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Actualités - REPORTAGE

Voiturier, un métier en pleine expansion qui demeure précaire Zoom sur ces hommes qui courent…

Une voiture freine. Le conducteur sort de son véhicule, tend nonchalamment les clés au voiturier puis se dirige vers l’entrée du restaurant. Le confort dans lequel les Libanais aiment à s’entourer n’est toutefois pas gratuit. Lorsqu’il sortira du restaurant, le conducteur glissera dans la main du voiturier un billet de 1 000 livres libanaises (LL), parfois de 5 000 ou même de 10 mille LL en contrepartie de ce banal service rendu. Un service qui néanmoins aura épargné un temps précieux – et souvent une crise de nerfs – aux noctambules et aux personnes trop pressées, en leur permettant de ne pas passer par la case « trouver une place pour garer ». Pour ceux qui l’ignorent encore, le métier de voiturier requiert d’importantes capacités physiques. Non pas pour conduire les voitures, mais bien pour courir du lieu où le véhicule a enfin été garé jusqu’au restaurant ou boîte de nuit où le voiturier travaille. Surtout, ne jamais perdre de temps. L’efficacité est la condition essentielle d’un bon rendement. Ce n’est pas pour rien que le spot publicitaire du marathon de Beyrouth a mis en scène un jeune voiturier en train de courir dans d’étroites ruelles puis une phrase : « Il est prêt, qu’en est-il de vous ? » Ainsi, lorsque, éméchés par la boisson, les jeunes et moins jeunes sortiront réclamer leur véhicule après une soirée bien arrosée, il faudra à nouveau courir. « L’alcool peut faire déraper les personnes les plus polies », relève Nemr, un ancien voiturier aujourd’hui reconverti en chauffeur de taxi de luxe. « Le mot d’ordre reste la politesse. Quoi qu’il arrive, il faut rester poli, contre vents et marées, même face aux insultes. Dire : oui, monsieur, merci, monsieur », insiste-t-il. Dany est voiturier pour un restaurant situé a Dbayeh, en bordure de l’autoroute. Il travaille ici depuis quelques années déjà et, fièrement, indique qu’il a fait « le tour du monde, vu beaucoup de choses ». Il est blond, la peau mate, un look de surfeur qui aurait perdu sa planche au détour d’une vague… « La confiance est le maître mot dans ce métier. Un “valet” capable de prendre un chewing-gum qu’il trouve à l’intérieur d’une voiture est capable de voler. Tenez, l’autre soir, j’ai trouvé 1 000 dollars par terre, non loin de l’entrée du restaurant. La direction du restaurant sait qu’elle peut me faire confiance. » Nemr confirme : « Un restaurant ou une boîte de nuit ne prendra jamais le risque d’embaucher un voiturier que personne ne connaît. Il faut qu’il existe une confiance préalable, que des liens forts existent entre le propriétaire du restaurant et les voituriers. Souvent, ce sont des amis de longue date qui forment un petit groupe et louent un parking pour se charger des véhicules de la clientèle. » Souvenirs heureux ou malheureux Le pire souvenir de Dany ? « Heureusement, je n’en ai pas. Mais j’ai un ami qui travaille dans ce domaine. Durant ses heures de service, un des clients a volé une voiture. En fait, c’était une combine entre le pseudo-client et un voiturier, avec lequel ce dernier est ami. Le “client” a tendu un numéro de voiture qui ne lui appartenait pas et s’est enfui avec le véhicule Il faut faire très attention au numéro de voiture et au visage de la personne, rester vigilant. Il y a toujours de petits malins qui tentent leur chance lorsqu’ils trouvent un ticket de voiture par terre, dans le restaurant. » « Il faut savoir que pour un restaurant ou une boîte de nuit, l’important est qu’il n’y ait pas d’embouteillage devant la porte et, surtout, que les clients n’attendent pas longtemps avant de récupérer leur voiture une fois la soirée terminée. Cela est primordial », confie Nemr. Pour cela, les « valets » doivent être toujours prêts et surtout pleins de bonne volonté afin de satisfaire au mieux une clientèle souvent difficile. « Récemment, on a assisté à la création de compagnies spécialisées dans ce domaine. Elles entrent en contact avec le restaurant et lui disent qu’elles lui verseront 1 000, voire 2 000 dollars chaque mois. En échange, elles assurent un service qu’elles qualifient de “parfait”, avec toutes les garanties “légales” possibles et imaginables. Ces compagnies embauchent 5 ou 6 personnes, leur paient un salaire fixe qui excède rarement 1 million de LL, et tous les pourboires reviennent en fait à la compagnie en question qui ne les redistribue pas aux voituriers », explique aussi Nemr. Mais cela n’est-il pas injuste ? « C’est profondément injuste, confirme Dany. « Des billets de 5 000, 10 000 LL, voire 10 ou 20 dollars transitent par ma main pour atterrir au final dans les poches du propriétaire de la compagnie où je travaille. Je touche 900 000 LL et c’est pour cela que j’ai deux boulots. Un l’avant-midi, et voiturier de midi à minuit. Mais je quitte rarement avant minuit et demi, 1h du matin. » Pour Nemr, les temps ont changé, cela est indéniable. « Quand j’étais voiturier, j’avais de quoi m’acheter deux belles motos. Je suis un passionné de motos. Je touchais 2 000 dollars au bas mot chaque mois. Je connais des gens qui ont pu s’acheter une maison, une voiture grâce à ce travail. C’était la belle époque. Et puis, pour prendre congé, rien de plus simple : il suffisait pour moi de me mettre d’accord avec le reste