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Actualités - REPORTAGE

États-Unis Bush quitte la Maison-Blanche avec un bilan extrêmement controversé

Propos recueillis par Antoine AJOURY Guerre contre le terrorisme, invasion de l’Irak, ouragan Katrina, crise financière… Deux experts français analysent pour « L’Orient-Le Jour » le bilan des deux mandats du président américain sortant, George W. Bush. Le président américain George W. Bush quittera ses fonctions demain avec l’une des cotes de popularité les plus basses, moins de 30 % d’opinions favorables, qu’ait connues un président des États-Unis des temps modernes. Ses deux mandats ont été marqués par une série d’épreuves et de guerres. Sa première présidence a commencé avec les attentats du 11-Septembre. Sa seconde avec l’ouragan Katrina. Elle s’achève avec une crise économique et une récession sans précédent. Entre-temps, George Bush a engagé deux guerres – inachevées –, l’une en Afghanistan, l’autre en Irak, au nom de sa guerre contre le terrorisme. Son héritage sur la scène internationale semble assez lourd, la crédibilité de son pays ayant été entamée par des actions unilatérales ainsi que par son désintérêt, surtout durant son premier mandat, pour le conflit israélo-palestinien. À l’heure des bilans, ses huit années de présidence se terminent inéluctablement sur une note négative, et M. Bush risque de figurer parmi les plus mauvais présidents des États-Unis. Selon certains commentateurs, il ne reste qu’à déterminer à quel point il tombe en bas de la liste. La crise économique Sur le plan intérieur, le président Bush a été rattrapé à la fin de son mandat par la crise financière survenue après six années d’évolution économique qu’ont certainement enviée la plupart de ses homologues. M. Bush s’est d’ailleurs longtemps vanté de sa politique économique, évoquant 50 mois consécutifs de création d’emplois et quatre années de croissance interrompue. Pour David Giband, maître de conférences à l’Université de Perpignan et auteur de la Géographie sociale des États-Unis (1), « il faut concevoir la politique de l’administration Bush non pas comme un élément historiquement indépendant dans l’histoire politique américaine (sorte d’accident de l’histoire), mais comme la fin d’un cycle ». Selon lui, « la politique économique des États-Unis – telle que menée pendant huit ans par G. W. Bush – s’inscrit dans la continuité de pratiques opérées dès l’administration Reagan et poursuivies depuis, y compris par l’administration Clinton ; un fait particulièrement avéré pour le second mandat de Bill Clinton. Ce cycle économique se caractérise par une dérégulation de l’ensemble des secteurs et services, le faible rôle dévolu à l’État et enfin le démantèlement du système de l’État Providence (fin de l’assistanat aux pauvres, réductions budgétaires pour l’aide aux handicapés, aux mères célibataires, etc.) ». Pour M. Giband, la singularité de la politique de George Bush se trouve dans l’ajout, d’une part, de théories néoconservatrices et la radicalisation de pratiques néolibérales portées à leur paroxysme. Et d’autre part, dans l’accélération des réformes et du calendrier politique. Dans ce contexte, « les effets des politiques Bush en matière de désagrégation du corps social états-unien sont à comprendre comme une aggravation et une accélération de ce qui avait été entrepris auparavant », estime-t-il. L’accélération des réformes engagées durant les années Bush (dans le domaine de la santé, éducation, Sécurité sociale…) a conduit à une érosion des classes moyennes et au passage d’une « pauvreté persistante » (les années 1970-1980) à une « précarité élargie » (depuis le milieu des années 1990). Puritanisme républicain Il est évident que la crise économique a largement contribué à la perte du camp républicain à la présidentielle. La retentissante victoire de Barack Obama en novembre sur John McCain a été interprétée comme un refus de la politique de Bush. Mais reste à savoir si les Américains rejettent en bloc cette politique illustrée notamment par l’influence de