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Actualités - OPINION

Le point Au roi !

par Christian Merville Provoquer la chute d’un gouvernement en occupant des aéroports… Curzio Malaparte n’a pu avoir en tête cette bien étrange cible en rédigeant un ouvrage jugé en son temps plutôt mineur, ce Technique du coup d’État devenu très vite la bible de tous les aspirants-putschistes. Il faut dire que dans l’entre-deux guerres, l’aéronautique en était encore à ses premiers balbutiements et ne pouvait représenter une cible de choix, à l’instar des sièges de certains ministères ou d’organismes paragouvernementaux. Du reste, ce farceur de Kurt Erich Suckert – tel est le nom véritable de notre professeur ès-pronunciamentos – n’avait conçu son manuel du parfait révolutionnaire que comme un objet de délassement, presque une pochade pour étudiants attardés. La coalition de royalistes, d’intellectuels et de représentants de l’élite des affaires qui, à Bangkok, vient d’obtenir la chute des porte-voix de Thaksin Shinawatra, l’homme qui fait et défait les ministères, n’avait pas, elle, le cœur à la plaisanterie en lançant les membres de l’Alliance du peuple pour la démocratie (PAD) à l’assaut de l’un des poumons de la Thaïlande. C’est là d’ailleurs la raison pour laquelle, passé le premier moment de surprise, leur audace, leur ingéniosité aussi ont été récompensés, au-delà de leurs espérances. Les tombeurs de Somchai Wongsawat ont gagné par asphyxie, après avoir occupé les bâtiments et les pistes d’atterrissage à Suvarnabhumi et Don Muang, paralysant du coup la vie du pays, faisant dire aux observateurs que l’événement était, pour les affaires, « pire que le tsunami de 2004 ». Que l’on y songe : en ces lieux privilégiés par où transite la majeure partie des activités économiques sont présentes près de cent compagnies d’aviation dont les appareils desservent 68 pays, assurent 250 000 vols par an, transportent quotidiennement 100 000 passagers et 1 209 720 tonnes de marchandises, soit 3 pour cent du fret mondial. L’arrêt du trafic a causé des pertes estimées à 14 millions de dollars par jour et porté un rude coup au tourisme, où un million d’emplois sont désormais menacés. Mais le cœur de la bataille se situe ailleurs. Au siège de la Cour constitutionnelle d’abord, un moment encerclé par les partisans du gouvernement et dont les membres ont dû se réfugier au tribunal administratif de la capitale pour prononcer la dissolution, pour fraude électorale lors du scrutin de l’an dernier, de trois des six partis qui forment la majorité, dont les dirigeants sont écartés de la vie politique pour cinq ans. L’autre centre de la partie qui vient de se jouer se trouve au palais, où le roi Bhumibol Adulyadej est engagé dans un duel implacable avec son ennemi de toujours, l’inoxydable Thaksin, hier chef de la police, aujourd’hui milliardaire par on ne sait quelle grâce bien peu divine, qui rêve de supplanter son maître et qui jouit d’une incontestable popularité en pays thaï. Sur son chemin se dresse un homme adulé par ses sujets mais qui, à 81 ans, malade et très affecté dit-on par le décès de sa sœur, la princesse Galyani, a perdu beaucoup de son punch. Certes, la monarchie absolue a été abolie en 1932 mais, même amoindrie, son titulaire actuel avait dû faire face, en 1974 et 1992, à deux soulèvements populaires en faveur de plus de libertés. À chacun de ces mouvements, Sa Majesté Rama IX avait su attendre son heure avant de riposter, détournant contre ses adversaires les armes pointées contre lui. Cette fois, la tactique pourrait ne pas s’avérer payante. Les temps ont changé, l’ennemi est autrement plus implacable que les foules bon enfant des années de prospérité. Qui plus test, l’aura royale, force est de le reconnaître, a faibli. Qui plus est, au « pays du sourire », la politique – dans le sens le plus étriqué du terme – menace à tout moment de reprendre ses droits, puissamment aidée par la fortune de celui qui s’est promis de ne plus être un simple mentor, trop longtemps, juge-t-il, condamné à l’exil pour échapper à de lourdes peines de prison pour corruption. Un successeur au Premier ministre sortant doit être désigné lundi prochain. Pour peu que l’on veuille respecter les règles, celui-ci ne peut être qu’un proche de Thaksin, dont les partisans se sont dépêchés de mettre sur pied une nouvelle formation,le Pheu Thaï, susceptible de compter sur 283 voix, alors que la majorité requise est de 224 et que l’opposition ne dispose que de 165 députés. La décision finale ne fait donc pas l’ombre d’un doute. Sur le papier du moins, car il reste deux éléments d’importance : le palais, où l’on attend du trône qu’il abatte la carte qu’il cacherait dans sa manche et les casernes où l’armée n’a pas encore fait entendre sa voix. Il reste aussi cette vox populi qui vient de se manifester comme l’inattendu quatrième pouvoir. Cela fait beaucoup de monde dans un pays qui fut celui d’un sourire aujourd’hui disparu sous le double effet de la crise économique et politique.
par Christian Merville

Provoquer la chute d’un gouvernement en occupant des aéroports… Curzio Malaparte n’a pu avoir en tête cette bien étrange cible en rédigeant un ouvrage jugé en son temps plutôt mineur, ce Technique du coup d’État devenu très vite la bible de tous les aspirants-putschistes. Il faut dire que dans l’entre-deux guerres, l’aéronautique en...