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Actualités - OPINION

La parole aux spécialistes Le « langage » des bébés, une communication émotionnelle

Par Maha RABBATH* « L’homme est avant tout un être de langage. Ce langage exprime son désir inextinguible de rencontrer un autre ; semblable ou différent de lui, et d’établir avec cet autre une communication. » Françoise Dolto Lorsqu’il vient au monde, le petit homme ne possède pas encore la parole, d’où son nom, « enfant », tiré du latin infans ou infantis, qui désigne l’enfant qui ne parle pas encore (in.privation et fari.parler). Considéré donc comme immature, il fut pendant des siècles réduit à une tabula rasa, ou, pire encore, à un tube digestif totalement passif. Depuis, les choses ont évolué et l’intérêt porté aux tous premiers mois et années de la vie humaine n’a fait que grandir. C’est ainsi que de nombreux chercheurs et psychologues des années 1970 ont étudié le comportement du bébé afin de mieux connaître et comprendre son monde. Mais comment comprendre ce que le bébé perçoit et vit lorsqu’il ne possède pas les mots pour nous le dire ? L’inspiration est venue de l’éthologie, une science créée par les naturalistes pour étudier les animaux. L’éthologie permet de comprendre, en l’absence de langage verbal, le comportement des individus dans leur environnement. À partir de là, les choses allaient enfin changer pour les bébés, l’ère du « bébé astronome » et du « bébé psychologue » était en voie de naître. Les trois dernières décennies ont en effet donné le jour à une multitude de recherches qui ont eu pour résultat de mettre en valeur les diverses compétences du nouveau-né. Pour ce faire, les chercheurs ont déployé toute leur imagination et leur ouverture d’esprit. C’est ainsi qu’ils ont utilisé les moyens que le bébé a à sa disposition (variations dans le rythme de succion ; variations du rythme cardiaque, technique dite « d’habituation », etc.) afin de comprendre les réponses du bébé aux stimuli proposés. Dernièrement, certains auteurs sont allés encore plus loin et leurs recherches s’orientent vers l’étude du fœtus et de ses compétences. On sait aujourd’hui que le bébé possède de nombreuses capacités qui augmentent, se complexifient et s’affinent au fur et à mesure de sa maturation neurophysiologique. L’une des plus importantes pour son avenir psychique est son incroyable capacité de communication et sa prédisposition à entrer en interaction avec l’adulte et le monde qui l’entoure. Cette capacité s’avère comme une évidence pour toute personne prenant la peine d’interagir avec lui. Les mères, elles, ne le savent que trop bien ! Le bébé, émetteur de signaux Comment le bébé interagit-il avec nous ? Par quel langage ? Celui des sensations, celui des émotions. C’est un langage infraverbal. Les bébés vivent dans un monde de sensations, qui s’inscrivent avant tout dans le corps. De nombreux auteurs ont montré que c’est dans le corps que s’enracine la vie psychique, c’est donc aussi par le corps que le bébé exprime ses émotions (joie, colère, plaisir, déplaisir, frustration, satisfaction…). Le langage des bébés est un langage émotionnel. C’est en tenant compte, en prêtant attention, en prenant note des messages corporels envoyés par l’enfant qu’on peut comprendre ce qu’il vit ou ce qu’il veut nous dire. Ces messages corporels prennent des formes diverses, allant des pleurs, des cris, en passant par les mimiques, le regard, la gestuelle, jusqu’à l’attitude, la façon d’occuper l’espace et la tenue corporelle. Un bébé ouvert, détendu, cherchant la communication est un bébé qui nous informe de son bien-être. Un bébé trop mou ou, au contraire, trop raide, un regard absent ou triste sont tous des signaux d’alarme qui nous alertent sur son état émotionnel. En tenir compte est une nécessité, car si le bébé possède une grande soif d’interaction et de communication, il a malheureusement tendance à perdre très vite l’espoir d’être entendu lorsque les adultes qui l’entourent ne sont pas à l’écoute. Ne recevant pas de réponses adéquates aux signaux qu’il émet, il peut alors plonger petit à petit dans un relatif retrait communicationnel. Or la relation est vitale pour le développement psycho-affectif de l’être humain. Un bébé qui se retire de la communication (à divers degrés) est un bébé en danger dans son développement psychique. Pour qu’il y ait langage, communication, il faut pouvoir émettre, mais aussi recevoir des signaux, sans cela il n’y a pas d’échange possible. Le bébé, récepteur de signaux En suivant toujours cette logique du langage émotionnel et en s’aidant des techniques inventées pour saisir ce que le bébé perçoit du monde qui l’entoure, les chercheurs ont découvert que le bébé comprend à sa manière le langage des adultes. Que comprend-il ? Les mots ? Leurs significations ? Très peu probable ! Mais ce qui est aujourd’hui certain, c’est qu’il comprend l’émotion véhiculée par les mots et la ressent dans son corps. Le bébé comprend le langage des adultes de la même manière que les adultes comprennent le message d’une musique. En effet, une musique provoque en nous des émotions, des sensations différentes selon son intensité, sa mélodie, sa prosodie. Une musique peut être apaisante, angoissante, rassurante, inquiétante, etc. Le bébé ne saisit pas le sens du discours, mais il est particulièrement sensible à la musique de la voix, à l’intonation affective, au désir et « au choix plus ou moins conscient des mots » que lui adresse l’adulte. Il comprend donc que vous êtes en colère, irrité, détendu, heureux…il va réagir à ces émotions et vous communiquera à son tour ce que ces émotions auront provoqué en lui comme sensations. On entend souvent les adultes s’étonner de l’éveil précoce des bébés d’aujourd’hui. La réponse est simple : on parle plus au bébé que l’on ne le faisait il y a quelques décennies, tout simplement parce qu’on lui a reconnu le statut de « personne à part entière ». Et c’est justement cette communication qui permet à l’enfant de se développer au meilleur de ses potentialités. Le langage du bébé a ceci d’exceptionnel ; il est universel parce qu’émotionnel. Quelle que soit la langue que vous utilisez en vous adressant au bébé, à condition que ce soit votre langue maternelle, car elle est chargée de plus de vécu, le message passera….N’en est-il pas de même pour la musique ? * Psychologue clinicienne, psychothérapeute, thérapie conjointe parents/bébé, membre de la Spadea (Société de psychothérapie analytique pour enfants et adolescents) et membre fondateur de Nafas – équipe thérapeutique pluridisciplinaire.
Par Maha RABBATH*

« L’homme est avant tout un être de langage.
Ce langage exprime son désir inextinguible
de rencontrer un autre ;
semblable ou différent de lui,
et d’établir avec cet autre une communication. »

Françoise Dolto

Lorsqu’il vient au monde, le petit homme ne possède pas encore la parole, d’où son nom, « enfant », tiré du latin infans ou...