Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Autriche-Liban : de l’empire à l’émirat Bahjat RIZK

À nouveau à Vienne, capitale de l’Empire de l’Est (Osterreich). C’est une ville fascinante où se sont superposées à travers les siècles des réalités souvent contradictoires. Longtemps capitale d’un immense empire, Vienne est devenue depuis 1918 la capitale d’une petite république (elle est passée en 1918 d’un empire de 52 millions d’habitants à une république de 6 millions d’habitants, 8 millions aujourd’hui). Une petite capitale pour un vaste empire et une grande capitale pour une petite république, Vienne a connu malgré des bouleversements assez violents une opiniâtre continuité dans son identité. Fondée en 400 ans avant J-C, elle fut la ville blanche (vindobona) où mourut Marc Aurèle en 180 et fut occupée par les Romains jusqu’à la chute de l’Empire romain d’Occident (476). C’est toujours cet Empire romain qui fait l’unité historique de l’Occident (l’Empire romain s’étant christianisé avec la conversion de Constantin, édit de Milan, 313). Par la suite, elle fera partie de l’empire de Charlemagne (empereur des Romains) avant qu’Othon Ier ne reçoive la couronne toute neuve du Saint-Empire romain germanique en 962 des mains du pape Jean XII (le Saint-Empire romain germanique s’arrêtera avec François II le 6 août 1806, après l’occupation de Vienne par les troupes de Napoléon en 1805 puis en 1809, auquel il accordera la main de sa fille Marie-Louise). Entre-temps, l’Autriche fut gouvernée par les Babenberg (l’évêque Léopold en 976 devint premier margrave et consolide le christianisme) jusqu’en 1246 puis après le bref intermède de Ottokar II roi de Bohême, Rodolphe Ier de Hasbourg fonde une dynastie qui règne presque sept siècles (1278-1918). Vienne sera soumise aux assauts répétés de l’Empire ottoman (1529 Soliman le Magnifique, 1683 le Grand vizir Kara Moustapha) connaîtra la réforme (en 1571 Vienne compte 80 % de protestants, en 1618 elle redevient une ville catholique à une écrasante majorité), deux épidémies de peste, d’interminables guerres, de grands monarques (Marie-Thérèse 1740-1780, François Joseph Ier 1848-1918) et beaucoup de mythes (Marie-Antoinette, Marie-Louise, Élisabeth), Vienne sera surtout la capitale de la musique classique (Mozart, Beethoven, Schubert, Strauss), de la psychanalyse (Freud) de l’art nouveau (Oskar Wagner). La plupart des monuments historiques à Vienne se concentrent autour de la cathédrale Saint-Étienne et du ring (l’opéra, les grands musées autour de la place Marie-Thérèse, la Hofburg, nouveau château construit par François-Joseph et ancien château avec les appartements impériaux, le trésor impérial et l’église impériale augustine, les églises baroques Saint-Michel, Saint-Pierre et Saint-Charles Borromé, le Palais de justice, le Parlement, l’hôtel de ville, l’université, l’église votive et les différents parcs : Stadtpark ; Burggarten, Volksgarten et les multiples mémoriaux des Autrichiens célèbres). Après la chute de l’Empire austro-hongrois (Première guerre mondiale), l’Autriche sera annexée à l’Allemagne par l’Anschluss (1938), sera occupée après la Seconde Guerre mondiale (13 avril 1945) et sera évacuée en 1955 suite à l’engagement de neutralité permanente signé par l’Autriche, avant de devenir capitale des Nations unies, lien entre l’Est et l’Ouest durant la guerre froide, et membre de l’Union européenne depuis 1995. C’est aujourd’hui une grande histoire dans un petit pays et cette histoire continue à reposer sur le mythe impérial. Le Liban, pour sa part, a connu également à travers son histoire des réalités historiques superposées. L’entité libanaise à proprement parler commence par l’émirat du Mont-Liban avec la victoire des Ottomans sur les mamelouks en 1516 et la première dynastie