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Liban

Bellemare à l’OLJ : Je demanderai le transfert des généraux à La Haye dans les deux mois

« Je suis impatient mais persistant. » C'est par ces mots que Daniel Bellemare résume son ambition de traquer les assassins de Rafic Hariri, une mission qu'il poursuivra avec obstination lorsqu'il siègera, d'ici à trois semaines, en tant que procureur au Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Pour réussir son pari, le chef des enquêteurs a une recette simple : s'entourer des meilleures compétences et ne jamais perdre de vue l'objectif du mandat qui lui a été confié, à savoir faire parler les faits, rien que les faits en mettant en scène avant de les exhiber tous les éléments de preuve relatifs à ce crime terroriste qui en a déclenché d'autres après lui. Contrairement aux attentes de certains, l'enquête, qui se poursuivra à partir du 1er mars prochain entre le Liban et La Haye, n'aboutira pas, dès les premiers jours, à des actes d'accusation. Pour cela, il faudra attendre d'abord la maturation des investigations, ainsi que la mise en place de toute une série de procédures qui définiront les règles du jeu au sein du TSL. Mais l'une des premières choses sur lesquelles planchera le procureur, dès son arrivée à La Haye, c'est la demande de transfert du dossier libanais au TSL, des détenus aussi, c'est-à-dire les quatre généraux dont le destin sera désormais aux mains de l'instance internationale. Autre engagement de taille que le procureur prend auprès des citoyens libanais : assurer coûte que coûte une transparence et une indépendance indéfectible du tribunal ou démissionner. Sur ce plan, le procureur est intransigeant : aucun politique, quel qu'il soit, ne pourra lui mettre des bâtons dans les roues tant qu'il gérera ce dossier.

 

Dans un entretien accordé séparément à al-Akhbar d'une part, et à L'Orient-Le Jour et au Nahar d'autre part, le chef de la commission d'enquête internationale sur l'assassinat de Rafic Hariri persiste et signe : « Non seulement on peut éviter la politisation de ce dossier, mais il faut le faire. On n'a pas le choix. C'est un dossier strictement juridique. Mon mandat est clair et mon rôle l'est encore plus. Je l'ai répété à plusieurs reprises. Je ne suis pas un politicien, je suis un procureur et cette commission a pour but d'éviter la politique dans la mesure où il s'agit d'une commission neutre, indépendante et impartiale. Il faut donc absolument éviter la politique pour préserver ces caractéristiques. »
M. Bellemare se dit toutefois conscient des doutes que peuvent avoir certains sur la question de l'indépendance, mais affirme qu'il ne peut que faire abstraction des allégations de politisation.
«La façon dont je vois mon rôle et la façon dont je me conduis c'est d'éviter tout élément qui pourrait avoir un impact politique. Moi, c'est le juridique qui me mène et c'est la preuve qui me guide. Mon but principal c'est la preuve, ce sont les faits. Ce que disent les gens, ce que pensent les gens, je dois en faire abstraction et je dois simplement me limiter aux faits. Il est certain qu'il faudra que les actions parlent plus fort que les mots et il faudra voir à l'usage si effectivement ce que je dis va se concrétiser. Mais la politique n'interviendra pas. C'est là l'importance de l'indépendance du procureur. »
M. Bellemare ira même plus loin, affirmant que « si jamais il y avait des tentatives d'influence politique sur mon travail, je peux vous dire que je réagirai très fortement à cela. Cela peut aller jusqu'à la démission ».
Selon lui, les tentatives d'influence politique pourraient se manifester à n'importe quel moment. Jusqu'à ce moment présent, il n'y a jamais eu de tentative de pression sur lui, assure-t-il.
« Je peux simplement vous dire que toutes les mesures ont été prises de manière à ce qu'il n'y ait pas d'ingérence. Je suis mené par les règles juridiques uniquement. C'est pour cela que je ne crains aucune ingérence externe. »
Mais qui dit indépendance ne veut pas dire opérer dans un vacuum.
