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Actualités - CHRONOLOGIE

COMMENTAIRE - Le point de vue d’un ancien Premier ministre français « Crise financière ou crise économique ? » Par Michel Rocard*

Au moment où j’écris cet article, la situation dans le monde économique a quelque chose d’étrange. La presse nous informe que les prévisions de croissance pour tous les grands pays développés sont révisées à la baisse : USA, Allemagne, France, Japon, il semble que tous soient concernés. Ces prévisions sont inférieures d’environ un demi-point de pourcentage par rapport à celles faites de l’automne dernier seulement. En même temps, la presse commente en termes sinistres une actualité uniquement bancaire et financière en ignorant quasiment l’économie réelle, comme si la crise était et avait vocation à rester purement financière. Aux yeux de certains experts, la crise peut être résolue simplement en refinançant les banques, et son impact sur l’économie réelle sera relativement limité. C’est clairement l’avis de la Banque centrale européenne, qui injecte des centaines de milliards d’euros dans le système bancaire pour assurer la liquidité des banques. Mais contrairement à la Réserve fédérale américaine, elle n’a pas baissé ses taux directeurs, ce qui importe le plus pour les entreprises et les ménages. Pour d’autres experts, bien sûr, la dimension économique de la crise est évidente et la menace de récession très réelle. Mais hélas, peu d’experts sont assez polyvalents pour parler avec une égale pertinence de la sphère financière et de la macroéconomie. Quels sont alors, pour le citoyen non expert mais observateur attentif, les faits à retenir ? Il est utile de situer où en est l’économie mondiale aujourd’hui. L’échéance la plus lourde pour les remboursements des prêts hypothécaires subprimes, où l’on attend le plus de non-paiements, vient au printemps 2008. Elle est donc devant nous et pas derrière : 1,37 million de propriétaires américains ont déjà cessé de payer leurs hypothèques. En 2008, ils seront plus de trois millions. En outre, la somme des titres bancaires menacés est non calculable. Elle serait de plusieurs centaines de milliards de dollars. Le total des actifs menacés dans les banques est beaucoup plus important encore, car les créances hypothécaires ont été mélangées avec des titres d’autre nature et ces « paquets » ont été vendus dans le monde entier. C’est au point qu’une filiale de la Deutsche Bank aux USA s’est vu l’année dernière refuser par un tribunal américain l’expropriation d’une maison, qu’elle requérait pour non-paiement des mensualités d’un prêt, faute à elle de pouvoir démontrer qu’elle en était propriétaire… car le titre avait été cédé. C’est maintenant le système mondial qui est infesté de paquets de titres dont la part de créances douteuses est grande, mais inconnue. Résultat : toutes les banques se méfient les unes des autres et ne se prêtent plus entre elles. C’est ce facteur qui ampute gravement les possibilités de crédits bancaires aux entreprises et va provoquer une grave diminution d’activité. Ainsi viendra la récession. La masse des liquidités en cause est surprenante. Elle ne s’explique pas totalement par la création monétaire récente par les banques centrales. Depuis plus d’une vingtaine d’années, l’actionnariat, inorganisé et passif entre 1945 et 1975-1980, s’est massivement structuré sous forme de fonds de pension, de fonds d’investissement et de fonds d’arbitrage ou hedge funds. Les actionnaires sont maintenant présents de manière significative (majorités ou fortes minorités) dans toutes les grandes entreprises du monde développé. L’actionnariat ainsi organisé pousse à la réduction de la masse salariale pour dynamiser la valeur de ses actifs. De fait, la part des salaires directs et indirects dans le PIB a diminué depuis 25 ans entre 8 et 11 % dans tous les pays concernés. En conséquence, le travail précaire et l’insécurité de l’emploi, presque inexistants entre 1940 et 1970, touchent plus de 15 % de la population du monde développé. Le salaire réel moyen est stable aux USA depuis 20 ans, alors que 1 % de la population a récupéré la totalité de l’enrichissement que traduit une croissance de moitié du PIB pendant cette période. Cette évolution a dégagé partout d’immenses liquidités disponibles pour les activités immatérielles, le jeu, la spéculation. Pour la seule France et en 20 ans, 2 500 milliards d’euros – ce qui annonce entre 30 000 et 60 000 milliards de dollars pour le monde entier – ont été enlevés au monde du travail et ajoutés à la sphère financière. Cette évolution s’accompagne d’une immoralité croissante du système. Les rémunérations des grands patrons atteignent maintenant 300 à 500 fois le salaire moyen des gens qui travaillent sous leurs ordres, contre une quarantaine de fois pendant les 150 années qui ont précédé 1980. Dans le monde entier, le nombre d’entreprises en délicatesse avec la justice pour fraudes diverses est en augmentation inquiétante. Le plus grave n’est pas là. Parce que la plupart des revenus des consommateurs stagnent et diminuent à mesure qu’augmentent les remboursements immobiliers, la consommation doit obligatoirement chuter, et c’est de la croissance et de l’emploi en moins. Une récession ne fera qu’augmenter le travail précaire et même le chômage, et créer des tensions sociales qui n’aideront naturellement en rien à résorber pendant le même temps la crise financière. Les conditions sont réunies pour un enchaînement cumulatif vers une crise sociale et économique qui peut être grave, profonde et longue. Or, nous sommes en démocratie. Le système a besoin tous les quatre ou cinq ans d’être confirmé par le vote. Les troubles sociaux et économiques sont-ils en train de lui faire perdre sa légitimité et de retirer toute viabilité aux élections ? Les mérite-t-il encore ? L’évidence demeure que le capitalisme est davantage compatible avec nos libertés individuelles que ne l’a jamais été le communisme. L’évidence demeure aussi que le capitalisme est trop dangereusement instable pour n’avoir pas besoin d’une vigoureuse régulation publique. C’est pourquoi, après avoir été négligé pendant des années car considéré comme une option non viable, il est temps pour le projet social-démocrate de revenir sur le devant de la scène politique. *Michel Rocard, ancien Premier ministre français et ancien premier secrétaire du Parti socialiste, est député européen. Copyright : Project Syndicate, 2008.
Au moment où j’écris cet article, la situation dans le monde économique a quelque chose d’étrange. La presse nous informe que les prévisions de croissance pour tous les grands pays développés sont révisées à la baisse : USA, Allemagne, France, Japon, il semble que tous soient concernés. Ces prévisions sont inférieures d’environ un demi-point de pourcentage par...