du groupe et la personne en charge de l’organisation. Aujourd’hui, lorsque vous travaillez avec une compagnie, le jour de repos est imposé, on ne peut pas le changer. Pour nous, le travail était un plaisir. Ranger les voitures, bien les garer, même dans des endroits très étroits et difficiles d’accès. Aujourd’hui, c’est de l’exploitation. » Dany, lui, n’est pas dupe. Il sait que même s’il a un statut d’employé, il ne bénéficie pas de toutes les garanties qu’offre ce statut. « Je n’ai pas d’assurance sociale ni de contrat de travail. Je ne peux pas domicilier mon salaire à la banque. En fait, toutes ces compagnies sont assez louches. Elles peuvent facilement servir de société écran pour des activités beaucoup plus lucratives, comme le blanchiment d’argent issu d’un trafic de stupéfiants, par exemple. » Ces hommes qui courent durant les heures les plus avancées de la nuit, alors que d’autres font la fête, ont la vie dure. Mais parfois, ce métier réserve des surprises. « Plus l’endroit où tu travailles est chic, plus c’est bien d’y travailler », souligne Nemr lorsqu’il est interrogé sur son « meilleur souvenir ». « OK, c’est “fun” de conduire de nouvelles voitures, des voitures de luxe. Mais pour moi, ce n’est pas ça, l’important. Ce qui me fait vraiment plaisir, c’est de voir une star du show-biz ou une personnalité politique ou médiatique. Wow ! Là où je travaillais, à Kaslik, il y avait souvent des chanteurs et des chanteuses qui venaient passer la soirée. Lorsqu’ils sont sympathiques et qu’ils vous parlent gentiment, c’est vraiment agréable. » Mais pour Nemr, ce qui est « au-dessus de tout, c’est de revenir chez soi la nuit en sachant qu’on a fait vraiment beaucoup d’argent. On est souvent crevé, incapable de bouger, mais on sait qu’on a fait en une nuit ce que d’autres feraient en 2 mois… ». En général, « ce sont les touristes arabes qui donnent de bons pourboires, et les étrangers aussi. Les Arabes donnent facilement 100 dollars ». Mais ce qui a surtout marqué Nemr, c’est ce soir où le chanteur Georges Wassouf est arrivé, « insultant tout le monde parce que c’est sa manière de rigoler ». Puis, ajoute Nemr, un sourire aux lèvres, la star lui a tendu « 1 500 dollars, rien que ça ! C’était une soirée inoubliable. Bien sûr, nous nous sommes partagé le pourboire avec les autres voituriers, mais quand même, c’était vraiment bien de vivre ça… ». Ne pas se fier aux apparences… « Ce que j’ai appris, c’est de ne pas me fier aux apparences. Une personne qui vous confie les clés d’une voiture flambante neuve peut très bien ne rien vous donner comme pourboire. Souvent, des gens à la voiture presque déglinguée sont plus généreux que ceux qui affichent des airs de riches », affirme d’emblée Tony, qui est « valet parking » à la rue Gouraud. Aujourd’hui, alors que 20 pubs ont été fermés par les autorités à Gemmayzé suite aux plaintes des riverains, les voituriers « trop bruyants » alors que d’autres ne veulent qu’une chose, dormir, sont aussi mis en cause. Nemr souligne à cet égard que « les voituriers n’ont pas le choix. Ils travaillent dans le speed, doivent réagir aux désirs immédiats des clients. Mais, en général, je ne pense pas qu’ils soient eux responsables du tapage. Le pic du travail se situe à 11h, puis à partir d’1 heure du matin. Entre-temps, je peux vous assurer que les voituriers se reposent, discutent entre eux. Sauf si c’est des petits jeunes et qu’ils pensent qu’en faisant ce métier ils vont pouvoir s’amuser. Mais ça c’est une autre question… » Le propriétaire d’une compagnie témoigne Chadi Habr est propriétaire d’une compagnie de voituriers. Sur le ticket que vous tend l’un de ses employés qui vous aura garé votre voiture, on peut lire que cette compagnie vous assure ses services pour tout genre d’événements : mariages, banquets, conférences, etc. Contacté par téléphone, Chadi Habr aime s’enorgueillir du fait que sa compagnie est « l’une des rares au Liban à avoir obtenu le certificat ISO ». Il dit gérer quelque 300 employés et qu’ils sont tous inscrits à la CNSS. Il ajoute que sa compagnie a signé un contrat d’assurances « tous risques » et qu’au moindre problème, elle se charge de tout dommage infligé au véhicule dont elle est en charge, « sauf bien sûr si c’est la faute de l’employé »… Dans ce cas, c’est ce dernier qui doit assumer une partie des réparations. « Mes employés sont payés 3 500 LL de l’heure, sans compter les pourboires », ajoute-t-il. Est-il au courant qu’une employée de maison touche à peu près 6 000 LL de l’heure ? « Oui, mais une employée de maison finit son travail en 1 h alors que les chabeb restent plusieurs heures… » Toutefois, il reconnaît que « ce n’est pas dans toutes les régions que mes employés touchent les pourboires qui leur sont remis. Parfois, ils les partagent équitablement entre eux, parfois, ils ne touchent rien… Ça dépend des régions ». Une application paradoxale qui souligne bien le manque de régulation dans ce secteur et les conditions aléatoires de travail des voituriers. Lélia Mezher
Une voiture freine. Le conducteur sort de son véhicule, tend nonchalamment les clés au voiturier puis se dirige vers l’entrée du restaurant.
Le confort dans lequel les Libanais aiment à s’entourer n’est toutefois pas gratuit. Lorsqu’il sortira du restaurant, le conducteur glissera dans la main du voiturier un billet de 1 000 livres libanaises (LL), parfois de 5 000 ou...