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Actualités - OPINION

III - Le loup dans la bergerie libanaise Amine ISSA

L’Égypte est le pays d’origine d’Ayman el-Zawahiri, numéro deux de la nébuleuse terroriste. Il y a fait ses premières armes et y organise dans les années 90 une série d’attentats. Il est issu du Jihad islamique, groupe radical clandestin, qu’il a quitté pour rejoindre Oussama Ben Laden. Or cette organisation, qui aurait pu lui servir de relais pour s’implanter en Égypte, connaît une mutation. Sayyed Imam al-Sharif, son leader emprisonné, a, le 5 mai 2007, annoncé que son organisation regrettait les violences qu’elle avait initiées (6). Le 24 septembre de cette année, un iftar est organisé par les autorités dans une prison au Caire où sont retenus Sharif et des dirigeants de la Jamaa islamique, autre groupe terroriste. Six jours plus tard, la même Jamaa islamique propose à l’État égyptien « une réconciliation historique » (7). L’importante organisation des Frères musulmans ayant elle aussi renoncé à la violence, il sera difficile dans ces conditions à el-Qaëda de trouver en Égypte des alliés susceptibles de l’héberger (voir L’Orient-Le Jour des mardi 18 et jeudi 20 novembre 2008). En Tunisie et au Maroc, depuis 2003 à 2007, seuls trois attentats ont été perpétrés. Ces deux pays collaborent étroitement avec l’Union européenne pour combattre les cellules terroristes (en juin 2007, des complices des auteurs des attentats au Maroc sont jugés en France) et la Tunisie a adopté en décembre 2003 une loi antiterreur comportant une définition relativement large du terrorisme, ce qui permet une répression sans état d’âme. Seule l’Algérie a subi une forte recrudescence des attentats depuis 2007. Dix-huit attentats et des centaines de morts en deux ans, dont le dernier remonte au 28 septembre. Ils sont pour la plupart revendiqués par el-Qaëda pour le Maghreb islamique, nom que le GSPC (8) algérien a pris depuis qu’il a rallié le 11 septembre 2006 el-Qaëda. L’Algérie serait-elle le prochain refuge des terroristes errants ? Le patron du BND, service de renseignements allemand, semble le confirmer. Il prévoit le transfert des camps d’entraînement d’el-Qaëda du Pakistan et d’Afghanistan au Sahel, au nord du Mali et de la Mauritanie, à la frontière de l’Algérie où el-Qaëda pour le Maghreb islamique est implanté depuis plusieurs années. Il cohabite avec difficulté avec les Touaregs maliens, révoltés contre le gouvernement de Bamako. Mais Ibrahim Ag Bahanga, leur coordinateur général, reconnaît que, faute de moyens, il ne peut à lui seul réprimer les terroristes qui tentent d’enrôler sa rébellion dans des opérations d’enlèvements de touristes, ce qui dessert sa cause. Il ajoute que les États-Unis ne lui ont adressé aucune aide (8). Le Sahel et l’Algérie semblent donc être la destination la plus probable d’el-Qaëda, mise en difficulté dans ses bases précédentes. Qu’en est-il de la Syrie et du Liban ? Je commencerais par rappeler les attentats et incidents qui ont secoué la Syrie depuis deux ans. Le 24 juillet 2007, une explosion survient dans un complexe militaire à Alep. Le bilan est de 15 morts. Le 24 juillet 2007, cheikh Mahmoud Abou Kagkag, connu pour organiser le passage de combattants islamistes en Irak, est assassiné, également à Alep. Le 12 février 2008, Imad Moughnié, le chef des opérations du Hezbollah, est tué à Damas dans un attentat à la voiture piégée. L’agence officielle SANA annonce que le 5 juillet, une mutinerie a éclaté dans la prison de Saydnaya, à quarante kilomètres au nord de Damas. Menée par des détenus islamistes, sa répression aurait provoqué la mort de 25 prisonniers. Le 1er août, le général Mohammad Sleimane, proche collaborateur du président Assad et officier de liaison avec le Hezbollah, est abattu par un franc-tireur. Le 27 septembre, une voiture explose près du mausolée de Sitt Zeinab, région fréquentée et habitée par des pèlerins et des hommes d’affaires iraniens. Plusieurs noms d’officiers syriens ont été cités parmi les victimes de l’attentat. Enfin, le 9 octobre, le camp de réfugiés palestinien de Yarmouk est le théâtre d’affrontement entre des islamistes et les forces de sécurité syriennes. La Syrie, le 28 septembre, accuse des islamistes d’être à l’origine de l’attentat du 27 ; elle annonce que la voiture piégée venait d’un pays arabe voisin. Le président Assad, le 29, met en cause le Liban en affirmant que le nord de Tripoli est un repaire de terroristes. Après le déploiement de troupes à la frontière du Akkar, le 21 septembre, s’effectue un déploiement au nord de la Békaa, le 7 octobre. Les adversaires de la Syrie au Liban et ailleurs y ont vu une tentative du régime baassiste de revenir au Liban sous prétexte de se protéger de nouvelles attaques. C’est possible. Mais il est une autre explication qui s’adapte mieux à notre analyse et qui n’annule pas nécessairement la première. Le régime alaouite, minoritaire dans un pays sunnite, a été jusque-là épargné par la vindicte d’el-Qaëda pour la simple raison, qu’à ce jour, il refuse toute normalisation avec Israël. Il est vrai que d’autres pays arabes qui n’ont pas signé de traité de paix avec Tel-Aviv sont les victimes d’attentats. C’est leur relation avec Washington qui les rend coupables. Or le président Assad, aux yeux d’el-Qaëda, a commis ces deux années trois fautes. Il a accepté à l’insistance des Américains de restreindre le passage de combattants arabes en Irak ; il négocie avec Israël, sans rompre avec le régime iranien chiite honni. Il n’en faut pas plus pour que la Syrie devienne une nouvelle cible. Les Iraniens ont à ce sujet interdit à leurs dirigeants et à ceux du Hezbollah de se rendre en Syrie (9). Nawaf Moussawi, responsable des relations extérieures du Hezbollah, sans démentir la nouvelle, en a atténué l’importance (10). Vu la chape de plomb qui pèse sur la Syrie, on connaît mal les organisations terroristes présentes sur son territoire. Les médias syriens ont pointé du doigt deux d’entre elles, Ghouraba al-Cham, fondée par Abou Moussaab al-Sourri, un ancien de l’Afghanistan, actuellement en prison aux États-Unis, et  Jund el-Cham. Ces informations sont à prendre avec beaucoup de prudence. Il n’en reste pas moins qu’en Syrie, quadrillée par les services de renseignements, la mouvance islamique, sans pouvoir s’implanter ouvertement, trouvera des relais auprès d’une société majoritairement sunnite. Les banlieues tentaculaires des grandes villes du pays sont des repères de choix où des prédicateurs fondamentalistes officient dans des mosquées dont la surveillance ne peut être sans failles. Au Liban, les islamistes sunnites sont, depuis la création du Liban, présents d’une manière ou d’une autre sur la scène politique. Le nombre des organisations y est considérable. Il n’est pas possible dans le cadre de cet article de retracer leurs trajectoires et de les nommer toutes. Je privilégierai une approche événementielle. Je débuterai avec la guerre menée à Nahr el-Bared contre Fateh el-Islam en mai 2007, quand cette organisation prétendait ériger un Émirat islamique. Ensuite il y eut les deux attentats contre la Finul, les 26 juin 2007 et le 8 janvier 2008, revendiqués par la même organisation. Ayman el-Zawahari entre en jeu le 22 avril 2008 en faisant diffuser sur Internet un enregistrement où il dit que « le Liban va jouer un rôle pivot dans la lutte contre les croisés et les juifs ». Puis il y eut les deux attentats du 13 août et du 29 septembre à Tripoli, et l’arrestation de leurs auteurs le 12 octobre, sans qu’on ne connaisse leur affiliation. Il existe au Liban trois groupes distincts d’islamistes. Le premier, représenté principalement par la Jamaa islamique et les ahbache, joue la carte de la légalité. Le second, les salafistes et wahhabites sont issus d’une même matrice. Ils sont plusieurs dizaines de formations nées de scissions successives. Mal organisés, sans grand moyen, ils sont surtout montés verbalement contre les chiites depuis le coup de force du 7 mai. Ceux qui nous intéressent sont d’abord le groupe dit de Dinnieh, du nom de la région qui connut des affrontements en 2000 et dont certains éléments, relâchés en 2005, ont rejoint Fateh el-Islam. Ensuite le groupe des « Treize », arrêtés avec leur chef, Hassan Nabba, en 2005, qui est accusé d’avoir monté un réseau d’exfiltration de combattants vers l’Irak. Certains de ses membres courent toujours. Enfin Fateh el-Islam, sur lequel en définitive on sait peu de choses sauf que ses combattants qui ont échappé à l’encerclement de Nahr el-Bared sont aujourd’hui réfugiés dans des camps palestiniens, sous la protection de Jund el-Cham et d’Ousbat el-Ansar. C’est justement ces deux organisations liées ouvertement à el-Qaëda qui méritent le plus d’attention, car c’est à elles que pourrait s’adresser Ayman el-Zawahiri s’il confirmait son intention d’intervenir au Liban. D’abord à cause de leur affiliation ; ensuite en raison de la géographie du Liban et de l’exiguïté de son territoire, il est difficile à des groupes de terroristes de s’entraîner et de monter des bases sans être repérés. Les camps palestiniens restent leur meilleur refuge. Ils l’ont compris et s’y barricadent. Le loup dans la bergerie a-t-il décidé de passer aux actes ? Les attentats mentionnés plus haut en sont-ils le prélude ? Al-Hayat, dans sa livraison du 2 octobre, rapporte que le président Assad aurait demandé au président Sleiman, lors de sa visite à Damas, d’instaurer une coopération entre les deux pays pour contrer la menace terroriste qui pèse sur les deux pays. Le 4 octobre, le même journal, citant une source diplomatique française au Liban, confirme cette menace. Le 16 octobre, le directeur du renseignement libanais rend une visite à son homologue syrien. Le 17, le journal al-Safir cite les propos d’un enquêteur libanais qui révèle que l’un des membres de la cellule tripolitaine arrêté aurait effectué à partir de son portable des appels en Syrie, à la veille de l’attentat de Damas du 27 septembre. Tout cela est au conditionnel. Est-ce de l’intox orchestrée par Damas, pour couvrir ses intentions belliqueuses à l’égard du Liban ? Le loup serait-il un agneau déguisé ? L’on en saura plus au prochain attentat… 6- « The New Yorker », 2 juin 2008. 7- « al-Hayat », 1er octobre 2008. 8- « Courrier International » n° 936. 9- « Yediot Aharonot », 2 octobre 2008. 10- « al-Safir », 21 octobre 2008. Article paru le vendredi 21 novembre 2008
L’Égypte est le pays d’origine d’Ayman el-Zawahiri, numéro deux de la nébuleuse terroriste. Il y a fait ses premières armes et y organise dans les années 90 une série d’attentats. Il est issu du Jihad islamique, groupe radical clandestin, qu’il a quitté pour rejoindre Oussama Ben Laden. Or cette organisation, qui aurait pu lui servir de relais pour s’implanter en...