l’idéologie des néoconservateurs et des valeurs de la droite chrétienne. Pour David Giband, « les positions très conservatrices ont pesé certainement dans le choix, mais ne constituent pas le moteur du changement. Car sur nombre de questions, les Américains ont des positions proches de celle de l’administration Bush, comme sur la peine de mort, l’euthanasie… Le pays, encore très marqué par le puritanisme, est peu enclin à remettre en cause la peine de mort ou encore le droit de porter des armes à feu ». L’ouragan Katrina Toujours sur le plan interne, George Bush a également assumé la faillite de l’État face à l’une des plus graves catastrophes de l’histoire des États-Unis, l’ouragan Katrina en 2005. « Katrina fut le révélateur, aux yeux de l’opinion publique américaine, à la fois des effets du démantèlement des structures de l’État nation, notamment celles relatives à la sécurité et à la solidarité, mais aussi d’une certaine hypocrisie du gouvernement fédéral, incapable et peu pressé d’intervenir notamment pour les populations noires et les plus pauvres », affirme David Giband, ajoutant que « l’inégalité criante en matière de traitement après Katrina entre populations noires et blanches et plus généralement entre riches et moins riches a soulevé une forte émotion, déclenchant une première remise en cause sérieuse de la politique Bush ». Crédibilité entamée dans le monde À l’étranger, l’héritage de Bush est dominé par les atteintes portées à la crédibilité américaine dans le monde. Sa guerre contre le terrorisme fut, tout d’abord, entachée par plusieurs scandales : le camp de Guantanamo, les pratiques secrètes du combat antiterroriste, le recours à la torture, la prison d’Abou Ghraib… « À sa décharge, Bush a dû faire face au plus terrible événement qui soit arrivé sur le sol américain. La lutte contre le terrorisme a logiquement dominé sa politique et ses mandats, s’imposant d’elle-même », affirme Yannick Mireur, directeur de la revue Politique américaine et auteur de Après Bush : Pourquoi l’Amérique ne changera pas (2). Le côté « va-t-en-guerre » de la politique de M. Bush a-t-il été influencé par le lobbying des fabricants d’armes et des compagnies de pétrole ? « Je ne crois pas que l’industrie ait joué un rôle dans ses décisions », répond M. Mireur. « En revanche, un esprit militariste qui caractérise la politique américaine au Moyen-Orient depuis le second choc pétrolier et la révolution iranienne (1979) se prolonge, dont George W. Bush est lui-même assez porteur ainsi que Dick Cheney, familier des questions de défense et énergétiques et des questions internationales. » La guerre contre l’Irak Ensuite, George Bush est passé outre à l’opposition de ses alliés occidentaux d’envahir l’Irak et de renverser Saddam Hussein, sans mandat de l’ONU. Pour Yannick Mireur, « l’invasion de l’Irak, après l’intervention légitime et internationalement soutenue contre les Talibans afghans, a évidemment porté un préjudice considérable à la crédibilité des États-Unis, particulièrement dans l’opinion arabe. L’influence d’un néoconservatisme dévoyé a rompu avec le consensus américain qui, malgré des échecs ici et là, a globalement instruit la politique américaine depuis 1945, celle de la retenue dans l’usage de la force et d’un messianisme modéré ». L’action unilatérale de l’administration Bush a par ailleurs troublé ses relations avec l’Europe, mais aussi avec la Russie et l’Amérique latine. Le statut de superpuissance mondiale, que M. Bush a hérité de ses prédécesseurs après la chute de l’URSS, semble ébranlé par son action et sa politique. « Bush a surtout hérité d’une absence de réflexion stratégique sérieuse sur l’après-guerre froide et d’une négligence des questions de sécurité, dont son prédécesseur immédiat, Bill Clinton, porte la responsabilité », dénonce M. Mireur. Selon lui, « Bush n’a pas fait mieux, au contraire, notamment en poussant l’élargissement de l’OTAN et en proposant le déploiement de missiles en Europe de l’Est, qui ne font que braquer la Russie ». « Les États-Unis restent la première puissance mondiale et la crise économique ne changera pas ce statut », note-t-il néanmoins. Le Proche-Orient La politique de l’administration Bush a en outre renforcé l’instabilité et les antagonismes au Proche-Orient, avec son refus de dialoguer avec l’Iran et son désintérêt à résoudre le conflit israélo-palestinien jusqu’en 2007. Il faut toutefois reconnaître à Bush le fait qu’il soit le premier président américain à avoir appelé à la création d’un État palestinien coexistant avec Israël. « La résolution du conflit en Terre Sainte réconcilierait les États-Unis avec l’homme de la rue arabe, mais cela n’arrivera pas. Un fossé de perception se creuse qui devient une prophétie autoréalisatrice, où l’islam est démonisé et le monde musulman assimilé au fondamentalisme. Mais l’American way of life fascine partout dans le monde. C’est donc bien le conflit palestino-israélien qui pose problème », explique Yannick Mireur. « Le néoconservatisme des années Bush et sa vision civilisationnelle furent singuliers, mais aussi une parenthèse », ajoute-t-il. Il faut tout de même noter que les sentiments antiaméricains ne datent pas de la période Bush. Sa guerre contre l’Irak n’a fait qu’exacerber les tensions et la haine qui existaient déjà. On ne peut donc imputer uniquement à George Bush l’échec de son approche et de sa vision concernant le Proche-Orient. « Cela dit, les écarts de développement et l’histoire font que l’approche des questions internationales et de la démocratie restent très différente en Amérique et au Moyen-Orient. Il faut aussi souligner que l’échec de leur modernisation depuis plusieurs décennies, les pays arabes le doivent à eux-mêmes. Et cet échec favorise des mouvements rigoristes ou extrémistes allant des “modérés” type Hamas aux nihilistes type salafistes. Et l’Amérique ne peut seule défaire l’autocratisme qui caractérise la région », affirme l’expert français. En somme, le bilan reste désastreux en matière de politique étrangère. « La Libye compte assez peu par rapport aux problèmes du jour et la Corée du Nord n’a commencé à porter ses fruits que lorsque les Américains ont décidé d’engager des pourparlers. Pas mieux pour l’Iran, que les actions des États-Unis ont propulsé à une position-clé pour la stabilité dans la région », ajoute M. Mireur. Les relations avec la Chine et le Japon offrent en revanche un bilan plus positif, ainsi que les efforts contre le sida en Afrique. Là-dessus, l’influence des évangéliques a été plus bénéfique, conclut-il. Bush fier de son bilan Malgré le flot de critiques, le président américain sortant a affirmé être « fier » de son bilan, avec la conviction d’avoir agi selon sa conscience. « J’ai connu des revers, comme tous ceux qui ont exercé ces fonctions avant moi. Il y a des choses que je ferais différemment si j’en avais la possibilité. Mais j’ai toujours agi en ayant à l’esprit le meilleur intérêt de notre pays. J’ai agi selon ma conscience et j’ai fait ce que je croyais juste », a-t-il dit dans sa dernière allocution radiophonique hebdomadaire. « Vous pouvez ne pas être d’accord avec certaines des décisions difficiles que j’ai prises. Mais j’ai toujours été prêt à prendre les décisions difficiles et j’espère que vous en conviendrez », a ajouté M. Bush. Un espoir en forme de vœu pieux ? (1)Géographie sociale des États-Unis, David Giband, éditions Ellipses, collection Carrefours. (2) Après Bush : Pourquoi l’Amérique ne changera pas, Yannick Mireur, préface Hubert Védrine, Choiseul, Paris, 2008. Les « Busheries » George W. Bush s’est un jour dit « sous-mésestimé »; et en effet, grâce à lui, la langue anglaise s’est enrichie d’innombrables perles, le mythe du cow-boy texan de morceaux de bravoure, et la chronique présidentielle de phrases qui ont fait date. * * * Les « Bushismes » : Sur lui-même, la présidence : « Ils m’ont sous-mésestimé » (Bentonville, Arkansas, 6 novembre 2000) « Il y a un vieux dicton au Tennessee – je sais qu’il y en a un au Texas, probablement aussi au Tennessee – qui dit : Si tu me prends pour un imbécile une fois, honte à toi ; si tu me prends pour un imbécile... on ne peut pas être pris deux fois pour un imbécile » (Nashville, Tennessee, 17 septembre 2002). « Je veux remercier mon ami, le sénateur Bill Frist... Il a épousé une fille du Texas, au cas où vous ne le sauriez pas. Karyn est parmi nous. Une fille de l’ouest du Texas, tout comme moi » (Nashville, Tennessee, 27 mai 2004). Sur le terrorisme, sur la guerre : « Je veux juste que vous sachiez que quand nous parlons de guerre, c’est en fait de la paix que nous parlons » (Washington, 18 juin 2002). « Nos ennemis innovent, ils sont pleins de ressources. Nous aussi. Ils n’arrêtent jamais de réfléchir à de nouveaux moyens de nuire à notre pays et nos compatriotes. Nous non plus » (Washington, 5 août 2004). « Quand j’ai fait campagne ici en 2000, j’ai dit : Je veux être un président en temps de guerre. Aucun président ne veut être président en temps de guerre. Mais moi, j’en suis un » (Des Moines, Iowa, 26 octobre 2006). Sur les relations internationales : « Depuis un siècle et demi, l’Amérique et le Japon forment l’une des plus grandes et des plus durables alliances des temps modernes » (Tokyo, 18 février 2002). « Merci Votre Sainteté. Impressionnant, le discours ! » (Washington, 16 avril 2008, au pape). « Je me rappelle avoir rencontré la mère d’un enfant qui avait été enlevé par les Nord-Coréens ici même dans le Bureau ovale » (Washington, 26 juin 2008). Sur l’environnement : « Je sais que l’homme et le poisson peuvent coexister pacifiquement » (Saginaw, Michigan, 29 septembre 2000). Sur l’immigration : « Ceux qui pénètrent illégalement dans le pays violent la loi » (Tucson, Arizona, 28 novembre 2005). Sur l’éducation : « On se pose rarement cette question : est-ce que nos enfants apprend ? » (Florence, Caroline du Sud, 11 janvier 2000). Sur la santé : « Il y a trop de bons médecins qui arrêtent de travailler. Il y a trop de gynécologues qui ne sont pas en mesure d’exercer leur amour avec les femmes à travers le pays » (Poplar Bluff, Missouri, 6 septembre 2004). Sur la bioéthique : « Le Sénat des États-Unis commettrait une erreur s’il laissait un clonage humain quelconque sortir de cette chambre » (Washington, 10 avril 2002). Quelques phrases pour l’histoire : « Les attaques délibérées et meurtrières menées hier contre notre pays étaient plus que des actes de terrorisme. C’étaient des actes de guerre » (Washington, 12 septembre 2001). « Je vous entends. Je vous entends. Le reste du monde vous entend. Et ceux qui ont fait tomber ces édifices vont bientôt nous entendre tous » (New York, 14 septembre 2001, aux sauveteurs dans les ruines des tours jumelles). « Je veux la justice. Si je me rappelle bien, il y a une affiche dans l’Ouest qui disait : On recherche, mort ou vif » (Washington, 17 septembre 2001 au sujet d’Oussama Ben Laden). « Chaque pays, dans chaque région du monde, doit aujourd’hui prendre sa décision. Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes » (Washington, 20 septembre 2001). « Des États comme ceux-ci, avec leurs alliés terroristes, constituent un axe du mal s’armant pour menacer la paix mondiale » (Washington, 29 janvier 2002 au sujet de l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord). « Mes chers compatriotes, les opérations majeures de combat en Irak sont finies (...) Le tyran est tombé, et l’Irak est libre » (1er mai 2003, du porte-avions USS Abraham Lincoln au large de la Californie). « Il y en a certains qui pensent que les circonstances leur permettent de nous attaquer. Ma réponse, c’est : qu’on les amène » (Washington DC, 2 juillet 2003 au sujet des attaques contre les Américains en Irak). « Le décideur, c’est moi. Et je décide ce qui est le mieux. Et le mieux, c’est que Don Rumsfeld reste secrétaire à la Défense » (Washington, 18 avril 2006).
Propos recueillis par
Antoine AJOURY


Guerre contre le terrorisme, invasion de l’Irak, ouragan Katrina, crise financière… Deux experts français analysent pour « L’Orient-Le Jour » le bilan des deux mandats du président américain sortant, George W. Bush.


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