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Actualités - CHRONOLOGIE

Festival al-Bustan - « La fiancée du tsar » de Rimsky-Korsakov par le Helikon Opera Passions fatales et radieuses voix russes…

Un moment exceptionnel pour les amoureux du chant russe avec La fiancée du tsar de Rimsky-Korsakov sous les feux de la rampe de l’auditorium Émile Boustani au Festival al-Bustan. Malgré l’étroitesse de la scène et le manque de véritable fosse pour l’orchestre, l’opéra n’a guère manqué de ses innombrables ingrédients de beauté, d’émotion et surtout de force et de puissance vocale et mélodique. Dans un astucieux décor aux tonalités noires, avec quelques taches de couleur rouge (le fond vermeil capitonné d’un coffre argenté ouvert sous un spot lumineux, un tissu écarlate qui devient robe de la scène de folie) et des tiares emperlées aux intenses dorures impériales, se dessinent déjà les grandes lignes et l’architecture d’une tragédie inévitable... Dans un savant dosage de semi-obscurité, subtil mélange de cierges, d’encens, de velours sombre, de ciboires, d’arcades, de banquettes, de grilles de geôles, de clochettes et de chaînes suspendues, pour annoncer l’atmosphère éminemment mélodramatique d’une œuvre foisonnante de revirements et de personnages, qui retrace certes les intermittences de cœur de deux amants que tout semble séparer, mais aussi toutes les turbulences de l’histoire russe au glorieux et redoutable temps d’Ivan le Terrible. Très belle ouverture musicale, toute en ondes chatoyantes, avec un orchestre relativement réduit placé sous l’efficace houlette d’Eugène Brajnik. Une brillante orchestration du compositeur du célèbre poème symphonique Shéhérazade donnant surtout la prééminence aux cuivres pour des accents et des intonations graves et solennels. C’est à partir du libretto de I.F. Tyumeneva que s’enclenche la trame de cet opus habité par le bruit et la fureur des cœurs aux passions violentes et déterminées. C’est autour de Marfa, fille d’un riche marchand de Novgorod, que s’articule le drame. Deux hommes sont épris de la jeune fille. Pour Vania, Marfa est bien sa promise bien-aimée qui lui rend son amour avec la même ardeur. Mais pour Grigori Gryaznoj c’est un philtre d’amour, commandé chez un apothicaire de caniveau, style magie noire, qui lui garantira les battements de cœur de la belle pourtant officiellement promise à un autre… C’était sans compter les débordements de la colère et du dépit de Lubacha, la maîtresse abandonnée de ce dernier qui jure de ternir la beauté et l’esprit de Marfa par un autre philtre, encore plus pervers que celui de l’amour par détournement… Le coup de théâtre (de taille celui-là) vient cependant d’Ivan le Terrible qui, par-delà ses préoccupations de la lutte entre boyards (noblesse) et Oprichnik (loyalistes), tombe aussi sous le charme de Marfa et déclare, devant toute la cour, vouloir en faire sa tsarine. Mais le sort, le destin et les philtres en ont décidé autrement et ont leur mot à dire : Marfa est folle amoureuse de Gryaznoj… Dans cette ample fresque tourmentée et houleuse où l’invraisemblable et la démesure dépassent tout entendement, les forces maléfiques de l’amour sont révélées surtout par la superbe musique de Rimsky-Korsakov. Par-delà trahison, complot, jalousie, révolte, corruption, poison et folie, domine surtout l’extraordinaire et émouvante beauté d’une musique d’une grande éloquence, parfaitement russe dans son lyrisme et sa poésie enfiévrée. Car, après tout, cet opus, foisonnant de personnages puisés à la réalité du pays de Tolstoï et d’événements historiques troubles, dans un élan profondément nationaliste, révèle avec ardeur et véhémence la richesse du patrimoine russe ainsi que les interrogations sur l’âme et l’identité russes. Par-delà l’ombre d’Ivan le Terrible qu’on ne voit d’ailleurs jamais sur scène, transparaît toute la splendide et radieuse beauté des voix et des chants russes, à travers une langue superbement gutturale et une musique touchée par la grâce d’un compositeur qui ignore toute mièvrerie… Une musique empruntant certes généreusement au pays des grands froids par sa grandeur et son lyrisme brûlant mais que la mise en scène, somptueuse et fine, de Dimitri Bertman approche bien plus d’une vision shakespearienne ou verdienne (avec un clin d’œil à Eisenstein !) que du simple folklore russe. La véritable vedette de cette prestation est surtout Lubacha, poignardée par son inconstant amant et interprétée ici avec talent (d’actrice et de cantatrice) par la mezzo-soprane Larissa Kostyuk. Sans oublier certains passages éthérés du moment de la folie de la fiancée, perdue parmi tant de concupiscentes convoitises, et à qui la soprano Elena Semenova restitue une hagarde douceur d’Ophélie. Côté masculin, la palme d’honneur revient à la superbe prestance de Taras Bulba et envoûtante voix de bariton d’Andrey Vylegzhazanin. Quant à Vania, campé par Nikolai Doroahkin, on retient surtout cette époustouflante prouesse de ténor où il soutient avec un incroyable vibrato quelques notes graves d’un ton redoutablement caverneux… Un excellent moment de scène lyrique, devant un public pourtant clairsemé ce soir-là, qui captive dès l’ouverture et dont on suit avec délectation et passion le déroulement comme la palpitante lecture d’un roman de cape et d’épée où chaque page (ici, chaque note, chaque mesure) est promesse d’un plaisir renouvelé… Edgar DAVIDIAN
Un moment exceptionnel pour les amoureux du chant russe avec La fiancée du tsar de Rimsky-Korsakov sous les feux de la rampe de l’auditorium Émile Boustani au Festival al-Bustan. Malgré l’étroitesse de la scène et le manque de véritable fosse pour l’orchestre, l’opéra n’a guère manqué de ses innombrables ingrédients de beauté, d’émotion et surtout de force et...