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La démocratie, c’est quand les honnêtes gens sont aussi courageux que les coquins

Il y a plus de quarante ans, j’étais avec mon père, alors procureur général militaire, en visite dans un pays d’Europe occidentale quand, lors de l’échange de points de vue avec un responsable du ministère des Affaires étrangères, celui-ci s’exclama?:?«?Savez-vous, Monsieur le Procureur général, pourquoi notre pays est une démocratie? C’est parce que les honnêtes gens sont aussi courageux que les coquins.?» Tout en reconnaissant que la démocratie est plus que cela, cette exclamation n’a pourtant jamais cessé de retentir en moi toutes les fois où, dans notre cher Liban, des personnes dont les qualités morales sont loin d’être exemplaires ne cessent de faire la morale et de brandir des principes de haute dignité à tous ceux dont le seul reproche est d’être d’honnêtes citoyens. Et c’est pourquoi, au-delà de tous les problèmes qu’affronte la société libanaise contemporaine, rien n’est plus dangereux que cette corruption morale – tout autant que matérielle – qui s’installe dans l’esprit et l’âme des citoyens, leur faisant tout accepter faute de bien interpréter les composantes d’un système politique libanais doublement mû par la Constitution et par l’histoire. Plaçons-nous donc d’emblée à ce niveau pour ne pas être taxé de moralisateur. La pression politique internationale et régionale, avec la question israélo-palestinienne, et le poids de la présence armée palestinienne avaient poussé les politiciens libanais, chacun selon ses goûts et les circonstances, à enfourcher la guerre dite civile croyant en tirer bénéfices et profits. Ce n’est donc pas l’héritage socio-historique libanais qui était responsable des malheurs car, rappelons-le à l’adresse de ceux qui ne le savent pas ou qui aimeraient l’oublier, la formation de la société libanaise a précédé celle de l’État avec la création du Grand Liban le 1er septembre 1920 et la promulgation de la Constitution le 23 mai 1926. Ce Liban était constitué à la base par des communautés religieuses appartenant au christianisme, à l’islam et au judaïsme. Mais les différences, les antagonismes, les nuances aussi entre ces communautés faisaient du système libanais une originalité multiconfessionnelle et non une réalité de religion. Et c’est pourquoi l’intelligence des équilibres, du dialogue et de la négociation s’imposait au Liban avant la création de l’État libanais. Et c’est en quoi l’État libanais est redevable à l’héritage historique de ses communautés d’avoir une présence, portes ouvertes et accueil bienveillant dans le monde. Mais les institutions et les héritages socio-historiques valent ce que valent les hommes du moment. Bien souvent, nos politiciens ont bradé les qualités d’un patrimoine pour se faire les hérauts d’une nouvelle société n’ayant de fondement que le blablabla de discours lequel, à défaut de méthode, a malheureusement le mérite de nous faire deviner les prémices d’exclusions bien pensées. Ainsi, ce discours permanent contre le confessionnalisme politique – lequel n’est en fait qu’une des formes originales de notre système politique qui oblige grands et petits politiciens à prendre en compte les autres – est constamment attaqué toutes les fois qu’il s’agit de justifier un échec ou une fausse mesure comme étant la source de tous les maux du Liban alors que nous savons bien que tout système acquiert le visage et les couleurs de ceux qui le représentent. Le malheur qui s’est abattu sur le Liban en 1975 – bien préparé dès 1968 – n’avait pas pour source majeure cet héritage qui, ayant traversé les siècles, se reflétait en un système qui a su habituer les citoyens à s’accepter, à se supporter et à se soutenir pour mieux exister et mieux vivre, mais bien plutôt les discours de politiciens et de doctrinaires acquis n’importe quand, à n’importe quoi et prêts à n’importe quelle aventure, qui ont accusé le confessionnalisme politique d’être responsable de tous les maux. Il y a quelque temps, dans une analyse courageuse – survenant après plus de trente ans –, M. Mohsen Ibrahim, véritable éminence grise des années 1970 et 1980, n’a pas hésité, dans un discours prononcé lors de la cérémonie commémorative de l’assassinat de M. Georges Haoui, à faire son mea culpa et à reconnaître les erreurs en disant?: «?Deux fautes ont été commises par le Mouvement national?: la première, c’est que dans le cadre du soutien au combat du peuple palestinien, nous sommes allés loin en faisant supporter au Liban plus qu’il ne pouvait