Rechercher
Rechercher

Culture

Bouleversante ré(création) à huis clos

« Ceci n'est pas un lieu d'excellences ni de titres, mais un lieu de douleurs qui devient aujourd'hui un lieu de réussite. » C'est ainsi que s'est exprimée Marie Ghantous, présidente de l'ADDL (Association pour la défense des droits et des libertés), avant de donner la parole à Zeina Daccache pour annoncer la  pièce de théâtre « 12 Libanais en colère »*, présentée sous sa direction, samedi, en première, par les prisonniers de Roumieh.
Durant plus de quinze mois et avec l'aide des autorités libanaises  ainsi que de  la direction de la prison de Roumieh, cet endroit est devenu le laboratoire d'une expérience unique menée à bien par plusieurs associés et parrainée par  l'Union européenne qui a financé ce projet et sans laquelle il n'aurait pas vu le jour. 12 Libanais en colère a donc pris forme et a été présentée samedi en première devant un parterre d'officiels. On notait la présence des ministres de l'Intérieur, d'État pour le développement administratif, et de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, Ziyad Baroud, Ibrahim Chamseddine et Bahia Hariri, mais aussi des juges, Saïd Mirza, procureur général de la République, Chucri Sader, président du Conseil d'État, et des directeurs généraux des FSI et de la Sûreté générale, Achraf Rifi et Wafic Jezzini, de plusieurs diplomates et de l'épouse du président du Conseil, Salwa Siniora.
Mais pourquoi ne pas commencer par la scène finale ? Cet instant où le climat atteint toute son intensité et où l'émotion est à son comble ? Il est presque 17h30 et la  pièce, qui a commencé à 15h30, se termine. Les prisonniers, devenus l'espace d'un après-midi acteurs, chanteurs et danseurs, se tiennent par la main et défilent devant le public qui se lève et les ovationne. Tableau impressionnant. L'homme en prison, le paria de la société, le marginal vient d'être applaudi par l'homme en liberté. Il a été confirmé comme un être productif et pacifique. On lui a fait confiance. On lui a donné une chance de s'exprimer. Il n'est plus en colère.
Flash-back. Deux heures auparavant, douze jurés s'installent autour d'une table. Ils doivent donner un verdict concernant un jeune homme  accusé d'avoir assassiné son père. Ces hommes, hormis un seul, vont s'acharner sur le garçon. La seule voix qui s'oppose ne croit peut-être pas en son innocence, mais cherche à comprendre les raisons qui ont poussé ce jeune à commettre ce crime. Va-t-elle réussir à renverser la donne ?
Situation dérisoire où les bourreaux vont se glisser dans la peau de justiciers. Ils sont au milieu du public. Les barrières sont tombées. Ici, il n'est pas question de menottes, ni de cloisons et pas de lignes de démarcation non plus.  Qu'ils s'appellent Mohammad, Ali, Malek, Gabriel, Jamal ou Atef, qu'ils soient libanais, égyptiens, sri lankais ou syriens,  ils savent tous qu'ils doivent à présent faire tomber les masques en  raisonnant et réagissant  comme « l'autre », ce personnage sans nom et sans visage qui les a, un jour,  placés  derrière ces barreaux.

Une extraordinaire aventure
Et si nous remontons encore  plus en arrière. Au jour où ces prisonniers, au lourd passé criminel, ont accepté de s'embarquer avec  Zeina Daccache  dans cette formidable aventure qu'elle qualifie de « dramatherapy » (un théâtre cathartique qui permettrait à ces incarcérés de montrer l'autre côté du miroir). « Une folle gageure », avait pensé Daccache, mais elle était prête à la mener aussi loin qu'elle le pouvait. Si cette mission paraissait très ardue pour la comédienne et metteur en scène, elle  l'était autant pour ceux-là mêmes qui, sous leur carapace de durs à cuire, dissimulent le plus souvent des blessures très profondes. Comment s'intérioriser, discipliner la gestuelle, maîtriser le mot afin de jouer un rôle et accomplir une performance ?
Deux cents prisonniers se sont présentés pour cette opération. Zeina Daccache a dû en sélectionner 40 et a réussi à répartir les charges. Certains ont assumé la responsabilité de l'éclairage, d'autres les costumes ou encore le décor. Des phrases de Gandhi, de Lincoln et d'autres ornent le mur de la salle. Des chansons composées par les prisonniers eux-mêmes ponctuent la pièce inspirée...et adaptée par la jeune femme.
Certains sketches (entre les différentes scènes de la pièce) parviennent à jeter la confusion. Le public assiste à des parodies dignes d'acteurs professionnels. Il est plongé aussitôt dans l'émoi face à des aveux troublants de la part de certains détenus. En mettant leur âme à nu, ces criminels d'ordre commun désarmés semblent apostropher l'audience  (sans aucun harcèlement) qui se retrouve à son tour dans la peau des jurés. Une sorte de dialogue de confiance s'établit entre spectateurs et acteurs. Un dialogue qui a pris fin sous les vivats mais qui, espérons-le, se perpétuera à travers d'autres initiatives semblables.
Les prisonniers de Roumieh sont sortis bouleversés, mais fiers d'avoir relevé le défi. Ils sont retournés dans leur cellule, ont retrouvé leur solitude après que l'un d'eux ait lancé un profond remerciement, doublé d'un souhait au représentant de l'Union européenne : « Nous vous aimons, a-t-il dit, et nous avons encore besoin de vous pour monter un autre spectacle. »  Il ne faisait que confirmer la certitude que cette initiative unique a besoin de l'appui soutenu de tous afin que la  réhabilitation  de ces détenus et leur acceptation dans la société commencent ici, et au moment même, à partir de la prison. Derrière ces tristes barreaux.

* Les représentations ont lieu tous les samedis jusqu'à fin mars de 15h00 à 17h00. Tél. : 03/162573.
Durant plus de quinze mois et avec l'aide des autorités libanaises  ainsi que de  la direction de la prison de Roumieh, cet endroit est devenu le laboratoire d'une expérience unique menée à bien par plusieurs associés et parrainée par  l'Union européenne qui a financé ce projet et sans laquelle il n'aurait pas vu le...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut