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Actualités - OPINION

Tout à l’ego

«?L’aube éclairera-t-elle les monts du Liban? Qu’adviendra-t-il de notre terre, quand les géants auront fini de se battre et de s’enivrer de sang et de larmes?? Ils avancent désormais, dévastateurs tels les volcans et les tempêtes. Pourrons-nous encore prier, là où les diables ont dansé?? La mère auprès du berceau chantera-t-elle les douces berceuses sans que la peur batte la mesure???» Gibran Khalil Gibran Le soleil s’est levé plus rayonnant, plus chaud sur les monts du Liban, une matinée du 21 mai. Un miracle s’est produit du jour au lendemain, a modifié toutes les données, a mis fin à la guerre, a supprimé la discorde et a consolidé la cohésion entre les citoyens. Pour célébrer une si bonne nouvelle, les Libanais sont experts en festivités. Comme par magie, le mal est écarté et c’est la fête. Pourvu que la vie recommence à leur offrir un minimum de bonté et écarte les odieux nuages noirs de la guerre civile qui encombrent les cœurs, pour qu’ils retrouvent enfin cette douceur de vivre tant souhaitée. Après l’accord de Doha, après le soutien sincère des Qataris, de cheikh Hamad ben Khaled al-Thani, il est temps que chaque responsable libanais fasse preuve de bonne foi envers le peuple qui l’a élu, qu’il remplisse ses engagements en réparant les préjudices causés et réponde vite aux besoins du pays. Il ne faudrait surtout plus tolérer les injustices, bafouer les droits des autres et négliger l’intérêt commun, celui qui construit les nations. Qu’adviendra-t-il de cette terre chaleureuse, de ces montagnes accueillantes, de cette mer ouverte à maintes cultures, lorsque le mal l’emporte sur le bien, lorsque l’esprit des Libanais change et?lorsque l’on bannit toute miséricorde?des cœurs ? Faudrait-il à chaque fois compter sur la bonne foi des autres, sur des aides généreuses, arabes ou autres, pour remettre de l’ordre et nous ramener la paix?? Comment mériter cette paix soudaine, qu’on avait tant de fois piétinée, négligée, sous-estimée avec légèreté et effronterie?? Car la jalousie et la haine ont rendu notre patrie aride, plus aride que le désert. Le désert n’existe plus ailleurs. «?Dieu regarda la terre et la vit corrompue, car toute chair avait perverti sa conduite sur la terre. Dieu dit à Noé?: “Pour moi la fin de toute chair est arrivée?! Car à cause des hommes, la terre est remplie de violences, Et je vais les détruire avec la terre”.?»? Comment échapper à la colère du Bon Dieu, lorsque l’existence même des chrétiens est menacée au Proche-Orient?? L’exemple des chrétiens d’Irak est significatif?: plus de la moitié des membres de cette communauté ont pris le chemin de?l’exil. Les chrétiens de Palestine luttent, dans la violence, pour se faire une petite place sur leur propre terre. Les chrétiens du Liban réalisent les dangers qui les menacent?; ils observent tristement le comportement de leurs responsables, mais ils n’arrivent pas à s’unifier, à mettre fin à cet anéantissement progressif de leur communauté et à dépasser le confessionnalisme tant honni. Régis Debray, écrivain et médiologue, trace dans son dernier ouvrage, Candide en Terre Sainte, publié chez Gallimard, les raisons du conflit actuel dans le Proche-Orient entre les différentes communautés et les changements qui s’opèrent. Pour lui, c’est le règne du narcissisme absolu, c’est le «?tout à l’ego?» des responsables?; les valeurs collectives institutionnelles sont passées au second plan, sont même en voie de disparaître, au bénéfice de la réussite individuelle et de l’épanouissement personnel. L’idée démocratique est en train de disparaître dans cette région du monde, elle est défigurée par l’extrémisme, les bombes et l’occupation. La séparation entre le politique et le religieux serait, selon Debray, la seule et unique solution. Il serait donc nécessaire de