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Actualités - OPINION

Petits souliers

Expliquer ce geste, jugé par certains héroïque. La scène est cocasse en raison du choc de civilisations qu’elle reproduit à l’échelle miniature. D’une part, un homme exprime sa colère en envoyant valser sa chaussure à la tête de l’autre : « Voilà ton baiser d’adieu, chien ! » En face, l’insulté jauge la pointure d’un œil expert (du 44), et ne semble pas saisir d’emblée l’intention vexatoire du mot « chien ». Bien sûr, Bush fait l’idiot pour se donner une contenance. Mais il n’est pas exclu, rêvons, qu’un usage prolongé du « politiquement correct », cette langue tatillonne, procédurière et prétendument dépourvue d’arrière-pensée, ait neutralisé en Bush le récepteur de gros mots. Pour l’Américain, la chaussure est un accessoire noble qui possède une identité, des mensurations (oui, 44 !), des qualités artisanales et bénéficie même de certains soins. Pour l’Américain, le chien est un compagnon fidèle qui ne mérite pas la mauvaise réputation qu’on lui fait. Résultat : Bush sourit, embarrassé, tandis que le chef de la diplomatie irakienne se décompose à ses côtés, offusqué. Ceci pour en venir à l’étrange rapport que nous autres Arabes entretenons à la chaussure. Le mot lui-même dans notre argot est chargé d’infamie. Traiter un Européen de « chaussure » serait aussi saugrenu que de le qualifier de « frigo » ou de « chemise ». En arabe, c’est autre chose. La brave semelle qui racle nos chemins porte le poids de nos carcasses, protège nos plantes fragiles, n’a pas accès aux lieux sacrés. Impure, la chaussure s’arrête en Orient aux marches des mosquées, comme au Japon au seuil des demeures. C’est qu’elle y ferait pénétrer des contingences qui répugnent au ciel ou aux lares. Mais o mores, ailleurs, à l’approche de Noël, les petits souliers sont à la gloire. Ce sont eux qui, alignés près de la cheminée ou à défaut, du sapin, serviront de prétexte à la magie des cadeaux. Neufs ou usés, du 18 au 45 au moins, leur contenu ne sera jamais proportionnel à leur taille. C’est que le soulier imprime dans ses déformations nos vies telles qu’elles se déplacent, nos fatigues et nos joies. Le soulier, que la politique a mis sous les projecteurs cette semaine, mériterait un autre regard. ¦ Fifi Abou Dib
Expliquer ce geste, jugé par certains héroïque. La scène est cocasse en raison du choc de civilisations qu’elle reproduit à l’échelle miniature. D’une part, un homme exprime sa colère en envoyant valser sa chaussure à la tête de l’autre : « Voilà ton baiser d’adieu, chien ! » En face, l’insulté jauge la pointure d’un œil expert (du 44), et ne semble pas saisir...