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Actualités - OPINION

HUMEUR Je rêve, donc je suis Gilles KHOURY

Des jours que j’essaye de m’étourdir. Des jours que j’essaye tant bien que mal de me griser. Bosser (d’accord, pseudobosser), manger (euphémisme), télé, Facebook (je n’ai jamais dit m’instruire). Mais ça ne cesse de revenir, comme une douleur chronique. La mine des gens, le temps, le ciel, le vent, le goût de la « man’ouché ». Bref, ça ressort d’un peu partout. C’est inévitable, il faut en parler. Il faut ajouter son grain de pensée, sa pincée d’amertume, son zeste de rancœur. Pour crever l’abcès ? Et c’est là que je décide impulsivement de regarder Beyrouth, de loin forcément. On ne voit presque rien de « loin », juste ces immeubles moroses, accablés, cet air en mal de vivre, cet air en mal d’être. Il s’est passé quelque chose. Je le sens, je le sais. D’un sous-sous-sol (et c’est peu dire) de la banlieue, fumée blanche. Ça y est, il a craché sa couleuvre. Il l’a dit. Sauf que le mot est assassin, et il le sait (c’est justement pourquoi il a tenté de les effacer, leurs mots bleus, les nôtres, ceux de notre mer libre et frivole, ceux de notre ciel sublime). Et ses mots, ses hurlements (à nouveau euphémisme), ils sont gravés sur chaque RPG, sur chaque balle, sur chaque tache de sang, sur chaque larme, sur chaque épitaphe, sur ce qu’il veut que Beyrouth soit : une tombe, un Persépolis version 2.0, version pire (et lorsque je dis version pire, je suis optimiste). Ses mots, il ne pourra jamais les effacer, il ne pourra jamais se rétracter. Alors, il se perd dans ses dédales, la foule l’enivre, il s’entête, il décide de s’en servir. Les armes et cætera. Les mêmes qui ont été tournées contre l’occupant sont tournées contre l’occupé, contre nous, contre moi. Les jeux sont faits. Il tombe son masque, celui de pacotille, celui qui lui pesait trop lourd, celui qui a réussi à leurrer nos oranges amères. En l’espace d’un instant, d’une de ses lubies, tout se fige, la vie se coagule dans les veines de la capitale qui se morfond. Elle apprend cette fois, comme à chaque fois, à survivre, mystérieusement. Elle me surprend. Elle puise son énergie d’on ne sait où. Pas de nous déjà, puisque nous sommes trop occupés – égoïstes débrouillards – à activer le « mode guerre », avec ce qu’il inclut comme listes de supermarché, plein d’essence, préparation des abris. Tous ces gestes épuisants, tous ces réflexes frénétiques font tout à coup partie de notre quotidien et transforment ce bout de paradis en ville fantôme où nos idéaux se taisent, nos envies s’écroulent, nos totems se démantèlent. Mais nous, d’où puiserons-nous l’énergie, la volonté cette fois ? Peut-être de la rancune, peut-être de la haine cette fois. La haine de vouloir l’entendre (ou celui qui est perché sur sa « Colline ») crier tout haut, comme il sait si bien le faire : « Tu vois, j’suis pas un homme, Je suis le roi de l’illusion Au fond, qu’on me pardonne Je suis le roi, le roi des cons. » Et, à ce moment, ce sera réellement « divin », pour une fois, dans tous les sens du mot. Mais d’ici là, je peux en rêver. Si. Parce que je pense, donc je suis, il m’a tué. Parce que je dis/j’écris, donc je suis, il m’a tué. Mais là je rêve, donc je suis. Que va-t-il faire, me tuer ? Non, le rêve ne meurt pas. Article paru le vendredi 16 mai 2008
Des jours que j’essaye de m’étourdir. Des jours que j’essaye tant bien que mal de me griser. Bosser (d’accord, pseudobosser), manger (euphémisme), télé, Facebook (je n’ai jamais dit m’instruire).
Mais ça ne cesse de revenir, comme une douleur chronique. La mine des gens, le temps, le ciel, le vent, le goût de la « man’ouché ». Bref, ça ressort d’un peu...