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Actualités - interview

Interview Joumblatt : À partir du moment où le régime syrien se sentira à l’aise, le Liban est fichu Michel HAJJI GEORGIOU

On a beau faire, on a beau dire : 7 mai 2008 ou pas, Walid Joumblatt reste Walid Joumblatt. Le ton est certes modulable en fonction des circonstances, mais les positions de base ne changent guère. Après les événements de Beyrouth et de la Montagne, le chef du Rassemblement démocratique est conscient que, sur le plan interne, ne pas œuvrer dans le sens de la réconciliation et du pansement des plaies intercommunautaires, c’est saper aujourd’hui les fondements de la paix civile. La position n’est pas neuve : lors de l’assassinat de Ziad Kabalan et Ziad Ghandour, en avril 2007, ainsi qu’à diverses autres occasions, Walid Joumblatt avait également œuvré pour l’apaisement des tensions. Mais ce qui vaut pour l’intérieur, cette trêve politique quelque peu forcée et en évolution constante avec le Hezbollah ne saurait entrer en vigueur avec le régime syrien ; et ce en dépit du « mécontentement » que la fronde souverainiste de Walid Joumblatt continue de susciter chez certains pôles du 8 Mars avec lesquels il a initié le processus de réconciliation. Walid Joumblatt est loin d’être victime de l’engouement – et le mot est faible –, qui frappe actuellement certains leaders politiques à l’égard de la Syrie. Bien au contraire. Concernant les ouvertures occidentales en direction du régime de Damas, la possibilité d’un réel change of behavior du pouvoir syrien, ou encore la dissociation entre Damas et Téhéran, le chef du Rassemblement démocratique reste irrémédiablement sceptique : « Bachar el-Assad fait les doux yeux aux Occidentaux, et l’Occident tombe dans le piège, comme d’habitude. Le régime syrien est un réservoir, habile et intelligent, de terroristes, qu’il vend argent comptant, au compte-gouttes. En échange, il se pose en régime laïc, tolérant, en prétendant qu’il représente la stabilité. En même temps, il utilise les terroristes en Irak et au Liban pour déstabiliser, de même que ses propres taupes disséminées un peu partout dans les pays d’Europe. El-Qaëda a bon dos ; elle n’est pas centralisée. Cela se passe autrement chez Bachar el-Assad. Et voilà, les Français ont été chez lui, puis maintenant les Américains vont leur emboîter le pas : tout le monde va pour solliciter Bachar. » Walid Joumblatt a applaudi à la victoire de Barack Obama aux États-Unis, mais pour l’évolution substantielle que cela représente sur le plan socioculturel américain interne. « On ne peut pas ne pas saluer la victoire d’un homme de couleur, qui vient briser des générations de ségrégationnisme. Pour le reste, on n’a rien vu encore », dit-il. Mais Joumblatt n’est pas dupe : « Les États-Unis vont autoriser leur ambassadeur à retourner à Damas. Ils vont entamer des discussions avec le régime syrien sous le prétexte d’essayer de le dissocier du régime iranien, du Hamas et du Hezbollah, dans le cadre de toutes ces théories que les centres d’études élaborent là-bas et qui, le plus souvent, ne mènent à rien. De 1973 jusqu’à 2000, le régime syrien a su comment marchander avec l’Occident aux dépens du Liban. Il n’a plus besoin aujourd’hui d’envoyer ses troupes ; il peut continuer d’affirmer qu’il dirige certaines fractions au Liban et que nul ne peut se passer de lui pour le maintien de la stabilité. Le Golan, lui, peut bien attendre les calendes grecques... » Empêcher le trafic d’armes Le chef du PSP se félicite certes de l’établissement des relations diplomatiques par le biais des efforts du président français Nicolas Sarkozy. « D’accord, c’est très bien. Et les bases palestiniennes prosyriennes en dehors des camps ? Ces bases servent à infiltrer au Liban tout genre d’armes et de terroristes, de Naameh à Koussaya. Comment Chaker el-Absi est-il entré au Liban ? Et maintenant Awad à Saïda ? La France peut-elle aider le gouvernement libanais à fermer ces bases ? Déjà, s’il n’y a pas de contrôle des frontières, tout reste inutile. Il faut avant tout empêcher le régime syrien d’approvisionner en armes les terroristes au Liban. Chaker el-Absi était en prison chez eux, et ils en ont plein comme lui encore », note-t-il. « Le régime syrien n’est pas susceptible de changer de comportement. Tout, pour lui, dépend des conjonctures. À partir du moment où ce régime se sent à l’aise, le Liban est fichu. C’est pourquoi il faut le maintenir sous une pression diplomatique constante », souligne M. Joumblatt. Un message adressé à Paris et Washington. « Si la France et les États-Unis peuvent aider à démanteler les bases palestiniennes en dehors des camps, obtenir le tracé des frontières et régler la question des détenus libanais en Syrie, en l’occurrence les points qui avaient fait l’unanimité lors du dialogue national de 2006, c’est excellent. Si même ils peuvent aider à dissocier la Syrie de l’Iran, c’est encore mieux, mais cette dissociation, je n’y crois pas trop personnellement. On leur souhaite bonne chance. Il faut cependant qu’ils sachent que les Syriens feront tout pour gagner du temps », dit-il. Pour un Liban pacifié et non aligné Sur ses relations actuelles avec le