construire des sociétés autonomes par rapport aux confessions religieuses. Les religions doivent toujours exister, mais loin de la politique, «?dans les maisons?» dit-il, pour ne plus étouffer la politique, comme c’est?le cas aujourd’hui au Liban. Il est de l’intérêt de l’islam et de l’Occident que les chrétiens continuent à exister. Il est de l’intérêt du monde de ne pas perdre ce peuple avant-gardiste, assoiffé de modernisme, de nouveauté, de diversité et de liberté, dans cette partie du monde livrée au désordre. Il faudrait surtout que la politique reprenne sa place prioritaire par rapport aux traditions religieuses, car «?le sacré ne se marchande pas?». Aujourd’hui, un nouveau président de la République nous a été donné, un grand homme, modeste, capable et discret. Les Libanais connaissent déjà ses multiples qualités en tant qu’ancien commandant en chef de l’armée. Ils n’ignorent rien de sa sagesse et de son «?self-control?» dans sa façon de se conduire dans les moments les plus difficiles de l’histoire de notre pays. Tous les protagonistes l’ont désigné de plein gré comme chef de l’État. Cet homme est prêt à tout mettre en œuvre pour aider ses compatriotes, tous ses compatriotes, à remonter la pente et à sauver le pays. Aussi est-il du devoir de tous de l’aider à réaliser son souhait, qui est aussi celui de tout Libanais intègre. Et pour cela, il faudrait oublier les intérêts personnels et œuvrer pour le bien de tous. Pour parvenir à le faire, que tous ces responsables qui nous avaient assourdis de par le passé du bruit de leurs querelles interminables se taisent. Et avec eux tous les talk-shows, pour faire place à un dialogue discret et sincère, à des tables rondes loin des médias, loin des ingérences étrangères. Oui, il nous faut surtout surmonter nos différences, dans le dialogue, dans le face-à-face, en regardant dans la même direction?: vers l’avenir prospère du Liban. Il faudrait enfin arriver à l’entente, la vraie?; celle qui instaure la démocratie dans cette région, celle qui octroie à chacun son droit, celle qui unifiera les Libanais, les rendra un pour tous et tous pour un. Comme le dit si bien Régis Debray, il faudrait «?arpenter nos différences face à face et parler sans se fâcher de tout ce qui fâche?». Ces derniers temps, mon pays avait changé d’identité, de formule?; c’est l’image des méchants qui occupent le pays par la force, des malintentionnés qui refusent de tendre la main au peuple fatigué. Demain, l’histoire n’aurait plus rien de glorieux?à raconter, le bien aurait déserté ma terre?; la honte, le fanatisme et?la haine se seraient propagés. Les violations répétées des libertés ne devraient plus être courantes dans le tiers-monde. C’est un danger énorme que la politique de Bush a instauré, en jouant de la vie des petites nations?et en imposant sa loi inique?: celle de la raison du plus fort qui exploite et déchiquette tout ce qui lui tombe sous la main. Oui, si la politique américaine ne change pas dans le monde, une vraie menace se pose et, avec elle, une nouvelle logique répugnante?: l’extermination de plusieurs peuples. Hier, l’humanisme avait déserté notre monde. L’espérance s’était éteinte dans les cœurs, Dieu s’était bouché les oreilles et ne voulait plus écouter nos prières. Aujourd’hui, une nouvelle chance nous est offerte, un seul et unique espoir?: celui de savoir réagir pour saisir cette chance, pour tendre la main à notre nouveau président afin de l’aider à remettre le pays du Cèdre sur la bonne voie. Andrée SALIBI
«?L’aube éclairera-t-elle les monts du Liban? Qu’adviendra-t-il de notre terre,
quand les géants auront fini de se battre et de s’enivrer de sang et de larmes??
Ils avancent désormais, dévastateurs tels les volcans et les tempêtes.
Pourrons-nous encore prier, là où les diables ont dansé??
La mère auprès du berceau chantera-t-elle les douces berceuses
sans que...