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Actualités - OPINION

Obscurité et obscurantisme

Depuis 1975, le Liban ne vit qu’à travers les petites doses d’oxygène que les âmes de bonne volonté lui administrent de temps à autre, afin de lui permettre de se maintenir en vie jusqu’à ce qu’il soit fixé sur son sort au moment voulu grâce à une action des décideurs. La complexité de notre problème dépasse de loin la capacité et la volonté de nos dirigeants (devenus maîtres dans l’art de se battre pour des causes étrangères à l’intérêt national) d’être à la hauteur de cette responsabilité, qui consiste à sortir le pays du gouffre où eux-mêmes l’avaient mis. Les renversements d’alliances et les repositionnements qui ont suivi le départ de l’occupant syrien ont conduit le pays vers une impasse inextricable, ouvrant de ce fait la voie à des interventions non seulement peu utiles, mais qui, de plus, ne servent qu’à compliquer davantage une situation devenue des plus ardues. Dans ce contexte, un bref retour à l’histoire s’impose et cela dans le cadre de la situation vécue par la France sous l’occupation nazie, avec ses tenants et aboutissants, et celle vécue par le Liban sous l’occupation syrienne… Le 10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent les Pays-Bas et la Belgique, franchissent les Ardennes, encerclent les armées française et anglaise, dont une partie parvient à Dunkerque à embarquer pour l’Angleterre. Un mois plus tard, et alors que des millions de personnes fuient sur les routes l’avancée de l’ennemi, le gouvernement se réfugie à Tours puis à Bordeaux. Le 16 juin, le maréchal Pétain, suite à la démission de Paul Reynaud, forme un gouvernement et réclame un armistice, qui fut signé le 22 juin. Une ligne de démarcation sépare le sud de la France, sous administration française, du reste du pays occupé par les Allemands. Le 24 octobre 1940, le maréchal Philippe Pétain rencontre Adolf Hitler à Montoir et lui serre ostensiblement la main. Ce geste, qui ne manque pas de choquer de nombreux Français, notamment des anciens combattants de la Grande Guerre, marque le début de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie. De l’été 1940 à l’été 1944, le maréchal Pétain conduit activement la politique collaborationniste voulue par le gouvernement de Vichy. Il est donc pleinement responsable, au même titre que Pierre Laval par exemple, des crimes commis durant cette période contre le peuple français et ses résistants. Cette politique lui a valu une condamnation à mort le 15 août 1945, décidée par la Haute Cour de justice. De Gaulle signera sa grâce et la peine sera commuée en détention à perpétuité. C’est finalement à l’île d’Yeu que le maréchal Pétain mourra en 1951, ne laissant derrière lui que le triste souvenir d’un temps de déshonneur. Cependant, les choses ne se sont pas arrêtées là car était lancée la poursuite de tous les collaborateurs partout où ils se trouvaient, pour les juger et extirper de la nation tout ce qui pourrait rappeler l’esprit de Vichy. C’est ainsi qu’en 1946, Pierre-Henri Teitgen, ministre de la Justice, monte à la tribune de l’Assemblée constituante dans une ambiance surchauffée et déclare : « S’agissant de juger des hommes qui, pendant quatre ans, ont fait passer sur la France une honte pire que la défaite, les juges et les jurés ne peuvent oublier que ce qui était en jeu, c’était leur patrie, leur famille, leur avenir, leur espérance. Oui, cela est vrai : le tiers absolument impartial n’existe pas en de telles circonstances, parce que tout bon Français s’est senti menacé dans ce qu’il a de plus cher et se trouve de ce fait en quelque sorte partie dans tout procès de collaboration. » Morale de ce bref aperçu historique : dans des pays régis par des normes et des valeurs qui fonctionnent sans coup férir, il n’est pas permis que des gens qui se sont vendus à un occupant puissent décider du destin d’un peuple ou, plus précisément, avoir accès au pouvoir, car celui qui a trahi une fois n’hésitera pas à le faire à la première occasion. Dans cette république bananière où nous nous trouvons, nous sommes condamnés à vivre non seulement dans l’obscurité, mais dans un obscurantisme moyenâgeux en acceptant, entre autres, le déshonneur au même titre que l’honneur ; la trahison au même titre que le nationalisme ; l’indignité au même titre que la dignité ; le mensonge au même titre que la vérité ; l’obscurité qu’on nous impose sciemment, et sous divers prétextes, au même titre que le soleil qui brille et, enfin, l’obscurantisme au même titre que le progrès. Mario B. HÉLOU Ancien attaché d’ambassade
Depuis 1975, le Liban ne vit qu’à travers les petites doses d’oxygène que les âmes de bonne volonté lui administrent de temps à autre, afin de lui permettre de se maintenir en vie jusqu’à ce qu’il soit fixé sur son sort au moment voulu grâce à une action des décideurs. La complexité de notre problème dépasse de loin la capacité et la volonté de nos dirigeants...