supporter, le poids militaire de la question palestinienne?; et la seconde, c’est d’avoir opté pour la facilité en nous embarquant dans la guerre civile sous la fausse impression d’écourter la route vers le changement démocratique.?» Sans vouloir rouvrir le débat, cette déclaration a le mérite de reconnaître les erreurs de choix injustifiés bien qu’il ne suffise pas de reconnaître ses erreurs pour être pardonné. Méfions-nous dès lors que cette revendication de l’abolition du confessionnalisme politique ne cache une volonté d’exclure des communautés entières de l’exercice de l’activité politique et administrative sous prétexte d’une démocratie bien mal comprise et très bien bafouée par ceux-là mêmes, toutes tendances confondues, qui réclament cette même abolition sans peut-être savoir suffisamment de quoi ils parlent et ce à quoi ils s’engagent. Or, disons-le une fois pour toutes?: si le confessionnalisme signifie mensonge, corruption, vol, assassinat, trahison, je suis contre le confessionnalisme?; mais si le confessionnalisme signifie intelligence entre les hommes de différentes communautés religieuses, équilibre des institutions, loyauté, respect du patrimoine et de l’histoire, reconnaissance envers ceux qui nous ont précédés, je suis pour le confessionnalisme. Le confessionnalisme au Liban a visage d’homme, et sa qualité varie conséquemment à la valeur de ceux qui y recourent. Certes, pourrait-on objecter, l’abolition du confessionnalisme politique a été bien posé par l’accord de Taëf puisqu’il en a fait «?un objectif national essentiel qui exige pour sa réalisation une action programmée par étapes?». Et pour cela, cet accord mémorable – dont la valeur constitutionnelle mériterait toute une approche – a égrené entre autres mesures la formation d’une instance nationale pour cet objet, l’abolition de la représentation confessionnelle dans la fonction publique, la justice… sauf pour les postes de première catégorie, à répartir à égalité entre chrétiens et musulmans, et l’abolition de la confession ou du rite sur la carte d’identité. La belle affaire?! Voici que nos brillants édiles, non contents de vouloir, d’une part, abolir le confessionnalisme politique, le rétablissent d’autre part et décident désormais par ukase qu’en supprimant la mention communautaire sur la carte d’identité, les citoyens deviennent tous amnésiques de leur patrimoine, de leur histoire, de leur foi et de la politique. Quelle performance dont on ne distingue, hélas, jusqu’à présent que la bonne volonté de nos leaders qui, toutes les fois qu’ils veulent redresser la barre, requièrent la formation de cette instance nationale en avançant aussi force statistiques pour tester par-ci, doser par-là réactions, positions, approbations ou rejets. Or, disons-le encore une fois et une fois pour toutes?: cette société politique libanaise, fruit de mille ans de dures tractations, vexations, ententes, discordes et convivialité, s’est faite par une formidable poussée humaine de toutes les confessions et communautés réunies naturellement. Certes, tout n’a pas toujours été idéal et la petite histoire du Liban en témoigne, mais le peuple ayant toujours été plus grand que ses dirigeants, les fautes de ces derniers ont toujours été occultées par une infinie capacité des citoyens à vouloir inventer et appliquer les moyens de vivre, d’exister et de cohabiter. Et c’est pourquoi, si l’abolition du confessionnalisme politique prônée par d’aucuns vise à priver d’âme des citoyens grandis – consciemment ou non – à l’ombre d’une histoire qui a élevé ce pays au rang d’un fait de civilisation et non d’une quelconque historiette partisane, puis à affirmer l’exclusion sous divers prétextes, gageons que seuls des échecs exemplaires peuvent résulter d’ignorances sublimes. Et il est grand temps que les citoyens de toutes confessions reconnaissent définitivement, eux qui sont les dépositaires véritables de l’avenir par leur geste quotidien de travail, de production et d’investissement, qu’ils sont le modèle dont vont devoir s’inspirer les politiques sur les bords de cette Méditerranée, et plus loin encore, pour transformer heurts et discordes en compréhension humaine et tolérance politique. Hyam MALLAT
Il y a plus de quarante ans, j’étais avec mon père, alors procureur général militaire, en visite dans un pays d’Europe occidentale quand, lors de l’échange de points de vue avec un responsable du ministère des Affaires étrangères, celui-ci s’exclama?:?«?Savez-vous, Monsieur le Procureur général, pourquoi notre pays est une démocratie? C’est parce que les honnêtes...