Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Impression Lapin de mars, poisson d’avril

En suivant un petit lapin blanc, le lapin de mars, Alice, insouciante fillette, bascule dans un monde gouverné par une logique absurde et menaçante. Comme pour Alice, un certain mars 2005, l’histoire nous a posé un lapin. Nous voilà de l’autre côté du miroir, sous l’empire du non-sens. À l’heure où l’Europe se penche pour la quatrième fois (c’est sa manie tous les dix ans) sur les événements de mai 68, au Liban on cherche en vain la trace d’un instant de rêve ou de révolte. Bien sûr, nous eûmes des orages. Nous eûmes des guerres dont le seul souvenir donne encore froid dans le dos. Une guerre, c’est aussi violent que prosaïque. Les guerres ne se mènent que pour la survie sur le mode défensif, ou la conquête, sur le mode agressif. Au niveau des idées, les guerres ne génèrent rien, sinon du désespoir, de toute façon. Mais les révolutions ? Y a-t-il jamais eu chez nous une tentative d’inversion du cours de l’histoire ? Un de ces grands chamboulements romantiques où les peuples ont rêvé des rêves universels ? Il est vrai que nous nous sommes battus, contre ou tout contre : l’Empire ottoman, les Français, les Britanniques, les Américains, les Palestiniens, les Israéliens, les Syriens. Mais pour ? Avons-nous jamais agi pour : un environnement plus sain, une société plus solidaire, mieux organisée, plus soucieuse d’avenir, de progrès, d’excellence, moins vulnérable aux allégeances ? Autant nous sommes forts en fraternité, autant le principe d’égalité nous effleure à peine. D’où vient notre échec à trouver un véritable projet fédérateur ? Des esprits réalistes soulignent, à juste titre, que les deux mégamanifestations de mars 2005 n’étaient pas des mouvements populaires, mais des mouvements de foule, l’un organisé, l’autre réactif, spontané, mais vite récupéré. Tous deux ne se sont produits qu’autour de la présence syrienne, les uns la rejetant et les autres la réclamant. La fausse sortie des Syriens n’a rien changé à la question fondamentale : quel projet avons-nous pour nous-mêmes, nous, nation de tribus hétéroclites qui, à un moment de leur histoire, ont conclu un pacte de fidélité et se sont promis protection mutuelle ? Nous voilà enlisés dans une sorte de folie où les responsables, menacés de mort à divers degrés, au même titre que le peuple, d’ailleurs, perdent un temps précieux à régler leurs comptes sans que personne ne leur en demande, de comptes. Un jour, il faudra escamoter dans les livres d’histoire cette période flasque et contre-productive où nos petits-enfants ne trouveront de héros que tièdes, arrivistes, cupides ou vendus, et pour citations que tirades ordurières. Il est temps de sortir de ce trou à labyrinthes, à miroirs déformants, à pilules pour grandir ou pour rapetisser, ce palais d’illusions foraines. Il est temps d’arrêter de spéculer sur les rumeurs malsaines, coupeuses d’élan, tueuses d’avenir. Il est temps de tourner le dos au lapin de mars et de noyer le poisson d’avril, d’adhérer à cette terre et de lui vouloir du bien, de toutes nos forces, car sans elle, nous ne serions qu’un peuple erratique. Déjà sur les devantures des photographes s’affichent les silhouettes de nos identités futures. Format américain, australien, canadien, français ? On adaptera nos traits aux normes du pays d’accueil. De nos vrais visages ne subsisteront que quelques fragments épars sur un miroir brisé. Il est temps d’arrêter d’attendre. Fifi ABOU DIB
En suivant un petit lapin blanc, le lapin de mars, Alice, insouciante fillette, bascule dans un monde gouverné par une logique absurde et menaçante. Comme pour Alice, un certain mars 2005, l’histoire nous a posé un lapin. Nous voilà de l’autre côté du miroir, sous l’empire du non-sens.

À l’heure où l’Europe se penche pour la quatrième fois (c’est sa manie tous...