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Actualités - OPINION

Les filles de mon pays

Elles étaient malheureusement libanaises, ces deux jeunes filles rencontrées dans ce grand magasin d’habillement à Doha. L’une d’entre elles était dans le même rayon que moi et examinait sans souci les mêmes articles. Tout à coup, elle s’adressa agressivement à d’autres personnes derrière elles. Je me retournai aussi, tant le ton de sa voix était haut et ses gestes brusques. Une autre jeune fille au visage encore plus dur ne tarda pas à répliquer : « Je te préviens à l’avenir de surveiller tes mouvements pour ne pas avoir de graves problèmes, j’ai trop envie de te casser la figure… » Je reculai car je ne voulais en aucun cas être mêlée à cette chicane. Mais je ne pouvais détourner mon regard d’elles tant leur réaction était violente et leur attitude rustre. Les gestes et les événements s’enchaînèrent avec confusion et ce furent…. les objets qui se mirent à voler au-dessus de ma tête. Elles attrapaient toutes les deux des accessoires dans leurs mains et se les lançaient à la figure. J’assistais à une scène moyenâgeuse et n’arrivais pas à croire mes yeux. La personne âgée se contentait de tirer sa fille par la main en lançant des injures pour la simple raison, répétait-elle, qu’on les attendait. Elles s’éloignèrent enfin, chacune de son côté, laissant derrière elles un désordre indescriptible. Les accessoires traînaient sur le sol, comme seuls indices d’un comportement désastreux. Mon cœur battait fort d’indignation tant le film était cru, osé et honteux. Je regardais autour de moi pour voir si d’autres témoins y avaient assisté, mais hélas personne dans ce magasin populaire ne daignait se soucier de nous. Le monde est sûrement fatigué de nos histoires, me dis-je tout bas. Et les questions commencèrent à se bousculer dans ma tête. Pourquoi les mœurs, la politesse, le respect se sont-ils évaporés et sont-ils devenus si rares de nos jours ? Qu’est-il advenu à la femme libanaise, à la nouvelle génération des filles de mon pays ? Un article de Femme Magazine qui m’avait choquée lors de sa parution, que j’avais enfoui dans mon tiroir, me revint à l’esprit. Cet article, daté du mois d’août, numéro 184, avait suscité maintes controverses dans mon entourage. Un article sur la prostitution de luxe, laquelle prend de l’ampleur au Liban. L’article écrit par Danièle Gergès parlait de Libanaises dont l’âge varie entre 18 et 28 ans. Je ne voulus pas le discuter dans ce journal au moment de sa parution, car le sujet était délicat et une enquête était nécessaire. Cet article ne parlait pas des femmes qui se vendent pour combattre la pauvreté et la misère, pour pouvoir simplement vivre, manger et se réchauffer. L’article décrivait d’autres catégories de femmes, une nouvelle tendance de filles qui veulent vivre au-dessus de leurs moyens, se payer des robes, des accessoires et des voitures de luxe. Des filles qui partent à la chasse d’hommes riches, qui collent pour s’imposer, qui guettent les proies les plus payantes. La guerre civile a modifié la mentalité de la femme libanaise parce qu’elle a beaucoup souffert. La Libanaise était arrivée depuis plus de deux décennies à se prouver qu’elle était l’égale à l’homme, puisqu’elle avait exercé brillamment tous les métiers. Elle était même parvenue à assumer en plus de son travail les tâches domestiques, l’éducation de ses enfants et son rôle social aux côtés de son époux. Son salaire quoique modeste, lui permettait d’améliorer la situation financière de son foyer. Elle continuait malgré ses nombreuses responsabilités à conserver des qualités de cœur et d’esprit et à donner de la tendresse et de l’amour autour d’elle tout en sauvegardant ses principes, et en obligeant son entourage à la respecter. Mais la Libanaise ne réalisait pas l’instabilité de sa condition. Elle se contentait de réussir dans le monde du travail, de gagner sa vie et de savourer sa liberté. Tout allait très bien tant que la vie lui souriait. Ce n’est qu’au moment où des difficultés surgissaient que se révélait la précarité des lois qui la protègent. C’est face à un divorce, à une succession, à une demande de nationalité, à un droit de tutrice de ses propres enfants qu’elle se découvrait dépourvue de droits, diminuée et surtout révoltée face à l’indifférence des