec l'action des féministes : « C'est à cause de vous que la situation dégénère, accuse une commerçante de Bourj Hammoud. La société ne peut pas garder son équilibre si chacun ne joue pas son rôle. » D'autres profitent de l'occasion pour attaquer les communautés voisines, des chrétiennes accusant les musulmanes de tirer l'évolution sociale vers le bas, et des musulmanes dénonçant le mode de vie dissolu des chrétiennes.
Une des conclusions les plus significatives, à long terme, pour les militants du Collectif féministe est la facilité avec laquelle les Libanaises s'expriment au sujet de leurs problèmes. « Chacune a sa façon d'exprimer ses scrupules, explique un des jeunes activistes, mais elles parlent toutes de véritables problèmes. Mises en commun, leurs visions de la situation permettent de soulever une série de questions significatives. » C'est à partir de ce dialogue que le collectif a l'intention d'avoir son impact, en rappelant aux femmes que leur droit à la parole reste la première étape du parcours qui les mènera à la justice. Le 8 mars, les activistes se sont rassemblés sur la corniche de Aïn Mreissé à Beyrouth pour faire valoir ce droit, en brandissant des pancartes et en allant encore une fois à la rencontre des passants - ce ne sera pas la dernière fois, promettent-ils avec détermination.
Pour les militants du Collectif féministe, une toute jeune organisation libanaise fondée en début d'année, la date du 8 mars est avant tout synonyme de journée internationale de la femme. Ce jour-là, ils ont donc investi les rues de Beyrouth pour rappeler aux Libanaises et aux Libanais que la lutte pour les droits des femmes dans leur pays est...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut