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Actualités - REPORTAGE

Le révérend Alan T. Perry, prêtre canadien au diocèse de Montréal, explique les enjeux des disputes actuelles L’Église anglicane, entre querelles d’influence et lutte pour le pouvoir

Plus de 600 évêques anglicans se sont retrouvés, le 16 juillet, à Canterbury dans le sud-est de l’Angleterre, pour trois semaines de conférence sur l’avenir de la communion anglicane, au bord du schisme en raison de profondes divergences sur l’ordination des femmes et des homosexuels. Cette « conférence de Lambeth », qui se tient tous les dix ans, est la seule à rassembler l’ensemble des évêques et archevêques du monde anglican, qui compte quelque 77 millions de fidèles. Mais un quart environ des quelque 800 évêques ont décidé de manquer ce rendez-vous à cause de divergences sur le chemin pris par l’Église anglicane ces dernières années. L’Église anglicane est profondément divisée depuis l’ordination par l’Église épiscopalienne américaine, en 2003, d’un évêque ouvertement homosexuel, les conservateurs estimant que de telles ordinations sont contraires à la Bible. C’est ainsi que les prélats les plus traditionalistes, particulièrement nombreux en Afrique, ont décidé de boycotter la réunion, alors que des évêques américains, britanniques ou australiens remettent parallèlement en cause la primauté du chef de l’Église anglicane, l’archevêque de Canterbury Rowan Williams. La « conférence de Lambeth », qui s’est terminée hier, réunit chaque dix ans tous les hauts responsables de l’Église anglicane. Elle a eu, cette année, une teneur toute particulière. Au cours de cette dernière décennie, le fossé s’est creusé un peu plus entre conservateurs et libéraux, notamment au sein de l’Église épiscopalienne (la branche américaine de l’Église anglicane), avec l’ordination, en 2003, de Gene Robinson, divorcé et ouvertement homosexuel. Le vote, début juillet, du synode de l’Église anglicane d’Angleterre, qui a permis à son tour l’ordination de femmes évêques comme le font déjà quelque 15 provinces, a également créé des querelles supplémentaires. Mais pour le révérend Alan T. Perry, prêtre de l’Église anglicane du Canada au diocèse de Montréal, la crise actuelle « trouve ses racines depuis le début de l’histoire anglicane. À travers les siècles, il y a eu plusieurs divergences sur la doctrine, le culte et la pratique au sein de cette Église. L’existence de plusieurs groupes représentant des positions divergentes ou opposées est l’évidence même que la crise n’est pas nouvelle (« High Church », « Low Church », « Broad Church », en sont quelques exemples) ». « Ainsi, il n’y a rien de particulièrement unique dans le fait que l’Église anglicane traverse une période de crise », explique le père Perry. « Bien sûr, les désaccords au sein des Églises ne sont pas le propre de l’Église anglicane, toutes les Églises à travers l’histoire sont passées par des périodes de conflits sur diverses questions », rappelle-t-il. Plusieurs facteurs entrent en jeu dans le conflit actuel. « Il serait trop facile de suggérer qu’il est motivé uniquement par la sexualité, la place des gays et lesbiennes au sein de l’Église anglicane (si toutefois ils en ont), l’ordination des femmes ou bien l’interprétation de la Bible. Le Rapport de Windsor* considère ces différends comme des « sujets de surfaces » et non de fonds », ajoute le révérend Perry, estimant « que le conflit actuel est plutôt une lutte pour le pouvoir ». D’une part, il y a une crise interne au sein de l’Église épiscopalienne. Une partie, appelée TEC (The Episcopal Church), se considère comme étant la minorité conservatrice de l’Église américaine. Elle est appuyée par des alliés internationaux, « particulièrement au sein des provinces qui s’identifient comme le “Global South” », explique Alan Perry. Le « Global South » regroupe, depuis octobre 2005, 20 des 38 provinces qui composent la communion anglicane (notamment le Bangladesh, le Burundi, le Congo, le Kenya, la Birmanie…). Au départ, ce terme était simplement utilisé pour se référer au tiers-monde, il n’a commencé à s’appliquer aux Églises chrétiennes qu’à partir de 2003. L’impulsion a été donnée avec l’ordination de Gene Robinson et les Églises du Global South se sont alliées avec les conservateurs des États-Unis pour protester contre les relations à l’intérieur du même sexe au sein de l’Église anglicane. Il s’agit, d’autre part, « d’une lutte d’influence et de pouvoir tant au niveau provincial qu’au niveau international. Les sujets de “surfaces” peuvent être utilisés comme des justifications pour la lutte du pouvoir ». Ainsi les différents acteurs de la lutte jouent sur le chantage, explique Alan Perry. Et il y a des enjeux très importants. « La lutte pour le pouvoir est nourrie par d’énormes sommes d’argent », précise-t-il. L’Église anglicane s’éloigne-t-elle de sa doctrine ? Vu l’évolution de ces dernières années, on serait tenté de croire que l’Église anglicane s’est quelque peu éloignée de sa doctrine originelle. Pour Alan Perry, « la plupart des conservateurs pensent que l’Église est en train de s’éloigner de sa doctrine originelle sur des questions comme la sexualité ou l’interprétation de la Bible. Alors que les libéraux conviennent que l’Église ne s’est pas tellement éloignée de sa doctrine mais réinterprète et réapplique plutôt ses principes suivant le cours de l’évolution. Par exemple, il y a 50 ans, sur la question du remariage après un divorce, la plupart des anglicans auraient été scandalisés. Je ne serais pas surpris d’apprendre que dans certaines provinces le remariage soit toujours interdit. Il y a eu aussi un débat similaire à la conférence de Lambeth de 1888 à 1988 sur la question de la polygamie, si un homme polygame avait le droit d’être baptisé ». Concernant la question des homosexuels, l’affirmation doctrinale de la dignité humaine que tout être humain est fait à l’image de Dieu a été appliquée dans quelques provinces. Les cultures occidentales sont arrivées à les accepter et les ont compris comme des « born again ». « Ainsi, la législation canadienne a abrogé les anciennes lois contre les gays et introduit de nouvelles pour protéger leurs droits. Au Canada, depuis 2005, les homosexuels ont accès au mariage, avec tous les droits, les avantages et les inconvénients de cette institution. Quelques chrétiens, dont des anglicans, ont accueilli ce développement, comme l’application de principe séculier de droits de l’homme. D’autres anglicans, à l’instar d’ailleurs d’autres croyants, ont quelque peu été affligés par cette prolongation du droit de marier des gens du même sexe », affirme le révérend Perry. « Personnellement, je ne pense pas qu’on s’est tellement éloigné de la doctrine originelle, puisqu’on l’a laissée évoluer et appliquer dans de nouveaux chemins vers de nouveaux contextes », ajoute-t-il. Lutte entre conservateurs De ce fait, on pourrait penser que le conflit au sein de l’Église anglicane serait une lutte entre conservateurs et libéraux, mais « qualifier cette dispute permanente d’une lutte entre conservateurs et libéraux simplifie beaucoup le problème », explique le prêtre canadien. « Qui sont les libéraux et qui sont les conservateurs ? Dans chaque “camp” on va trouver plusieurs avis sur un même sujet. Et ce serait une erreur de les voir comme des groupes homogènes. Par exemple, il y a des conservateurs qui sont opposés aux gays au sein du clergé, mais ils sont pour les gays laïcs. D’autres sont opposés aux homosexuels dans le clergé mais en faveur des femmes évêques, etc. », souligne M. Perry. « Personnellement, je vois cette crise comme un des nombreux épisodes de la lutte au sein de l’Église. Et malheureusement, ce ne sera pas la dernière », souligne-t-il. Peter Akinola Parmi les conservateurs, Peter Akinola, chef de l’Église du Nigeria, mène une fronde depuis 2003 contre l’archevêque de Canterbury. Pour Alan Perry, plusieurs causes expliquent la position de Peter Akinola contre Rowan Williams. « Peut-être est-il frustré que l’archevêque Williams ne réagisse pas de manière autoritaire envers les groupes avec lesquels l’archevêque Akinola est en désaccord », explique le révérend. « Il se peut qu’Akinola utilise simplement ces attaques pour gagner de l’influence au sein du “Global South” », estime-t-il encore. « Dans tous les cas, c’est vraiment un spectacle désolant de voir une telle hostilité entre deux archevêques. Pour ma part, je trouve tout à fait inexcusable le boycott de la conférence de Lambeth par Akinola, surtout qu’il a demandé à ses pairs nigérians de suivre sa position. Comme on dit, “les absents ont toujours tort” », affirme-t-il. Se dirige-t-on vers un schisme ? À l’occasion de l’ouverture de la « conférence de Lambeth », l’archevêque de Canterbury a réfuté l’idée d’un schisme imminent au sein de l’Église anglicane malgré les profondes divisions qui opposent ses ailes libérale et conservatrice. « Si c’est la fin de la communion anglicane, alors personne ici n’a été prévenu », a ainsi déclaré Rowan Williams. « Nous regrettons votre absence », a déclaré l’archevêque de Canterbury à l’adresse de ceux qui avaient décidé de constituer fin juin à Jérusalem une conférence épiscopale (Gafcon) alternative aux Églises qui prôneraient, selon eux, un « faux Évangile entaché d’immoralité sexuelle ». Dans un souci d’apaisement, Rowan Williams n’a pas convié Gene Robinson à la conférence de Lambeth, mais ce dernier s’est quand même rendu à Canterbury pour y rencontrer ses confrères en marge de la réunion. « Il se peut que l’Église anglicane se dirige vers un schisme, mais il est encore trop tôt pour en être certain », affirme Alan Perry. « J’espère que ça ne se produira pas », poursuit-il. Il y a eu plusieurs schismes tout au long de l’histoire, des groupes insatisfaits sont partis, d’autres ont été poussés vers de nouveaux objectifs. « Les valeurs de diversité d’opinions et de pratiques de l’anglicanisme sont un véritable cadeau. Notre structure de région autonome, “les provinces”, permet d’avoir une diversité régionale et culturelle sans pareil. Comment l’Église anglicane va-t-elle trouver un moyen de ressouder l’unité dans sa diversité et de trouver de nouvelles façons de valoriser cette diversité ? Il est encore trop tôt pour y répondre », conclut M. Perry. *Le rapport Windsor : après l’ordination de Gene Robinson, la crise a été jugée suffisamment sévère pour qu’un document faisant le point sur les menaces pesant sur l’unité et les moyens de les dépasser soit présenté à l’ensemble des Églises de la communion anglicane en octobre 2004. Ce document, appelé rapport Windsor, tout en reconnaissant l’ordination de Gene Robinson, enjoignait à ceux qui l’avaient consacré de se retirer des instances représentatives internationales de la communion anglicane. Il préconisait également un moratoire sur les ordinations épiscopales du même type et invitait tout le monde, libéraux et conservateurs, à exprimer leurs regrets d’avoir menacé l’unité de la communauté anglicane. Propos recueillis par Karine JAMMAL
Plus de 600 évêques anglicans se sont retrouvés, le 16 juillet, à Canterbury dans le sud-est de l’Angleterre, pour trois semaines de conférence sur l’avenir de la communion anglicane, au bord du schisme en raison de profondes divergences sur l’ordination des femmes et des homosexuels. Cette « conférence de Lambeth », qui se tient tous les dix ans, est la seule à...