Humeur Les ignares !

Maria Chakhtoura Lecture est orpheline. Orpheline et mal en point alors qu’elle avait connu des jours meilleurs où elle était belle, bichonnée par ses parrains et appréciée par les automobilistes et les passants, heureux de croiser une œuvre d’art sur leur passage. Lecture est la sculpture de Mireille Honein qui trône à l’entrée de l’un des beaux immeubles d’Achrafieh, ces « twin towers » qui font face au Centre Sofil. L’artiste l’avait offerte à la ville de Beyrouth et décision avait été prise de l’installer à cet endroit avec cérémonie officielle qui avait regroupé, autour d’elle, tout le gratin administratif et mondain, « discourailles » et tutti quanti. À l’époque, Élie Nahas, directeur de ce qui était encore l’ABN Amro Bank dont le siège était dans l’immeuble, l’avait adoptée. La banque avait alors pris en charge l’agrandissement (réalisé en France) du bronze initial haut seulement de 14 cm, le transport et les frais d’installation, assurant par la suite les soins nécessaires à sa conservation. Car une œuvre d’art aussi a besoin de soins pour rester belle. Mais tout cela c’était hier. Aujourd’hui, Lecture est en piètre état pour plus d’une raison. L’ABN Amro Bank a quitté les lieux et plus personne ne s’occupe de la sculpture. Sa résine ne brille plus. Elle a une couleur plutôt terne, écorchée par-ci, égratignée par-là, ses épaules sont poussiéreuses, comme d’ailleurs le grand livre ouvert sur ses genoux. Les premières servent souvent de penderie et le second de support à l’attirail des gardiens d’une ambassade voisine. Automobilistes et passants essayent encore de la deviner derrière une ridicule haie de plantes destinées à cacher (ou protéger) on ne sait qui d’on ne sait quoi. Des responsables à l’état de Lecture ? Il y en a certes. Les uns se disent impuissants et sans ressources ! Les autres font la sourde oreille. Et puis est-ce le moment de parler d’une sculpture, nous dira-t-on, alors que le pays danse sur un volcan et qu’une population entière est orpheline ? Mais faut-il attendre une solution à toutes nos misères, la Saint Glin Glin en d’autres termes, pour s’occuper du patrimoine culturel ? Dans ce cas, bientôt il n’y aurait plus rien à conserver. Et rien à apprécier.