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En toute liberté Un mea culpa insuffisant de Fadi NOUN

Aussi spectaculaire que soit la confession du chef des Forces libanaises, elle reste insuffisante. Son caractère public et général la prive de la profondeur voulue ; le ton utilisé pour la prononcer, ainsi que le volet proprement politique du discours qui l’a suivie, en annulent en partie l’effet ; enfin le fait qu’il ait été prononcé à l’occasion d’une messe entretient la confusion sur sa nature. Il faut savoir gré à Samir Geagea d’avoir utilisé le mot « ignoble » pour décrire certains actes qu’il regrette, que ce soit en son nom propre ou au nom des Forces libanaises, encore qu’il y ait là deux choses distinctes. C’est courageux, purificateur. C’est le mot juste pour parler de ces jeunes abattus sans merci « pour l’exemple », ou de cet homme tiré de son lit d’hôpital malgré les supplications d’une religieuse à genoux, et jeté en mer, les pieds pris dans un bloc de béton. C’est aussi le mot qui vient aux lèvres de cet ancien milicien qui, sur les lieux d’un couvent désaffecté pour lequel on cherche une nouvelle fonction, et qui fut utilisé comme caserne durant la guerre, affirme « entendre encore les cris des Palestiniens qu’on y a enterrés vivants ». Car on n’a pas encore mesuré toute l’horreur de notre guerre, qui d’ailleurs ne se limite certainement pas aux exactions des Forces libanaises, et le mea culpa de Samir Geagea n’y fait d’allusion concrète qu’avec un mot. Or voilà des exemples extrêmes de ces crimes commis dans la hâte, l’urgence d’une résistance minée par le crime, l’ambition, l’inconscience, la cruauté, la soif de pouvoir, de l’argent, le cynisme le plus radical, loin de tout ce qui s’appelle bien public. Malgré la justesse de la cause et indépendamment des crimes commis par les autres. Si le mea culpa de Samir Geagea est insuffisant, c’est parce que ses excuses, et celles des Forces libanaises, avant d’être martelées au cours d’un meeting politique, auraient dû être prononcées dans l’intimité d’une visite privée à tous ceux qu’elle concerne, dans le silence, ou le chuchotement, qui marque touts les repentirs véritables, tous les sincères désirs de changement, de rédemption. L’ambiguïté qui entoure cette confession, son manque relatif de crédibilité aux yeux de certains, provient aussi du fait qu’elle a revêtu inséparablement, une double dimension, religieuse et politique, et qu’aux yeux de certains, la dimension religieuse n’était qu’un simulacre. Mais sur cette confusion des genres, que personne ne jette à Samir Geagea la première pierre. L’usage abusif des messes, par les maronites, pour s’exprimer politiquement, ne date pas de dimanche dernier. Je garde en mémoire l’image indélébile d’une messe célébrée pour les victimes du massacre d’Ehden (1978), où l’estrade en bois sur laquelle on avait dressé l’autel était entourée d’un large calicot sur lequel était écrit : « Que Dieu les maudisse ». Une confusion, un mélange des genres choquant, quand on sait qu’une messe est l’ultime expression que le Christ nous a laissés de son amour. C’est ainsi que la messe était célébrée pour maudire, pour haïr, pour exclure alors que dans son essence, elle est communion. Sans vouloir rapprocher les deux offices, ni douter de la sincérité de Samir Geagea, il aurait été certainement préférable qu’il présente ses excuses indépendamment de la messe qu’il voulait faire célébrer pour les martyrs des Forces libanaises. L’autre critique que l’on pourrait adresser au mea culpa de Samir Geagea, c’est qu’il a été suivi d’un discours politique pur et dur qui en a annulé en partie l’effet. Mais là, Samir Geagea n’est pas seul en cause. Ceux qui lui ont donné la réplique, comme Sleimane Frangié et Michel Aoun, sont logés à la même enseigne. En effet, et malheureusement, tous les discours politiques sont désormais contaminés par des soucis électoralistes qui sont aux antipodes du discours de réconciliation. Diviser le monde entre bons et méchants, c’est prendre le chemin de l’exclusion de l’autre, là même où la réconciliation nationale commanderait qu’on s’habitue désormais à laisser de la place aux autres, dans l’édification du Liban, pour demander en retour que ces autres fassent de même. Voilà les deux dynamiques antinomiques qui marquent la scène politique en général, et la scène politique « chrétienne » en particulier. Et voilà aussi pourquoi, la réconciliation, comme l’horizon, s’éloigne à mesure qu’on s’en rapproche.
Aussi spectaculaire que soit la confession du chef des Forces libanaises, elle reste insuffisante. Son caractère public et général la prive de la profondeur voulue ; le ton utilisé pour la prononcer, ainsi que le volet proprement politique du discours qui l’a suivie, en annulent en partie l’effet ; enfin le fait qu’il ait été prononcé à l’occasion d’une messe entretient la...