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Actualités - REPORTAGE

Étude Les chiffres consternants du retour définitif des déplacés de la Montagne

Anne-Marie EL-HAGE De nombreux villages de la Montagne sont encore détruits. Peu de déplacés se sont réinstallés chez eux pour de bon, seulement entre 10 et 20 % au Mont-Liban. Le mouvement de retour des déplacés dans leurs localités d’origine au Mont-Liban et dans les cazas de Saïda et Jezzine de 1991 à 2007 a fait l’objet d’une étude réalisée par l’Institut libanais de développement économique et social (Ildes). Cette étude, préparée par le docteur Khalil Bourjaili, chercheur en sciences de l’éducation et en études sociologiques, et publiée en mai 2008, fait un triste constat du mouvement de retour définitif et même provisoire au Liban de manière générale, après les déplacements des populations chrétiennes provoqués par la guerre. Il en ressort que plus le déplacement est prolongé, moins les habitants réintègrent leurs villages pour s’y installer. Ainsi à Aley, seulement 10,6 % de la population déplacée était retournée de manière définitive, en 2007. À Baabda, seulement 16,5 % de la population déplacée était retournée à la même date, et au Chouf, le chiffre du retour définitif atteignait 20,9 % à la période de l’étude. La situation du retour était tout aussi mauvaise à Jezzine où seulement 18,8 % des déplacés sont retournés vivre dans leurs villages. Ce n’est qu’à l’est de Saïda que le retour avait atteint en 2007 la proportion de 52,6 %, le déplacement des populations ayant été de courte durée dans cette région. Parler de retour définitif équivaut, il faut le savoir, à parler des habitants qui sont retournés pour vivre à longueur d’année dans leur village, et non pas ceux qui y passent l’été ou simplement les week-ends d’été. Deux raisons majeures ont empêché les habitants de réintégrer leurs villages d’origine : dans le Metn-Sud, à Baabda, à Aley et au Chouf, les indemnités reçues pour reconstruire ou réparer les habitations ont été insuffisantes ou nulles, dans 56 % des cas. Alors qu’au Liban-Sud, à Jezzine et à Saïda, c’est pour rester à proximité de leur travail situé loin de leur région d’origine que les déplacés ne sont pas retournés chez eux, dans 87 % des cas. Quelques autres raisons ont aussi été évoquées par les déplacés : dans 52 % des cas, les déplacés du Metn-Sud manquent de moyens financiers pour rendre leurs logements habitables, et dans 49,3 % des cas, leur travail se situe en dehors de la région. De plus, les déplacés de Jezzine évoquent leur manque de confiance dans le niveau des établissements scolaires de la région. Quoi qu’il en soit, les déplacés de la guerre ont organisé leur vie différemment, ont trouvé de nouveaux emplois, de nouveaux logements, et de nouvelles écoles pour leurs enfants. Nombre d’entre eux se sont adaptés à leur nouvelle vie et n’envisagent pas de réintégrer des régions où ils n’ont plus de gagne-pain. De plus, la population qui est retournée est de manière générale constituée de personnes âgées. Les jeunes sont peu ou pas intéressés à réintégrer leurs localités d’origine, qui ne leur offrent plus aucun attrait. « Mais aujourd’hui, et malgré le faible taux de retour à Jezzine, lorsqu’on parle du dossier des déplacés, on parle des déplacés du Mont-Liban », estime le docteur Khalil Bourjaili. En effet, explique ce dernier, « 240 000 personnes ont été déplacées au Mont-Liban, parmi lesquelles 175 000 vivaient toute l’année dans les villages ». Le sociologue montre du doigt « l’État qui n’a pas facilité le retour des déplacés ». Il dénonce « le paiement d’indemnités à des proches de personnalités politiques influentes », mais aussi « l’intervention de courtiers qui ont encaissé des commissions énormes et donc pris une bonne partie des indemnisations ». « C’est un dossier politique, entaché par la corruption et le clientélisme. Malheureusement, nous n’avons pas de preuves sur lesquelles baser nos propos », dit-il. Il déplore aussi le fait « qu’une grande partie de l’argent de la Caisse des déplacés ait été consacrée à indemniser les personnes qui ont provoqué les déplacements, autrement dit à faire sortir des familles druzes qui avaient squatté les maisons des chrétiens ». Le sociologue estime que « dans aucun village du Mont-Liban, le dossier du retour n’est clos, car l’argent n’est pas parvenu aux personnes concernées ». « Rares d’ailleurs sont les villages totalement reconstruits, comme Aïn el-Mir ou Aïn el-Delb », observe-t-il. Et de préciser que « les demandes de reconstruction avoisinaient encore les 12 000, début 2007, au ministère des Déplacés, sans compter les demandes de réhabilitation, ou ceux qui n’ont reçu qu’une partie de la somme promise. Cela explique que certains villages soient vides ». « On observe d’ailleurs que beaucoup de maisons sont inachevées par manque de fonds, ou alors portent encore les traces de la guerre », poursuit-il. « Il aurait tout simplement fallu qu’il y ait des représentants des déplacés au ministère », remarque le docteur Bourjaili qui déplore que « cela n’ait jamais été possible ».
Anne-Marie EL-HAGE

De nombreux villages de la Montagne sont encore détruits. Peu de déplacés se sont réinstallés chez eux pour de bon, seulement entre 10 et 20 % au Mont-Liban.

Le mouvement de retour des déplacés dans leurs localités d’origine au Mont-Liban et dans les cazas de Saïda et Jezzine de 1991 à 2007 a fait l’objet d’une étude réalisée par...