Hezbollah, Walid Joumblatt répond simplement : « Si les circonstances politiques permettent à sayyed Nasrallah de me voir, je suis pour l’établissement d’un dialogue, quitte à ce que chacun maintienne ses positions. On pourra discuter de la guerre de 2006, par exemple. Loin des grandes théories et des grandes stratégies, mon objectif est d’effacer ce qui reste encore comme petites séquelles du 7 mai 2008. Pour le moment, je laisse de côté mes critiques au sujet du wilayet el-faqih. Je déploie mes efforts pour la réconciliation et pour gagner les élections. En attendant, un de ces jours, la conclusion d’une stratégie de défense dans le cadre de laquelle le Hezbollah serait incorporé à l’armée. Cet engagement progressif doit avoir lieu : il n’y a pas d’autres solutions. Cela a pris de nombreuses années en Irlande ; il faut donc beaucoup de patience. Évidemment, il ne s’agit pas ici de la stratégie de défense qui cherche à distribuer des armes à tout le monde : celle-là relève de la folie. » « Nous sommes bien pour la décentralisation administrative, elle existe dans Taëf et elle doit être initiée ; mais, sur le plan militaire, il y a déjà trop de décentralisation. Il faudrait donc centraliser un petit peu », plaisante-t-il. Pour Walid Joumblatt, les élections de 2009 doivent être menées, côté 14 Mars, sur les thèmes suivants : la défense de l’indépendance, des libertés, du pluralisme libanais et, surtout, le refus du joug syrien, direct ou indirect. L’objectif, dit-il, est d’aboutir à un Liban pacifié, qui ne serait pas un enjeu de bataille servant aux desseins syrien et iranien ; un Liban non aligné, qui ne soit pas un champ d’expériences. « Par ailleurs, certains ténors parlent de remettre en cause Taëf : ce serait très dangereux, et contribuerait à créer de nouvelles frictions entre chiites et sunnites. Nous pouvons très bien examiner avec le président Sleiman les dispositions constitutionnelles qui paralysent ou entravent son activité sans cette surenchère chrétienne. La défense de Taëf, c’est aussi l’attachement au traité d’armistice avec Israël, qui est essentiel et dont le 8 Mars ne veut pas, ou encore les relations d’État à État avec la Syrie, qui ont été paralysées par le Conseil supérieur libano-syrien. Et puis on nous a coiffé du cadeau empoisonné des hameaux de Chebaa. Mais la question de Chebaa est plus facile à régler : il suffit que la Syrie reconnaisse officiellement le caractère libanais de ce territoire, avec un document écrit à l’appui. Par contre, si l’on doit commencer à tracer la frontière au Nord, cela prendrait 200 ans, avec tous les problèmes territoriaux en suspens avec la Syrie », note-t-il. Créer un contrepoids Walid Joumblatt revient ensuite à la charge : « Le Liban ne saurait être l’enjeu de négociations. Netanyahu, qui risque d’arriver au pouvoir en Israël, pourrait prendre le chemin du dialogue avec la Syrie. Si Damas peut lui garantir la frontière nord, Netanyahu ne fera que très peu de cas du Liban. Israéliens et Syriens se ressemblent énormément et se retrouvent dès lors qu’il s’agit du Liban ; d’ailleurs les guerres entre les deux au Liban n’étaient que des accidents stratégiques. Après la débâcle en 2006, les Israéliens sont devenus pragmatiques : si Damas peut leur garantir la sécurité de leur frontière nord, ils lui accorderont une influence au Liban. La seule arme de dissuasion que nous possédons contre le régime syrien, c’est le tribunal international, et nous sommes toujours dans l’attente. Déjà, l’an dernier on disait ce sera l’an prochain ; Walid Eido et Antoine Ghanem ont péri entre-temps. » Le chef du PSP a également le fameux « Traité de fraternité et de coopération » avec la Syrie de 1991 dans la ligne de mire : « Si la coordination sécuritaire syro-libanaise se fait d’État à État, il n’y a aucun problème. Mais il faut revoir les clauses de ce traité, qui a fondé le Conseil supérieur libano-syrien. Quelque part, nous sommes complètement arrimés au régime syrien par ce traité. Or nous faisons partie de la Ligue arabe et c’est dans ce cadre que la coopération sécuritaire devrait avoir lieu. Si le 14 Mars ne gagne pas les élections, le Traité de fraternité et de coopération va rester opérant. Mais ce n’est pas tout : les médias aussi sont en danger, comme le prouve l’agression contre Omar Har’ouss à Hamra et certaines menaces contre des journalistes libres. La victoire des autres, c’est aussi leur saisie du pouvoir officiellement, par le truchement de l’armée, des services de sécurité, sans compter que les témoins éventuels pour le tribunal n’oseront plus sortir de chez eux. Ils sont peut-être déjà en train de disparaître, d’ailleurs. Si nous perdons les élections, les Syriens contrôleront le pays avec une télécommande. Notre victoire pourrait au moins rétablir la balance, créer un contrepoids politique. »
On a beau faire, on a beau dire : 7 mai 2008 ou pas, Walid Joumblatt reste Walid Joumblatt. Le ton est certes modulable en fonction des circonstances, mais les positions de base ne changent guère. Après les événements de Beyrouth et de la Montagne, le chef du Rassemblement démocratique est conscient que, sur le plan interne, ne pas œuvrer dans le sens de la réconciliation et du...