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Actualités - OPINION

Faut-il sauver la Résistance?? II.- Forger des compromis stables pour une paix interne durable

Enivré par les victoires, et on le serait pour moins, aveuglé par l’isolement sécuritaire qu’il s’est choisi, même au sein du sa propre communauté, et a fortiori au sein du patchwork libanais, grisé par le retrait inconditionnel israélien du Sud en mai 2000 qui a couronné sa lutte de libération, et par les divers échanges de prisonniers et de cadavres, le Hezbollah semble depuis 2006 être acculé à gérer le quotidien tout en restant sur la défensive.D’autres ont fait de même avant lui, et c’est une grande erreur s’il n’a pas analysé les similitudes entre les turbulences et les convulsions qui agitent son existence ces dernières années et celles qui ont annoncé la faillite des forces qui l’ont précédé. Similitudes qui semblent être autant d’indices de sa défaite annoncée.En effet, c’est quand ils sont au faîte de leur puissance que les partis et les courants politiques libanais atteignent le sommet de leur aveuglement et donc de leur vulnérabilité. La jalousie et la crainte qui caractérisent les relations inter et intracommunautaires y sont pour beaucoup. Mais ce qui joue le rôle le plus destructeur, c’est surtout la crainte qu’ont les pays limitrophes de voir se développer au Liban des courants politiques forts qui pourraient transcender certaines aspirations régionales. S’y ajoutent pour précipiter leur chute?: une pensée rigide, un clanisme, ou une prétention de réduire la représentation d’une communauté ou d’un pays à la voix d’un parti (Voir L’Orient-Le Jour du samedi 2 août 2008). Quiconque a observé, depuis la défaite et le départ des Ottomans, le triste sort réservé à tous ceux qui ont inspiré au Liban de vastes et vrais mouvements populaires à répercussion régionale, comprendra que le Hezbollah a ainsi mangé son pain blanc. Les négociations en cours entre la Syrie et Israël, ainsi que le flirt à peine déguisé par de petites bouderies entre l’Iran et les USA, nécessitent en effet l’élimination à terme de tout ce qui pourrait constituer un risque de déraillement indu. Le parti de Dieu bien engoncé dans son dogme résistant est bien entendu considéré comme le principal perturbateur potentiel d’une telle entreprise, et de loin le plus efficace. On en arrive ainsi à devoir donner des gages de sérieux entre partenaires dans le processus de paix en prouvant sa capacité à mettre ce parti au pas, pour s’en débarrasser sans regret le moment venu. De surcroît, les négociations par l’entremise de la Turquie entre la Syrie, Israël, et les États-Unis nécessitent, pour bien aboutir, un gouvernement stable au Liban. Il faut en effet empêcher qu’on puisse saboter, au nom d’un nationalisme malvenu ou d’une ferveur religieuse inopportune, un processus de détente qui ne saurait plus attendre. Il était donc normal, après la liquidation à Damas du cerveau militaire du Hezbollah, de négocier le virage du retour de celui-ci à la vie «?civile?», comme le souhaitait il y a quelques semaines le président Bush. Quel sera le prix à payer?? Telle est la grande inconnue de ce bazar régional de la paix dont le Liban restera un éternel exclus. Car c’est avec la Syrie qu’Israël aspire à faire d’abord la paix?; n’en déplaise aux grandes voix libanaises, qui ne cessent de clamer avec force accents lyriques que le Liban sera le dernier État arabe à signer un accord de paix avec Israël – après les îles Comores ou Djibouti?? À moins que ce ne soit après la Somalie. La présence de la Turquie, sponsor des nouvelles négociations syro-israéliennes, et de l’Iran, son éternel adversaire, à l’élection puis à la cérémonie d’intronisation du général Sleiman est révélatrice de la concurrence entre les pôles régionaux, mais surtout de leur volonté de s’assurer que leurs accords, rudement négociés, sont bien respectés et exécutés à la lettre. Il était en effet impensable d’imaginer, aujourd’hui comme alors, que la Syrie se laisserait un jour asphyxier par une hypothétique pax americana comme le fut la Corée du Nord. Inversement, pouvait-on sérieusement imaginer que les États-Unis ou l’Europe accepteraient de transformer la Syrie en État paria, avec toutes les conséquences néfastes que ce changement pouvait avoir sur une région aussi politiquement volatile que le Proche-Orient?? Déjà en 1984, pour faire avorter la tentative du Liban de s’engager sur le chemin vers la paix, on avait opportunément utilisé la montée en puissance du chiisme politique, à travers le retournement de la VIe Brigade et l’émergence des milices du mouvement Amal, pour évincer l’État libanais hors de Beyrouth-Ouest et utiliser cette pression pour empêcher la ratification par Baabda de l’accord de paix du 17 mai malgré un vote favorable du Parlement. L’histoire bégaie?: un quart de siècle plus tard, le gouvernement issu des élections de 2005 et encouragé par les puissances sunnites voisines aurait tenté en douce des ouvertures. Il eut vite fait de mettre en veilleuse ses plans de détente, sinon de paix avec l’État hébreu, après avoir dangereusement vacillé sous les coups de boutoir du Hezbollah. En ce faisant, le parti de Dieu a dû s’acquitter d’un prix énorme?: son coming-out, et donc la perte de sa place à part dans le puzzle libanais. Quel coût plus grand en effet pour le Hezbollah, éternel vainqueur à la Pyrrhus, que la perte de son aura et de l’immunité que lui conférait son statut autoproclamé de résistant ombrageux et exclusif?? Sayyed Hassan Nasrallah, avec son flair politique aiguisé, a probablement senti l’imminence du danger quand il a prononcé récemment un discours au ton particulièrement conciliateur. Un discours où il découvrait les vertus de l’union nationale pour défendre le pays et que la véritable essence de notre nation (à définir…) était surtout faite d’amour de la liberté et de résistance à l’oppression. Des propos qui ne sont pas sans nous rappeler (que Dieu protège le sayyed et ses compagnons?!) ceux tenus avant lui, dans des moments de gloire éphémère et de solitude annoncée, par les martyrs de la cause libanaise. Qu’on se le rappelle?: dans l’après-1982, la Syrie, affaiblie et fourbue par les coups israéliens, avait su, à la faveur des querelles intestines libanaises, rebondir et s’arranger pour remettre le Liban dans son orbite. Aujourd’hui, elle a une fois de plus démontré qu’on ne fera rien au Liban sans son accord?; et qu’Israël n’en prendra pas ombrage. Elle a ainsi bien géré les conséquences de son retrait forcé de 2005 et a réussi une fois de plus à tourner à son avantage une situation jugée alors quasi irrécupérable. En effet, il n’aura finalement fallu que trois ans pour que les promesses d’allégeance indéfectible à la Syrie proclamées place Riad el-Solh le 8 mars soient tenues, que l’au revoir lancé depuis la place des Martyrs le 14 mars de cette même année soit entendu, et ainsi que soient réalisées les prophéties du président Assad prédisant que hors la Syrie, point de salut pour le Liban. Le seul moyen de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y céder, avait dit Oscar Wilde. Ainsi, l’équilibre des forces qui coexistent au Liban est testé depuis mai d’une manière incessante. Ce test est le précurseur le plus précis d’une guerre civile qui montre ses crocs. Une guerre souhaitée par des jeunes en mal d’avenir et d’émotions. Des jeunes dirigés par des chefs qui n’ont pas encore compris qu’ils seront les premières victimes d’un tel conflit s’il venait à éclater. Si le Hezbollah a enregistré des points à Beyrouth, il a par contre été rudement contré dans la Montagne. La banlieue sud de la capitale est ainsi devenue un îlot assiégé au sud et à l’est, tandis que l’occupation de l’axe Beyrouth-Masnaa privait les positions du Hezbollah au Sud de l’accès à ses bases arrière dans le nord de la Békaa. Les affrontements ont suivi le chemin macabre de 1975-76?: Beyrouth, Békaa, Tripoli, pour ensuite revenir éventuellement hanter la capitale. Si les armes importées récemment et les entraînements à la va-vite n’ont pas pu modifier le sort initial de la bataille de Beyrouth et de sa banlieue, partout ailleurs les affrontements ont été rudes et ont permis aux adversaires du Hezbollah de ne pas céder du terrain et de créer et renforcer de nouveaux fronts, déterminés ainsi à en découdre avec le chiisme politique appuyé par l’Iran. La Syrie saura-t-elle se poser en sauveur et nous en préserver?; et l’histoire bégaiera-t-elle une fois de plus?? Il faut dire que cette fois-ci la Syrie a fait peau neuve et sa stratégie envers le pays du Cèdre s’en ressent déjà. Si cela rassure quelques-uns, Damas ne bougera pas un troufion pour investir le Liban et enterrer les lambeaux ensanglantés des rêves de liberté inassouvis de ses fils de tous bords?: ses comparses locaux, même au prix de leur perte, s’en chargeront?; mais les murailles du Hezbollah devront céder d’abord. Il