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Actualités - OPINION

Yallah !

« Vers qui pourrais-je aller aujourd’hui pour lui porter un peu de bonheur ? » Et la tête dans les étoiles, les pieds dans les ordures, sœur Emmanuelle allait, trébuchant dans les fondrières et les ruisseaux de boue, porter ce mot de chez nous aux plus nus de la terre : « Yallah ! » J’ai entendu des collègues se plaindre qu’il n’y avait pas d’info ces jours-ci. Il est vrai que par une étrange conjoncture, nous sommes épargnés par les guerres en ce moment. La crise économique ne nous inquiète pas encore. D’ailleurs, nous faisons nôtre ce vers célèbre de la poésie arabe : « Je suis le noyé, qu’importe que je sois mouillé. » Tant que nos vies ne sont pas menacées, peu nous chaut tout le reste. Aux événements spectaculaires, attentats et destructions massives qui furent notre lot jusqu’à présent, succèdent en ce moment des événements plus discrets et pourtant majeurs. Un ministre met en jeu sa démission à cause des inondations provoquées par les premières pluies. Voilà des années que nous commençons l’automne les pieds dans l’eau, qui s’en souciait ? Les femmes, encouragées par le « Women Empowerment », réclament une parité dans ces clubs de mâles que sont le Parlement et le gouvernement au Liban. Elles réclament aussi le droit de donner leur nationalité à leurs enfants. Il y avait longtemps qu’on ne les avait pas entendues, ces citoyennes de seconde zone infantilisées par le patriarcat ambiant. Les jeunes, politisés dès le biberon, réclament l’abaissement de la majorité civile à 18 ans. Depuis le temps qu’on leur fournit des armes, il serait plus sain de leur donner une voix. Les agents verbalisent l’usage du portable au volant et l’absence de ceinture de sécurité. Est-il bien derrière nous, le temps où ces mesures eussent paru absurdes ? Les priorités étaient ailleurs. Bienvenue dans la vraie vie ! Les jours sans « info », c’est-à-dire, pour nous, journalistes, sans bifteck, je repense à ce souvenir évoqué par Michel Tournier. Dans les années 40, avant l’intrusion de la télévision dans les foyers, c’est la radio qui trônait, géante et crachouillante, au milieu du salon. La voix désincarnée qui s’en élevait ressemblait à celle qu’entendit Moïse à travers le buisson ardent : péremptoire, quasi divine. Aujourd’hui encore, l’information a des prétentions divines, sinon divinatoires. Après avoir colporté son lot de malheurs, elle peut se demander parfois : « À qui vais-je porter un peu de bonheur aujourd’hui ? » À qui ce cri de ralliement pour plus de justice : « Yallah ! » ? Fifi Abou Dib
« Vers qui pourrais-je aller aujourd’hui pour lui porter un peu de bonheur ? » Et la tête dans les étoiles, les pieds dans les ordures, sœur Emmanuelle allait, trébuchant dans les fondrières et les ruisseaux de boue, porter ce mot de chez nous aux plus nus de la terre : « Yallah ! »
J’ai entendu des collègues se plaindre qu’il n’y avait pas d’info ces jours-ci. Il est...