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Éclairage Les « manœuvres » israéliennes, ou la nouvelle politique de dissuasion de l’État hébreu Jeanine JALKH

L’annonce par Israël du lancement des « exercices de défense passive », appelés d’ailleurs à tort ou à raison, par certains analystes, « manœuvres militaires », n’est pas passée inaperçue. Ces exercices, dont les responsables israéliens ont tenu à limiter la portée militaire, assurant qu’ils ne visaient ni la Syrie, ni le Liban, ni le Hezbollah, n’ont pas manqué en effet de susciter de multiples réactions dans les milieux concernés, que ce soit en Syrie – qui n’a pas tardé à déclarer qu’elle « était prête à faire face à toutes les options » – ou au Liban, où l’armée libanaise et la Finul se sont mobilisées pour enrayer toute tentative d’escalade. Mais quelles que soient les intentions de l’État hébreu – qu’il s’agisse d’intentions belliqueuses ou d’un simple message de dissuasion –, il reste certain que ces exercices ont soulevé des interrogations multiples aussi bien sur leur timing que sur les messages réels que l’État hébreu cherche à véhiculer notamment à ses adversaires dans la région. La question principale que se posent cependant les analystes au lendemain de ces « manœuvres », censées s’étaler sur cinq jours consécutifs, est la suivante : s’agit-il d’une simple mesure de prévention visant à préparer les citoyens israéliens dans le cas d’une attaque « aux katiouchas, ou à l’aide de missiles chimiques ou bactériologiques », des armes détenues, selon l’État hébreu, par l’Iran ou la Syrie ? Israël ne chercherait-il pas plutôt à préparer le terrain – militaire et psychologique – en vue d’une guerre globale qu’il provoquerait à un moment ou un autre ? S’il en est ainsi, n’est-il pas encore trop tôt pour l’appareil militaire israélien de se lancer dans une aventure d’une telle envergure dont il ne peut garantir les conséquences à court et long terme, et encore moins s’assurer une victoire dont dépend fatalement la survie même de l’État hébreu au lendemain de la défaite de 2006 ? Des interrogations que soulèvent depuis quelque temps les stratèges militaires et analystes politiques libanais et étrangers, qui, tout en craignant une guerre qui ne saurait être que globale cette fois-ci, n’en hésitent pas moins à écarter son éventualité à court terme pour des raisons politiques internes à Israël, mais aussi tactiques et militaires, « l’État hébreu n’étant pas encore, selon eux, tout à fait prêt, techniquement et psychologiquement, à déclencher une telle opération ». Selon un haut responsable de l’armée libanaise, l’armée israélienne n’est non seulement pas encore prête logistiquement parlant – il lui faudra notamment plusieurs années pour réhabiliter ses Merkava, qui ont prouvé leur limite durant la guerre de juillet –, mais elle n’a surtout pas eu le temps de rehausser le moral de ses troupes, le choc psychologique subi en 2006 étant plus profond qu’on ne le pense au sein de cette institution militaire historiquement connue pour être invincible. « Un processus irréversible » Pour cet officier, la situation dans laquelle se trouve cette armée relève de la schizophrénie : « Israël a un besoin incessant de mener une nouvelle guerre – ne serait-ce que pour redorer le blason de son institution militaire –, mais elle n’en est pas encore capable. À moins qu’une telle initiative ne soit prise par son puissant allié, les États-Unis, qui entraîneraient alors l’État hébreu dans une nouvelle aventure dont l’issue reste inconnue. » L’ancien général à la retraire et analyste en stratégie militaire, Élias Hanna, est également convaincu – pour des raisons différentes toutefois – que la conflagration n’est pas pour sitôt. Cet analyste – qui reconnaît au passage que l’État hébreu ne peut s’engager que dans un conflit armé à moins d’être sûr d’avance qu’il en sortira vainqueur – évoque plusieurs obstacles de taille auxquels l’armée israélienne doit faire face : tout d’abord, la 1701, qui a clairement imposé des règles d’engagement auxquelles il serait difficile pour le gouvernement israélien de se soustraire. La résolution onusienne, dit-il, « a créé un processus