y eut l’occupation du centre-ville, les affrontements autour de l’Université arabe, le meurtre des deux jeunes Ziad, les manifestations réprimées dans le sang le long de la frontière du bastion du parti, les attentats contre la Finul – une longue série d’événements sanglants où le Hezbollah a été chaque fois amené, à tort ou à raison, à se justifier. Le principal aspect de la nouvelle stratégie est la volonté de neutraliser le Liban de l’intérieur, par effritement et chaos contrôlés, et éviter des combats à large échelle, coûteux et inutiles. Les élections prochaines le démontreront, qui amèneront à la place de l’Étoile une classe politique plus docile, aux projets vagues et aux agissements aussi imprévisibles que les desiderata de leurs maîtres occultes. Car comment espérer qu’ils puissent légiférer et offrir un cadre de gouvernance quand l’État, faute de moyens et de leviers financiers efficaces, est réduit à quémander à l’étranger ses besoins stratégiques en défense, en sécurité et en énergie, pour ne mentionner que ça?? En effet, si la Syrie ne peut toujours pas tolérer son indépendance, elle a découvert qu’elle n’a aucun intérêt à tuer la poule aux œufs d’or. Les revenus du Liban proviennent de l’étranger, et s’il n’a plus les réserves d’autrefois, il peut encore vivre bien. Avec juste ce qu’il faut de stabilité, il pourra ainsi continuer à contribuer par simple osmose au développement économique syrien et à son ouverture à l’économie de marché. Avec une juste dose d’inquiétude dopée par toutes les folies fondamentalistes, on asservira mieux sa population sans trop la désespérer, et on lui ôtera toute velléité de liberté, terrain de choix pour l’entretien des flammes salafistes sous diverses couvertures associatives et sociales. Pour Israël, malgré les ricanements des uns et des autres, le Liban restera toujours l’ennemi à abattre?; et son asservissement un service inestimable qui lui est rendu. Pour les mémoires courtes?: les frappes qui ont anéanti les armées arabes en 1967 ont été suivies de la destruction de toute la flotte MEA en 1968. Le revenu par habitant du Liban, qui dépassait celui d’Israël en 1970 et celui de plusieurs pays du Golfe, a stagné depuis la guerre qui a débuté en 1975 (ou en 1969). L’armée libanaise, qui a été la seule à tenir tête à Tsahal, et à abattre avec un pauvre Hawker-Hunter, en pleine guerre de 1967, un appareil Mirage, fleuron de l’armée de l’air israélienne et symbole de sa supériorité technologique. Les exemples abondent qui démontrent que le seul risque stratégique et vital pour l’État hébreu demeure la réussite de l’État multiculturel multiconfessionnel libanais. Reste à savoir alors si, après les terribles leçons de notre histoire récente, nous sommes prêts, pour éviter cette catastrophe, à forger des compromis stables, fondateurs de paix nationale durable. Si nous pouvons dépasser les fortes allergies réciproques pour saisir au vol l’offre du secrétaire général du Hezbollah et prévoir les acquis de fierté et de dignité durement payés, même malgré nous, de la Résistance libanaise, en s’y invitant pour y inclure réellement les autres composantes de la nation. Une solution pareille ne ferait alors que renforcer la position même que les parties régionales cherchent à affaiblir ou à éliminer. Au vu des expériences passées, il n’y a malheureusement rien qui présage une issue heureuse, et si le Hezbollah venait à s’effriter d’une manière incontrôlable, c’est une brèche par laquelle plein de dangers s’engouffreront. On a trop vu comment, à maintes reprises, les affrontements entre les frustrations des démunis et les forces de l’ordre ont à chaque fois tourné au drame. On ne peut non plus imaginer l’étendue des dégâts que susciterait une fragmentation, pour les causes les plus diverses, de l’arsenal du Hezb. Les perspectives sont sombres et seul un miracle, un vrai, pourra nous en préserver cette fois. Gageons que les prières sincères pourront, par la grâce des quelques bonnes âmes qui peuplent encore cette terre d’infortune, sauver notre pauvre Liban de son martyr annoncé. Wassim HENOUD
Enivré par les victoires, et on le serait pour moins, aveuglé par l’isolement sécuritaire qu’il s’est choisi, même au sein du sa propre communauté, et a fortiori au sein du patchwork libanais, grisé par le retrait inconditionnel israélien du Sud en mai 2000 qui a couronné sa lutte de libération, et par les divers échanges de prisonniers et de cadavres, le Hezbollah...