autorités civiles et religieuses. Quels sont les facteurs qui ont pu modifier ainsi la femme libanaise ? Serait-elle en train de se défendre tout d’un coup, face aux iniquités qu’elle subissait et continue à subir ? Est-ce le changement de priorités dans ce cruel XXIe siècle et le pouvoir de l’argent qui lui dictent de tels comportements ? Est-ce le harcèlement sexuel qu’elle supporte dans sa vie professionnelle face à une indifférence masculine totale ? Est-ce une réaction vengeresse pour choquer, pour renverser les rôles et réveiller les consciences ? La solidarité féminine est nécessaire, pour que toutes les femmes libanaises, à quelque milieu qu’elles appartiennent, puissent sortir du silence, exiger leurs droits et bénéficier de leur libération totale. La participation maximale des femmes, dans tous les domaines, et à égalité avec les hommes, contribuerait à rétablir sa confiance dans les lois qui la protègent. L’accès au pouvoir de la femme libanaise durant le présent mandat présidentiel serait plus que nécessaire. Sa présence dans la vie politique devrait être plus importante. Cependant son accès au pouvoir devrait s’effectuer dans le seul but d’améliorer la condition de ses consœurs et de supprimer les obstacles à leur émancipation. Il faudrait donc créer un ministère de la condition féminine et établir une parité hommes-femmes au Parlement, en fixant un quota pour les femmes. Ce ministère devrait œuvrer à changer les mentalités. Il devrait annuler les lois discriminatoires à l’encontre des femmes : les lois pénales, celles relatives à l’adultère, au crime d’honneur, à la nationalité que seul le père donne à ses enfants, ainsi que les lois relatives au statut personnel, etc. Tous les Libanais doivent contribuer à un réel changement. Le préjudice psychique et physique causé aux femmes est tel qu’il faudrait un travail de rééducation au niveau des individus. Il faudrait aussi et surtout instituer le mariage civil pour libérer la femme du joug des lois confessionnelles et de l’iniquité des jugements des tribunaux religieux face au divorce. La femme, nous ne le savons que trop bien, n’est pas protégée dans ce domaine. L’iniquité rencontrée dans les tribunaux religieux est énorme car souvent ceux-là protègent la raison du plus fort, qui est celle de l’homme, le plus riche et donc le plus puissant. La communication est donc fondamentale pour construire ensemble l’humanité de demain. Pour que le jour se lève enfin sur des êtres égaux, dignes et respectables, qui acceptent les différences, qui expriment le désir de vivre ensemble, de fonder des familles solides et de construite des nations. La femme ne devrait plus être l’élément faible et jouir d’une protection spéciale. Elle ne devrait plus avoir besoin de tuteur, de pitié, ni d’aumône. « La bienveillance universelle, c’est que chacun vive de son travail et non du travail d’autrui. Hors l’échange et la solidarité tout est vil, honteux, infécond. La charité humaine, c’est le concours de tous dans la production et le partage des fruits», écrit Anatole France. Il nous reste à convaincre ces femmes de préserver leurs vertus, de rejeter toute compromission avec la vulgarité et la brutalité du monde à leur égard. La vertu mal comprise souvent ennuie, se lamentait Confucius, Il espérait rendre le désir de vertu aussi excitant que le désir charnel. Vaste programme ! C’est un honneur pour l’homme d’aider à la libération définitive de sa partenaire, celle grâce à laquelle il existe, il se connaît et il aime. C’est un devoir urgent pour la femme de se libérer et d’arrêter d’être un symbole sexuel ; il lui appartient de savoir que l’état suprême de la beauté, c’est la grâce : « À savoir qu’à un niveau supérieur, le bien et le beau sont unis, que vraie bonté et vraie beauté sont en réalité inséparables. » À la femme, et à elle seule, revient la décision de retrouver la vertu, la beauté et la bonté, et avec elle, exiger et imposer tous ses droits. Andrée SALIBI
Elles étaient malheureusement libanaises, ces deux jeunes filles rencontrées dans ce grand magasin d’habillement à Doha. L’une d’entre elles était dans le même rayon que moi et examinait sans souci les mêmes articles. Tout à coup, elle s’adressa agressivement à d’autres personnes derrière elles. Je me retournai aussi, tant le ton de sa voix était haut et ses gestes...