« De toute évidence, nous savons ce qui se passe, on sait quelles sont les positions prises par les différentes factions et par les différentes parties en présence. Mais cela, je dois absolument en faire abstraction et aller de l'avant sur la base des principes juridiques. »
Prié de commenter les récentes déclarations faite par le chef de l'État syrien qui s'est dit non concerné par le TSL, il a rappelé qu'« il y a actuellement une coopération avec les États ». « Je n'ai pas de raison de croire que la coopération qui existe actuellement va cesser. Il y aura des ententes de coopération entre le TSL avec les États tiers qui sont prévues par le statut et qui seront conclues. Alors on verra au moment voulu. Je ne peux pas commenter à l'avance. »
Qu'en est-il donc des actes d'accusation ? À quel moment devrait-on s'attendre à les voir publiés ?
« J'ai dit au Conseil de sécurité que les actes d'accusation ne seront déposés que lorsque je serai satisfait professionnellement, c'est-à-dire lorsque j'aurai la preuve qu'il faut pour les déposer. On m'a interrogé à maintes reprises sur le timing de ces actes. J'ai toujours répété la même chose : je ne peux pas prédire quand les accusations seront déposées, parce que je ne le sais pas. Si je le faisais, si je vous donnais une date, je serais en train de vous mentir. Je ne dis pas aux gens, y compris au Conseil de sécurité, ce qu'ils veulent entendre. Je leur dis la vérité. Je pense que c'est là où réside la base de la crédibilité. Et si cela ne leur plaît pas, c'est tant pis. C'est une question de crédibilité personnelle. Les gens n'ont qu'à voir mon parcours professionnel. »
Que se passera-t-il donc à partir du 1er mars ?
« Je suis quelqu'un qui ne prend pas d'engagements qu'il ne peut pas tenir. Une chose est certaine, c'est qu'à partir du 1er mars, ou au cours des jours qui vont suivre, il n'y aura pas d'actes d'accusation. Les gens doivent le savoir. Il y a eu beaucoup de rumeurs et d'informations qui ont circulé à ce sujet. Au premier mars, le procureur entre en fonctions, les juges aussi. Le tribunal, comme cour de justice, va prendre forme. Jusque-là, il n'y avait que le « greffier » qui était en fonctions, c'est-à-dire la base administrative qui a été mise en place. »
« Au niveau de la procédure, j'ai déjà souvent dit que l'enquête se poursuivra à partir du 1er mars. L'enquête se déplacera de Beyrouth vers La Haye. Mes enquêteurs seront alors à La Haye pour continuer l'investigation. »
Une fois en fonctions, le procureur aura donc une double fonction : « Une compétence d'enquête et une compétence de poursuite lorsque viendra le moment de l'exercer », explique-t-il.
« Nous serons à La Haye mais il y aura un bureau de liaison à Beyrouth car la preuve se trouve encore à Beyrouth ainsi que certains témoins. Donc les enquêteurs vont venir à Beyrouth et y resteront pendant des périodes plus ou moins longues pour recueillir les preuves recherchées avant de retourner en Hollande. On peut dépêcher des enquêteurs à Beyrouth mais dans d'autres pays également s'il y a d'autres éléments recueillis ailleurs. »
Mais alors, pourquoi avoir décidé de transférer le dossier au 1er mars à La Haye si l'enquête n'est pas terminée ?
« C'est la décision du SG des Nations unies de lancer les travaux du tribunal à cette date précise. Cette décision a été prise après qu'il eut mené ses consultations, y compris avec moi. Le moment était venu de faire en sorte que l'enquête passe en phase internationale. Par conséquent, les règles de l'enquête vont être différentes. Car comme vous le savez, actuellement je prête assistance au procureur général du Liban. »
À la question de savoir quelle sera la procédure suivie concernant les quatre généraux emprisonnés, M. Bellemare explique que pour l'instant, il s'agit d'une enquête libanaise à laquelle les NU prêtent assistance. Après le 1er mars, la situation changera.
