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Actualités - CHRONOLOGIE

Moscou revient sur le devant de la scène, mais reste isolé

Karine JAMMAL Le 8 août dernier, les tensions entre la Russie et la Géorgie dégénéraient en une guerre. Après les bombardements russes, la reconnaissance par Moscou de régions séparatistes, le bras de fer avec l’Occident, peut-on parler de nouvel ordre mondial ? Élias Abou Assi, professeur en relations internationales, dissèque la crise. À l’époque de la guerre froide, le monde était divisé en deux « camps », les États-Unis et ses alliés d’un côté, l’Union soviétique de l’autre. Avec l’implosion du bloc soviétique, le monde est entré dans une ère unipolaire, symbolisée par la suprématie américaine. Depuis un mois, le spectre d’une nouvelle guerre froide a refait son apparition. L’ampleur de la réaction russe à la crise géorgienne et la reconnaissance des deux provinces indépendantistes marquent-elle une volonté de la Russie de revenir sur le devant de la scène, après avoir passé des années en retrait ? « Il y a plusieurs dimensions pour comprendre la position de Moscou », explique Élias Abou Assi, professeur de relations internationales à l’Université Saint-Joseph. « Il faut tout d’abord compter avec la nostalgie. C’est une dimension psychologique, la Russie vit mal son statut de puissance périphérique, estime-t-il. Par ailleurs, l’affaire du Kosovo a été vécue comme un défi par Moscou. L’indépendance du Kosovo est liée à l’élargissement de l’OTAN (notamment vers l’Ukraine et la Géorgie). Cela a été conçu par les Occidentaux pour dominer la Russie et limiter sa marge de manœuvre », poursuit le spécialiste. En ce qui concerne la reconnaissance du Kosovo, les Russes n’ont pas lésiné sur les moyens, la Russie ne fera pas de concessions. « Les Occidentaux n’ont pas pris en compte le point de vue du Kremlin dans leur reconnaissance du Kosovo, Moscou ne fera donc pas de concessions en ce qui concerne l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud », ajoute M. Abou Assi. Toujours au niveau régional, la Russie s’est sentie menacée par l’évolution de pays comme l’Ukraine. Depuis la révolution orange de 2004, l’Ukraine, véritable antichambre de la Russie, est passée sous la direction d’un prooccidental, le président Victor Iouchtchenko. Moscou se sent également menacé par l’installation du bouclier antimissile américain sur le territoire d’ex-pays soviétiques. « Néanmoins, les Américains ont invité les Russes à faire partie des observateurs et à participer au processus. Mais la réaction plus que négative de Moscou n’a fait que conforter les craintes de l’Occident. Chaque démarche ne peut avoir qu’un impact psychologique et rouvrir les plaies du passé », affirme M. Abou Assi. « De plus, le prix du pétrole est un point important » dans cette « révolte » de Moscou. « Il n’y a jamais eu autant de rentrées grâce à la manne pétrolière qu’à l’heure actuelle. Cela a donné à la Russie une sorte de confiance en soi », estime le professeur. Enfin, il ne faut pas oublier un point important, la montée de la Chine. « L’émergence du géant asiatique laisse augurer une nouvelle ère des relations internationales. La Russie veut s’imposer derrière le bulldozer chinois afin de faire partie du nouveau système multipolaire », affirme le spécialiste. « C’est également un éclat médiatique, la Russie est en position de force économique, une partie de l’Europe dépend des hydrocarbures et du gaz russes. Moscou essaye d’affaiblir les États-Unis en profitant des aspirations de l’Union européenne d’un côté et de l’ambition chinoise de l’autre », souligne le professeur. Les événements actuels sont en outre à analyser dans la continuité des années Poutine. Durant son double mandat, l’ex-président avait à de multiples reprises exprimé son intention de restaurer la grandeur russe. « La personnalité de Vladimir Poutine y est pour quelque chose, la dynamique politique et la manne pétrolière utilisée de manière judicieuse par le gouvernement ont permis à la Russie de se positionner en force. Il y a eu un cumul intelligent entre le public et le privé (la gestion pétrolière a commencé à se privatiser il y a 5, 10 ans) », analyse M. Abou Assi. L’ex-chef du Kremlin a vécu à l’époque soviétique et est un ancien KGB, il « était très bien posté pour mener la Russie au-devant de la scène internationale », souligne le professeur. Aujourd’hui, la Russie est effectivement revenue sur le devant de la scène internationale. Mais peut-elle, pour autant, considérer qu’elle a gagné sur tous les tableaux ? « Moscou est perdant, car les vieux démons du passé ont été réveillés côté Occident », explique le spécialiste. Par ailleurs, la crise géorgienne a rendu encore plus solidaires les pays de l’OTAN. Le vice-président des États-Unis, Dick Cheney, lors de sa tournée en Europe, a bien insisté sur le fait « que quel qu’en soit le prix, la Géorgie et l’Ukraine doivent intégrer l’OTAN », rappelle M. Abou Assi. « On est en présence d’une logique de guerre froide parce que c’est faire la guerre sans la faire », rappelle le professeur. Chacun campe sur ses positions et cherche à préserver ou rétablir son hégémonie. Mais « le rapport de force, nonobstant les bombes verbales que jette la Russie, n’est pas à l’avantage de Moscou. Et même si c’était le cas, le Kremlin aurait été court-circuité par les pays asiatiques », estime M. Abou Assi. Par ailleurs, Moscou risque de rester bien isolé dans sa reconnaissance des régions indépendantistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Jusqu’à présent, seul le Nicaragua a reconnu l’indépendance des deux provinces. « Je doute fort qu’on se retrouve dans une situation similaire à celle du Kosovo, qui a eu une reconnaissance à part entière. Le parallèle qu’on pourrait faire serait avec l’île de Chypre. La partie turque n’est reconnue que par la Turquie. On est en présence du même cas de figure dans le Caucase aujourd’hui », explique le professeur. D’ailleurs, la Chine et les alliés d’Asie centrale de la Russie ont préféré adopter un profil bas dans le conflit géorgien, voire défendre l’intégrité territoriale. « Pas de soutien pour Medvedev, même au sein de l’Organisation de Shanghai », titrait le 29 août le quotidien d’opposition Kommersant. Les leaders de l’organisation « ont approuvé dans leurs dires les actes de Moscou, mais dans leur déclaration finale, ils se sont prononcés contre l’usage de la force dans les affaires internationales », poursuit le quotidien. « Cela signifie que dans son bras de fer avec l’Occident, la Russie est restée de facto toute seule », conclut le journal.
Karine JAMMAL

Le 8 août dernier, les tensions entre la Russie et la Géorgie dégénéraient en une guerre. Après les bombardements russes, la reconnaissance par Moscou de régions séparatistes, le bras de fer avec l’Occident, peut-on parler de nouvel ordre mondial ? Élias Abou Assi, professeur en relations internationales, dissèque la crise.

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