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Actualités - REPORTAGE

REPORTAGE Les rêves des jeunes supplantés par le désespoir

Adolescent, Mazin Tahir a cru que l’invasion de l’Irak par les forces sous commandement américain allait faire pousser liberté et démocratie sur les cendres du régime de Saddam Hussein. Mais il ne se fait plus d’illusions maintenant qu’il est entré dans l’âge adulte, après cinq ans de violences qui n’ont laissé aucun répit à son pays. « C’est triste, ou drôle peut-être. Le rêve irakien s’est transformé en cauchemar », constate Tahir, qui avait 15 ans au moment de l’invasion. « Quand j’étais plus jeune, je rêvais qu’on se débarrasse de la dictature et qu’on la remplace par la démocratie. Saddam est parti, mais la situation en Irak est pire. Il y a des assassinats tous les jours, les hommes politiques se comportent comme des voleurs (...), c’est comme une malédiction de Dieu. » Tahir avait la vie devant lui au moment de l’invasion et il était plein d’espoir. Aujourd’hui, comme beaucoup d’autres Irakiens qui sont passés de l’adolescence à l’âge adulte sous l’occupation, il veut partir. Fatma Abdoul-Mahdi avait 17 ans en 2003. « Quand Saddam a été chassé, j’ai cru que les portes du bonheur allaient s’ouvrir, j’ai cru que je pourrais arrêter de porter des vêtements d’occasion et que je pourrais être comme les filles qu’on voit à la télévision », se souvient-elle. Fatma travaille comme enseignante à Bassora, dans le sud du pays, mais comme nombre de ses pairs, elle estime que sa situation s’est détériorée et que sa famille est plus pauvre aujourd’hui, après cinq ans d’instabilité et de souffrances. « Je porte toujours des vêtements d’occasion. Si je pouvais trouver un travail, même en Soudan ou en Somalie, je quitterais l’Irak dès que possible. J’aurais voulu ne pas naître en Irak », dit-elle. Des psychiatres craignent que les jeunes Irakiens, profondément déçus par l’effondrement de leurs rêves d’adolescents, n’optent pour des mesures plus violentes que simplement chercher à émigrer. Haider Abdoul-Mouhssine, psychiatre à l’hôpital Ibn Rouchid de Bagdad, affirme que la perte de leurs illusions et la pauvreté poussent de nombreux adolescents et jeunes adultes à quitter l’école et l’université avant l’heure. Amers et désorientés, ils deviennent ensuite des proies faciles pour des activistes cherchant à recruter. « C’est là que débutent leurs souffrances. Ils partent parce qu’ils pensent que leurs études ne vont pas leur garantir un meilleur avenir », a expliqué Abdoul-Mouhssine à Reuters. « Certains d’entre eux sont ensuite exploités par des groupes armés qui les poussent à des actes violents. Les adolescents sont une cible facile. » En Irak, les jeunes adultes souffrent aussi quand ils voient la façon dont vivent les gens de leur âge dans d’autres États arabes plus stables et dans les pays occidentaux. L’insécurité complique les interactions sociales et il y a peu de divertissements disponibles. On ne dispose pas de chiffres, mais Abdoul-Mouhssine dit voir beaucoup plus de patients aujourd’hui qu’avant 2003. « La plupart du temps, leurs familles viennent me dire qu’ils souffrent d’insomnie, ou qu’ils prennent de la drogue, ou qu’ils ont des troubles psychiatriques », dit-il. Les problèmes sont encore plus aigus chez les milliers d’Irakiens qui ont perdu des proches dans les violences. Sabrine Djaouad, une sunnite de 21 ans, a quitté l’école après le décès de son père, un membre de la garde républicaine de Saddam Hussein, pendant l’invasion. « Pouvez-vous imaginer ce que j’ai ressenti ? Une fille de mon âge adore son père, il me gâtait toujours », dit-elle. « Après la vie sociale, le luxe, les domestiques, nous sommes devenus une famille déplacée », ajoute-t-elle. Sa famille a fui en Syrie avant de revenir, récemment, à Bagdad. Selon Abdoul-Mouhssine, de nombreux jeunes Irakiens sont devenus réservés et introvertis quand les plus solides se montrent pragmatiques face aux événements. Noureddine Ibrahim, originaire de Baaqouba, au nord de Bagdad, une ville ethniquement et religieusement mixte, avait lui aussi 15 ans et fréquentait le lycée quand les forces sous commandement américain sont arrivées. Il avait des rêves de liberté impensables sous Saddam Hussein, comme la mixité garçons-filles. Ses rêves ont commencé à se dissiper au bout d’un an, quand les magasins ont commencé à fermer à mesure que Baaqouba devenait un point chaud des violences entre sunnites et chiites. Il étudie aujourd’hui à Bagdad et dit s’être habitué aux perturbations constantes de ses études, les universités étant devenues des cibles de choix pour les attentats. « Un jour nous étudions puis nous devons rester à la maison pendant dix jours. J’aime le football, donc ça me permet d’exercer mon sport favori », dit-il. « Je n’ai plus de rêves maintenant, je veux juste finir mes études et devenir fonctionnaire. » Assil Kami (Reuters)
Adolescent, Mazin Tahir a cru que l’invasion de l’Irak par les forces sous commandement américain allait faire pousser liberté et démocratie sur les cendres du régime de Saddam Hussein. Mais il ne se fait plus d’illusions maintenant qu’il est entré dans l’âge adulte, après cinq ans de violences qui n’ont laissé aucun répit à son pays. « C’est triste, ou drôle...