« Je prendrai en charge le dossier, et au niveau de la séquence des événements, je poursuivrai certes l'enquête. Mais par ailleurs, j'aurai deux mois pour faire auprès du procureur général libanais la demande de transfert du dossier de Beyrouth à La Haye. Le dossier comprend les pièces et tout ce qui est relié au dossier, y compris les détenus, s'il en est au moment de la demande. J'ai certes deux mois au maximum pour le faire, mais je peux vous assurer que je n'attendrai pas deux mois pour agir : je le ferai le plus tôt possible. »
Troisième élément à mentionner, le fait que les juges se réuniront dès le 1er mars pour plancher sur les règles de procédure et les règles de l'admissibilité des preuves.
« On a dit que le TSL est hybride. Il l'est d'abord de par la loi applicable, c'est-à-dire la loi libanaise pour les éléments constitutifs de l'infraction. Quant aux règles du tribunal relatives aux questions de preuve et de procédure, ce ne sont pas les règles libanaises qui vont s'appliquer mais plutôt les règles qui vont être adaptées par les juges et qui sont basées sur les normes internationales. Ces règles deviendront en fait le code de procédure du tribunal. Toutes les règles de procédure figureront dans ce code. Les autres tribunaux internationaux ont adapté ce même type de code qui est conforme aux standards internationaux. »
Le TSL est également hybride du fait de la coexistence de principes de droit anglo-saxon et de droit latin. Enfin, dit-il, le dernier élément qui en fait un tribunal hybride est le fait que le tribunal sera composé de juges internationaux et de juges libanais.
« Là il faut rappeler que les autres tribunaux internationaux, notamment le tribunal de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda, ont tous eu ce mélange de droit civil et de Common Law. Ils ont été adaptés à différents degrés au niveau du mariage de ces deux éléments », précise le procureur.
Il est encore tôt de dire à ce stade comment cela va fonctionner pour le TSL, car ces questions n'ont pas encore été débattues et les règles de procédure n'ont toujours pas été adoptées.
Et M. Bellemare de mettre en garde contre le risque de confusion entre le début des activités du tribunal et le début des audiences ou du procès en tant que tel. « Le fait que le tribunal commence ses fonctions ne signifie pas qu'il commence à juger », précise-t-il.
Ainsi, et dès sa prise de fonctions, le procureur aura pour fonction de continuer l'enquête. Il sera en même temps chargé des poursuites. « Je changerai de chapeau mais je continuerai pratiquement à faire ce que je fais ici, en plus de ma seconde tâche qui est d'engager des poursuites », indique M. Bellemare.
Prié de dire si, en tant que procureur général, il sera amené à remplir ses deux fonctions - en tant qu'investigateur et en tant que procureur général - en parallèle ou l'une après l'autre, le chef des enquêteurs répond :
« En droit civil on parle de l'unicité de la procédure. Dans ce système, on doit s'assurer d'abord que toutes les enquêtes sont terminées avant de passer au stade de l'accusation. Relié à cela est la question du Mega-trial, qui consiste à engager un procès pour l'ensemble des accusés qui seront jugés en même temps, contrairement au système anglo-saxon qui suppose que dès qu'il y a une preuve contre une personne, celle-ci est immédiatement jugée, quitte à poursuivre par la suite l'enquête.
Mais dans le cas du TSL, je mènerai mes deux fonctions de manière simultanée et continue. C'est-à-dire que je poursuivrai l'enquête, et lorsque j'aurai suffisamment de matériel pour accuser quelqu'un je le ferai. J'aurai en même temps un groupe de poursuite et un groupe d'enquête qui peuvent coexister et mèneront simultanément leurs fonctions. Mais ce sont autant de règles qui restent encore à définir dans la pratique pour savoir si la prédominance ira au droit civil avec l'unicité de la procédure ou bien si on doit d'abord finir l'enquête pour passer ensuite à la phase de la poursuite. Ce sont toutes les questions qui font actuellement l'objet de réflexions et qui seront définitivement tranchées lorsque les juges décideront des règles de la procédure à partir du 1er mars. »

Les exécutants et les commanditaires
Est-ce à dire que les exécutants du ou des crimes et les commanditaires seront jugés séparément lors de procès distincts ?
