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Liban - Analyse

Incohérences démocratiques

Le bruit court depuis quelque temps dans les milieux de l'opposition que cette dernière serait tentée, en cas de victoire aux élections législatives du 7 juin prochain, de faire appel à des personnalités du 14 Mars pour entrer au gouvernement - à titre minoritaire, naturellement -, voire de confier carrément le poste de Premier ministre à un dirigeant de la majorité actuelle.
Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a récemment proposé, dans un de ses discours, de confier le tiers de blocage au sein du gouvernement à la future minorité parlementaire, quelle qu'elle soit, et le président de la Chambre, Nabih Berry, a adopté une position similaire. Seul le général Michel Aoun s'est montré jusqu'ici évasif sur cette question, sans pour autant écarter une telle éventualité.
Par lucidité, certains pôles actifs de l'opposition savent très bien combien le pouvoir est difficile à exercer en solitaire, surtout lorsque l'adversaire à abattre (au sens figuré, bien sûr) s'appelle encore... Hariri. L'expérience ratée du gouvernement Hoss, en 1998-2000, pour ne citer que lui, en est l'une des illustrations les plus éloquentes.
À l'époque, le tuteur syrien fut contraint de prendre acte du mouvement d'opinion que les excès du pouvoir confié à Émile Lahoud et Jamil Sayyed avaient suscité en faveur de Rafic Hariri. Ce mouvement était d'autant plus dangereux pour Damas et ses alliés qu'il soudait, d'une part, la communauté sunnite autour du chef du Courant du futur, et, d'autre part, contenait les germes d'un rapprochement historique avec ce qu'on appelait alors l'opposition chrétienne.
Un scénario similaire, quoique sans tuteur syrien, s'était déroulé trente-deux ans plus tôt, en 1968, avec le retour triomphal aux affaires de Camille Chamoun et de Raymond Eddé, longtemps combattus par un Second Bureau omniprésent.
Aujourd'hui, tout se passe donc comme si l'opposition actuelle souhaitait revenir à une équation proche de celle qui prévalait dans les années quatre-vingt-dix : une façade gouvernementale « présentable » confiée à un homme de dossiers et, à l'arrière, tirant les ficelles, un pouvoir policier qui intervient lorsque les « constantes » (c'est-à-dire en gros les intérêts de l'axe syro-iranien) l'exigent.
Certes, il y a aussi dans la démarche du 8 Mars un souci de cohérence. On ne peut pas, après avoir mis pratiquement le pays à feu et à sang et paralysé ses institutions pendant deux ans pour obtenir le tiers de blocage, dénier ce « droit » à ses adversaires si ceux-ci se retrouvent en situation de minorité.
Mais cette cohérence-là n'a qu'un très lointain rapport avec celle dont le pays a réellement besoin pour que ses institutions puissent commencer à fonctionner à peu près normalement.
Pour un camp qui affirme placer en tête de ses préoccupations la lutte contre la corruption, la première chose à faire est de ne point corrompre la démocratie. Or en invitant au gouvernement un camp défendant des options politiques aux antipodes de celles que l'on défend soi-même, on ne fait pas que corrompre la démocratie, on installe l'incohérence et même l'obscénité au cœur même des institutions et du système.
Si l'expérience du gouvernement actuel, dont les principales caractéristiques sont l'inertie et les polémiques stériles, n'est pas suffisante pour servir de leçon, on ne voit vraiment pas ce qui pourrait encore servir de leçon.
Bien sûr, la démocratie n'est pas incompatible avec la formation de gouvernements d'union nationale. Ceux-là sont même souhaitables en certaines circonstances. Mais, au Liban, il y a, si l'on peut dire, erreur sur la marchandise. En règle générale, un gouvernement d'union nationale est un gouvernement au sein duquel toutes les parties prenantes décident de mettre de côté leurs programmes respectifs et de s'entendre sur une plate-forme commune rendue nécessaire par des circonstances extraordinaires. C'est exactement le contraire qui se passe chez nous.
En cherchant à instaurer définitivement la règle du tiers de blocage, l'opposition - en particulier le Hezbollah - pousse la démocratie vers le bas, en favorisant le maintien de la vie politique libanaise à l'intérieur d'un carcan arriéré et primaire, où le jeu se réduit à une compétition pour le partage du « fromage » entre des clubs (le club du 14 Mars, celui du 8 Mars, etc.) et entre des personnes physiques.
Une démocratie évoluée est supposée au contraire élever le débat pour le situer au niveau des programmes politiques et - surtout - pour créer les conditions de l'alternance démocratique (et cohérente) au pouvoir.
Il est surprenant de constater que l'un des piliers de cette opposition, qui se réclame de la volonté de « changement et de réforme », ne fait rien pour s'en distinguer dans ce domaine.
Quant à l'argument selon lequel la participation de tout le monde au pouvoir est rendue nécessaire par la nature consensuelle du système politique libanais, il relève de l'hérésie la plus fantaisiste qui soit.
Dans une « démocratie consensuelle », il y a d'abord le mot « démocratie ». Le consensus vient ensuite. Il n'est pas la règle, mais l'exception. D'ailleurs, le système libanais prévoit expressément les cas où le consensus doit primer. Ce qui signifie que dans tous les autres cas, c'est la règle de la démocratie majoritaire (au sens politique du terme, et non pas confessionnel) qui doit s'appliquer.
Le fait que la Constitution libanaise soit traversée de failles et de lacunes quant aux mécanismes d'application de la démocratie consensuelle n'autorise personne à pousser le système dans un sens contraire.
Ces jours derniers, plusieurs personnalités du 14 Mars ont clairement annoncé leur intention de ne pas entrer au gouvernement en cas de victoire électorale de l'opposition. Toute prise de position contraire serait une trahison caractérisée des principes de la révolution du Cèdre.
Car en plus d'être un soulèvement contre la tutelle syrienne, cette révolution-là fut aussi un plébiscite de la démocratie.
Le bruit court depuis quelque temps dans les milieux de l'opposition que cette dernière serait tentée, en cas de victoire aux élections législatives du 7 juin prochain, de faire appel à des personnalités du 14 Mars pour entrer au gouvernement - à titre minoritaire, naturellement -, voire de confier carrément le poste de Premier ministre...
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