libanaise des Maan (1516-1698) suivie par celles des Chéhab (1698-1842) presque trois siècles de quasi-autonomie, avec des liens avec les provinces (wilayat) ottomanes toutes proches (Beyrouth, Tripoli, Damas, Saint-Jean-d’Acre). Trois siècles et demi, jusqu’aux massacres de 1840 et 1860, la caïmacamiyat et puis la moutassarifiyat jusqu’à la chute de l’Empire ottoman en 1918. Deux grands émirs ont gouverné la montagne libanaise, Fakhreddine II (1590-1635) et Bachir II (1789-1840), chacun ayant régné presque un demi-siècle et ayant maintenu vaille que vaille cette entité du Mont-Liban multiconfessionnel au cœur de l’Empire ottoman. Les deux ayant poursuivi une politique d’ouverture tant envers l’Occident que l’Orient. Certes après la Première Guerre mondiale (1914-1918) et l’effondrement des deux Empires autrichien et ottoman (qui malgré le fait d’être multiethniques avaient connu de grandes tensions internes allant jusqu’au rejet, voire le génocide), l’Autriche se retrouve réduite à un petit pays en 1918 et le Liban en 1920 agrandi aux limites géographiques aujourd’hui du Grand Liban. Néanmoins, de même que l’Autriche d’aujourd’hui ne peut être comprise qu’en passant par l’histoire de l’empire et celle des Habsbourg (1273-1918), le Liban d’aujourd’hui ne peut se comprendre qu’à travers l’histoire de l’émirat (1516-1842) et celle des Maan et des Chéhab. L’empire est le socle de l’Autriche devenue République en 1918, l’émirat est le socle du Liban devenu République en 1920. Certes, le territoire autrichien s’est dramatiquement rétréci et celui du Liban s’est substantiellement agrandi, mais le noyau historique est toujours là. Et ce n’est pas un hasard si les descendants des Habsbourg (Otto) ont pu jouer un rôle politique dans la vie démocratique de l’Autriche contemporaine et ceux des Chéhab (dont le président Fouad Chéhab) dans celle du Liban, ils véhiculent une histoire plusieurs fois centenaire. Certes, le propos n’est pas de rétablir telle ou telle forme révolue de l’histoire, mais de revenir à une continuité, à travers la reconnaissance de cette histoire. L’histoire du Liban d’aujourd’hui (en tant qu’entité indépendante de toute forme d’empire) ne peut être établie qu’en revenant à l’émirat du Mont-Liban, notamment à travers le personnage de Fakhreddine II qui doit être reconnu comme le père du Liban moderne (l’ambassadeur Camille Aboussouan s’apprête à publier un brillant ouvrage majeur à ce sujet). Malgré le fait qu’il a sa statue devant le ministère de la Défense et que sa maison a été transformée en musée de cire (Marie Baz) et malgré le fait que le palais de Bachir II à Beiteddine oscille entre sa fonction de résidence d’été présidentielle et le siège d’un festival prestigieux (présidé par Nora Joumblatt), l’émirat n’est pas identifié comme étant la base structurelle du Liban d’aujourd’hui (il n’y en a nulle trace au Musée national de Beyrouth dont les collections s’arrêtent en 1516). Ce déni prive le Liban en tant qu’entité de sa continuité historique structurante. À l’heure où la Syrie officielle consent finalement à un échange symbolique d’ambassadeurs avec l’État libanais marquant la séparation avec l’hégémonie impériale (byzantine, arabe, ottomane, syrienne). L’État libanais doit reconstruire son histoire aux dimensions de l’émirat de Fakhreddine le Grand qui correspondent plus ou moins aux dimensions du Grand Liban d’aujourd’hui. Article paru le samedi 25 octobre 2008
À nouveau à Vienne, capitale de l’Empire de l’Est
(Osterreich). C’est une ville fascinante où se sont superposées à travers les siècles des réalités souvent contradictoires. Longtemps capitale d’un immense empire, Vienne est devenue depuis 1918 la capitale d’une petite république (elle est passée en 1918 d’un empire de 52 millions d’habitants à une...