« Si je suis prêt à procéder, que ce soit pour les exécutants ou pour les commanditaires, je le ferai quitte à continuer à faire enquête pour les autres. C'est la raison pour laquelle j'opte pour la flexibilité », dit-il.
Face à la difficile tâche qui l'attend, le TSL parviendra-t-il à concilier entre la nécessité de transparence et le besoin de confidentialité que requiert une tel dossier ?
« Le principe général est la transparence. Mais pour des raisons très spécifiques, par exemple en cas d'un témoin à risques qui fait l'objet de menaces et, par conséquent, de mesures de protection, le tribunal pourrait décider de ne pas rendre son identité publique et d'ordonner que l'audience se tienne à huis clos. Le tribunal dira alors que ce témoin sera entendu "in camera ". Une fois le témoin entendu, les autres audiences pourront reprendre et seront rendues publiques. Mais cela suppose que la transparence sera la règle et la confidentialité des audiences, l'exception », assure M. Bellemare.
 Il faut cependant savoir qu'après le 1er mars, l'instruction libanaise continuera à aider le TSL dans sa tâche sauf qu'elle deviendra « une juridiction concurrente ».
« Les autorités libanaises continueront à jour un rôle de soutien important mais le TSL aura primauté », dit-il.
Prié de commenter la polémique suscitée dans la presse libanaise par la désignation de Nick Kaldas à la tête du service d'enquête à La Haye, M. Bellemare affirme qu'à l'issue des concours prévus pour pourvoir à ce poste, M. Kaldas « a été le candidat qui a eu la meilleure performance et qui est passé en tête de liste. Il avait plusieurs longueurs d'avance sur les autres. En ce qui me concerne, je ne suis pas un politicien mais un procureur. M. Kaldas n'est pas non plus un politicien mais un policier. Moi j'engage un policier qui partage mes objectifs quant au but recherché, le but étant de prouver la vérité.
Les compétences policières de M. Kaldas sont exceptionnelles. Ce à quoi je m'attends de Nick Kaldas c'est une compétence technique ainsi qu'une habileté à pouvoir gérer, à motiver et à mener un groupe d'hommes et de femmes qui partagent les mêmes objectifs. C'est un excellent policier qui connaît les techniques d'enquête, un meneur d'hommes et de femmes et un gestionnaire. J'ai trouvé en lui les trois composantes que je recherchais », insiste le procureur.
Immuable sur les principes et sur l'éthique, et muni d'une détermination à couper le souffle, le futur procureur reconnaît cependant que son travail n'a pas souvent été de tout repos. Ce qui lui déplaît le plus dans sa mission, c'est ce qu'il appelle la sécurité envahissante, « presque oppressante, surtout lorsque je me déplace ».
« Je ne peux pas encore m'habituer au fait qu'une seule personne, lorsqu'elle se déplace, puisse faire autant de dérangements. Quand je vais dans un endroit, ils bloquent tout. Ma seule consolation c'est lorsque je me souviens que ce n'est pas à cause de moi mais à cause de mon poste. » Autre sujet de dérangement, « c'est la notoriété », dit-il. « Du jour au lendemain, j'ai été placé sous les projecteurs. Dans le passé, j'ai toujours opéré de façon anonyme. Le fait d'être sous les projecteurs me rend inconfortable. J'aurai préféré continuer à opérer de façon anonyme. »
Et de conclure sur un sourire :
« Le pire c'est que même chez moi, à Montréal, j'ai été repéré, notamment dans un restaurant libanais, où tout le monde m'avait reconnu un jour où j'avais été invité à déjeuner avec des collègues. Comme si j'étais encore au Liban ! »

« Je suis impatient mais persistant. » C'est par ces mots que Daniel Bellemare résume son ambition de traquer les assassins de Rafic Hariri, une mission qu'il poursuivra avec obstination lorsqu'il siègera, d'ici à trois semaines, en tant que procureur au Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Pour réussir son pari, le chef des...
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