RENCONTRE Toufic el-Khoury a signé son ouvrage «?Beyrouth pantomime?» 24 heures de la vie d’un homme

Une journée comme une autre dans Beyrouth… Si ce n’était l’assassinat d’un homme politique local et une foule immense qui manifeste dans ses ruelles. Toute ressemblance avec des personnages ou des événements ayant déjà existé s’arrête là. Toufic el-Khoury a rempli les pages de son roman d’errances et d’arrêts sur une génération désenchantée. La sienne. «?Ce n’est pas de moi qu’il s’agit?!?» précise d’emblée Toufic el-Khoury, semblant devancer d’éventuelles questions, trop faciles ou évidentes à ses yeux. Il est vrai qu’ils partagent le même âge et une certaine froideur dans le regard et l’analyse des êtres et des choses. Mais le héros de Beyrouth pantomime n’a pas d’identité, pas d’histoire, pas de sentiments, sinon une indifférence à tout. Un ennui qu’il transporte d’un quartier à l’autre de la ville et d’une rencontre à une autre. L’auteur du roman a, quant à lui, beaucoup voyagé, vécu dans toutes les destinations où son père diplomate avait été muté. Après avoir obtenu un mastère en philosophie à l’USJ, il s’est installé à Paris où il entreprend des études de cinéma et prépare une thèse sur «?les rivalités amoureuses et le triangle amoureux dans les comédies américaines des années 30 et 40?». Son écriture, très cinématographique, décrit parfaitement et avec une économie de mots la lourdeur d’une ambiance, la lenteur d’un geste, le froissement d’un drap, le silence d’une cigarette que l’on grille ou la lucidité de l’ivresse d’une jeunesse qui semble avoir perdu toute énergie, même celle du désespoir. «?Quand j’écris, précise-t-il, je vois toujours des images. Même en lisant un roman, je me le visualise comme un film.?» Génération désenchantée C’est en s’essayant à l’écriture d’un roman policier, son genre préféré, que Toufic el-Khoury, incapable de rédiger les trois derniers chapitres, décide de «?passer provisoirement à autre chose. Je fonctionne toujours de cette manière?», souligne-t-il. Beyrouth pantomime, devenu ainsi l’arrêt obligé d’un écrivain en panne d’inspiration, est rédigé durant le mois de février 2006 et finalisé quelques mois plus tard. «?Je voulais faire évoluer en une journée un personnage anonyme, décrit de l’extérieur, dans un décor en ébullition. C’est une coquille vide dont on ne sait rien. Seuls les gens autour de lui ont une vie. L’idée était de partir de ce personnage qui porte un regard creux et désintéressé sur ce qui se passe. Je voulais respecter la logique d’une journée avec la brièveté des rencontres. Imposer un personnage et laisser une histoire s’imposer aux autres.?» De Sodeco à la rue Weygand, la rue Youssef Semaani, Gergi Zeidan, pour finir à la rue de Damas, voici l’itinéraire d’un homme gâché par un pays victime de guerres et qui n’a rien compris à ses erreurs… «?Ma génération, comme celle du roman, constitue une sorte de “bande à part” complètement enracinée dans cette ville, mais qui souffre d’un problème d’identité.?» Rédigé sur un ton volontairement désabusé, bref, presque froid, il réussit à installer le juste ton, dans une narration à la mécanique bien contrôlée. «?Je voudrais, souligne Toufic el-Khoury, que mon écriture soit le contraire d’un flot conscient. Qu’elle soit un exercice direct, sans aucune psychologie. Tout passe par la description comportementale de mon personnage. Avec ce sujet, j’ai découvert que je me sentais le plus à l’aise dans ce style narratif. Maintenant, j’ai tourné la page, je suis passé à autre chose…?» Car ce roman, nous confie l’auteur en guise de conclusion, est le premier tome d’une trilogie à venir. S’il bloque, il «?passera encore une fois à autre chose?», pour mieux y revenir. Carla HENOUD «?Beyrouth pantomime?», de Toufic el-Khoury, édité dans la collection Littératures des éditions Orizons. En vente dans toutes les librairies.