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Actualités - OPINION

Histoires de rien

« À sa grande surprise, un chambellan découvre un pauvre hère confortablement lové dans le trône du sultan. – Qui es-tu ? Demande le chambellan, furieux. – Je ne suis personne, répond le pouilleux. – Comment alors oses-tu prendre la place de notre sultan bien-aimé ? – C’est que ma place est au-dessus du sultan. – Au-dessus du sultan, il n’y a que le prophète, la paix soit sur son nom. – Mais je suis au-dessus du prophète, la paix soit sur son nom. – Au-dessus du prophète, manant, il n’y a que Dieu, bénit soit Son nom ! Dégringole de ce trône, ou je te fais décapiter. – Mais je suis au-dessus de Dieu-même, bénit soit Son nom. Étranglé de colère devant tant d’audace, le chambellan hurle : – Au-dessus de Dieu, il n’y a rien, effronté de ta race ! – Justement, chambellan, je ne suis rien. » Cette petite histoire pour rappeler que le rien est au-dessus de tout. « Cent cinquante milliards de dollars partis en fumée », titrait la presse en début de semaine. Mais partis où et partis comment ? Depuis qu’il a quitté le monde comptable, sonnant et trébuchant des « cassettes », et le secret feutré du bas de laine, l’argent est devenu immatériel. Étrange paradoxe : la monnaie, contrevaleur absolue de tout ce qui se vend et s’achète, de tout ce qui existe en somme, la monnaie, ô scandale, n’existe pas ! Elle est ce rien au-dessus de Dieu-même, affalé sur le trône du sultan et régnant sur le monde. Quelle dérive, quelle logique obscure au profane a-t-elle emballé la machine à profit, cette renifleuse dénaturée, qui transforme tout en marchandise et confond une créance avec un caméscope ? Rendez-vous compte : au grand souk de la planète, il y avait donc un marché aux dettes. Achetez mes belles dettes ! Et le chaland affluait tant et si bien que de dettes, vertes ou blettes, il n’y avait même plus assez pour tout le monde. Vendre des dettes ! Autant vendre des trous. « Rien » n’est-ce pas, et même trois fois rien, comme disait Devos, puisque le rien se multiplie. Une grande joie, ce Nobel de la littérature attribué à Le Clézio. L’auteur de « Désert », « explorateur d’une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante », ne montre pas vers le salut d’autre chemin que celui de l’harmonie avec la nature. L’humble soumission à ses lois. Comme d’habitude, l’humanité couronne un pur, un gardien du temple, un guide et puis elle s’en détourne. Il est des riens mortifères et des « déserts » munificents. Le choix est pourtant simple. Fifi Abou Dib
« À sa grande surprise, un chambellan découvre un pauvre hère confortablement lové dans le trône du sultan.
– Qui es-tu ? Demande le chambellan, furieux.
– Je ne suis personne, répond le pouilleux.
– Comment alors oses-tu prendre la place de notre sultan bien-aimé ?
– C’est que ma place est au-dessus du sultan.
– Au-dessus du sultan, il n’y a que le prophète, la...