irréversible ». Autre point majeur que l’État hébreu ne saurait ignorer, poursuit l’analyste, le fait qu’en cas de conflit, il devra prendre en compte l’éventualité de l’embrasement simultané de quatre fronts : celui de Gaza, suffisamment attisé déjà, une ligne de confrontation avec le Hezbollah, d’une part, et la Syrie, d’autre part, et enfin, un quatrième « front », bien plus sérieux encore – à cause des armes balistiques –, avec l’Iran. Autant de difficultés que l’armée israélienne ne pourra à elle seule affronter, en tous les cas, « non sans l’approbation et le soutien des États-Unis ». Or, rien n’indique à ce stade que l’Administration US est prête à lancer une telle opération, d’autant que sa vision du « danger nucléaire iranien » est réversible, alors que celle de l’État hébreu ne l’est pas, pour des raisons de proximité géographiques notamment, estime le général Hanna. Bref, conclut ce dernier, les exercices menés en Israël depuis deux jours ne peuvent être interprétés que dans le cadre de la nouvelle stratégie israélienne de dissuasion, et non comme un message d’hostilité contre le Hezbollah ou la Syrie. D’ailleurs, ajoute l’analyste, il faut savoir en même temps que de leur côté, ni Damas ni le Hezbollah ne veulent actuellement d’un affrontement, même s’ils se disent prêts à riposter à toute attaque. La Syrie, qui se trouve aujourd’hui internationalement isolée, n’a pas les moyens d’un tel conflit ni l’expérience du Hezbollah en termes de guérillas. Le Hezbollah, quant à lui, voudrait faire l’impossible pour éviter à sa population chiite des conséquences qui seraient probablement encore plus douloureuses et désastreuses que celles de 2006, sans oublier le fait que cette fois-ci, la décision de la guerre n’est plus entre les mains du parti chiite, mais plutôt du ressort de Damas et de Téhéran, souligne-t-il. L’avis du Hezbollah Pour le Hezbollah, les « manœuvres », puisque c’est bien de manœuvres militaires globales qu’il s’agit et non d’un « simple exercice de défense passive » comme annoncé dans la presse, « ne peuvent qu’être prises au sérieux ». C’est ce qu’affirme en tous les cas le ministre démissionnaire Mohammad Fneich, qui soutient en outre que son parti ne peut « isoler les intentions d’Israël de sa nature belliqueuse ». Certes, le parti chiite n’en a que faire des « assurances » données au cours des derniers jours par Ehud Barak et perçoit le message des manœuvres sous l’angle d’une guerre, « non pas nécessairement imminente », mais « inévitable » pour Israël, qui « n’acceptera jamais le fait que son rôle de puissance militaire éminente dans la région a été contesté ». Selon le ministre, toute la question réside dans le « timing » que l’État hébreu choisira pour prendre sa revanche. « Il y aura certainement plusieurs étapes avant qu’Israël décide quand il sera prêt pour une telle guerre. Cela dépendra notamment du développement de l’équilibre des forces en présence », dit-il. Le parti chiite prend d’autant plus au sérieux ces « manœuvres » qu’il s’agit d’une première du genre, affirme M. Fneich. « C’est la première fois que l’État hébreu entreprend des exercices de manière aussi globale qui portent sur l’ensemble des institutions et des secteurs de l’État, y compris l’armée et le gouvernement dans son ensemble. Il s’agit d’une épée de Damoclès signifiant que l’État hébreu a bien appris les leçons de la guerre de 2006, et entend remédier aux lacunes et brèches que le rapport de Winograd a mises en évidence. » Une source informée de l’armée libanaise confirme pour sa part les propos du responsable chiite, soutenant que les « manœuvres » ont été effectivement « globales », les exercices ayant porté sur plusieurs éventualités et scénarios de guerre, et sur plusieurs types d’armes, de roquettes et de missiles qui pourraient être utilisés.
L’annonce par Israël du lancement des « exercices de défense passive », appelés d’ailleurs à tort ou à raison, par certains analystes, « manœuvres militaires », n’est pas passée inaperçue. Ces exercices, dont les responsables israéliens ont tenu à limiter la portée militaire, assurant qu’ils ne visaient ni la Syrie, ni le Liban, ni le Hezbollah, n’ont pas manqué en...