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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - La designer alimentaire Marije Vogelzang a animé un workshop à Beyrouth Manger aussi des yeux !

Beyrouth est décidément une ville où l’on trouve littéralement à boire et à manger… Et pour tous les goûts. Après une semaine de pérégrinations culinaires dans un pays en pleine ébullition et où les lignes rouges sont tracées à tout bout de champs, Marije Vogelzang a décidé qu’il fallait impérativement mettre son grain de sel dans ce grand taboulé. Elle a donc invité les passants de souk el-Tayeb à se réunir autour d’une ligne verte esquissée à partir de bols de pain au persil (d’où la couleur). Il fallait casser un morceau, le tremper dans la « ariché » (lait de caille) et le miel et le goûter. Partage, convivialité et histoires communes. Voilà les maîtres mots que la designer alimentaire hollandaise vise à communiquer à travers son art comestible. À 30 ans à peine, Marije Vogelzang s’est mitonné une solide réputation. Très bonne en fait, s’il fallait choisir l’adjectif adéquat. Son art ? La cuisine, dans tous ses états. Pour elle, préparer la nourriture, c’est une façon de raconter des histoires, légères ou très sérieuses. Et des histoires, la cuisinière philosophe en a des milliers en réserve. Mais voilà, la gourmande n’en est jamais rassasiée. À Beyrouth, invitée par souk el-Tayyeb, elle a animé un atelier de travail autour du goût de la ville. Et en a donc profité pour cueillir des centaines de témoignages sur les préférences culinaires et gustatives de toutes les personnes qui ont le bonheur de croiser son chemin. Bonheur en effet, car la jeune femme irradie de fraîcheur et d’intelligence. Grande blonde aux yeux très bleus, elle avait ce jour-là noué un foulard sur son crâne, façon pirate. Bien que bavarde et intéressée par un domaine où la convivialité est reine, elle conserve un flegme très nordique. La Hollandaise a monté en sauce les conventions culinaires dans son pays où, dit-elle, les gens ont non seulement oublié le véritable goût des aliments, mais aussi et surtout la convivialité autour d’un repas. Le design culinaire ? C’est avant tout du design. Il s’agit d’allier la recherche esthétique à une réflexion sur l’usage, la fonction et la faisabilité. Appliqué à l’alimentaire, le design ne vise pas uniquement à « faire beau ». « Il permet d’inventer et de développer de nouvelles gestuelles de dégustation », explique Vogelzang. Pour Vogelzang, fondatrice des restaurants Proef à Amsterdam et Rotterdam, tout participe à l’acte de manger. Elle est convaincue qu’à l’instar du bois, du métal, du verre et du plastique, le comestible se prête au jeu des formes. Plus particulièrement, la matière pâtissière, à être transformée en une « architecture de goût ». Formée au design industriel à Eindhoven, la jeune femme s’est rapidement tournée vers la nourriture. « Un matériau exceptionnel, dit-elle, puisqu’en l’offrant à l’autre, on tisse avec lui un lien intime. » Snacks d’avant-garde Cuisinière autodidacte, elle s’est livrée à une approche pédagogique de la bouchée, qu’elle appelle snack, dans ses restaurants Proef (« proef » signifie essai ou essaie-le). Elle en présente plusieurs, en modifiant chaque fois l’un des ingrédients de base. Ainsi, de snack en snack, ses clients perçoivent précisément la différence de goût ou de texture liée à l’élément manquant. Cette restauratrice pousse son talent jusqu’à fabriquer elle-même des cuillères et des plats en sucre. Parmi ses réalisations : des colliers avec des perles confectionnées à partir d’épluchures de pommes, de purée de pommes, d’Apfelkorn (liqueur) et d’eau gazeuse. Pour promouvoir les produits du terroir, elle a utilisé, une fois, des nappes de table en forme de cartes géographiques et y a signalé les lieux où sont fabriquées les matières premières de ses recettes. À New York, et afin d’initier des enfants obèses à une alimentation saine, elle a introduit des snacks de toutes les couleurs et présenté le blanc (des œufs de caille) sous le label « pureté », ou le vert (kiwi) sous l’étiquette « richesse ». Pour sensibiliser les jeunes aux méfaits du sucre, elle a réalisé une sucette en forme de… revolver. Le goût de Beyrouth « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es », écrit, en 1825 à Paris, monsieur Brillat-Savarin (homme politique français affirmé, connu surtout pour ses talents innés de gourmet) dans l’ouvrage, extrêmement brillant et sagace, Physiologie du goût ou méditations de gastronomie transcendante. Et de poursuivre : « Le goût tel que la nature nous l’a accordé est encore celui de nos sens qui, tout bien considéré, nous procure le plus de jouissance : parce qu’il est de tous les temps, de tous les âges, de toutes les conditions ; il revient au moins une fois par jour ; il peut se mêler à tous les autres plaisirs et même nous consoler de leur absence… » Le goût de Beyrouth alors ? « L’atelier de travail, où chacun était invité à partager son expérience et ses goûts culinaires, m’a fait réaliser qu’ici, l’alimentation est synonyme de famille. C’est quelque chose qui exprime la culture, mais aussi la mémoire. » Chaque participant devait partager ses meilleures recettes, ses anecdotes et ses histoires de guerre ayant une relation avec la nourriture. Comme œuvre finale, chacun a réalisé un bol (symbolisant un contenant des histoires) fait à partir de pain au persil (le vert symbolise l’idée utopie de « loubnan el-akhdar »). Ces bols, déclinés sous diverses formes et designs, étaient remplis de « ariché » et de miel (Liban : pays du lait et du miel). Et il fallait manger, intégrer ce concept dans son corps, n’en faire qu’un avec ce bol unificateur. La designer hollandaise n’a pas pour ambition de faire du designer un chef cuisinier ou l’inverse, mais de stimuler, par la réflexion et l’expérimentation plastique, des « pistes » possibles d’innovation culinaire. « La cuisine n’est pas une image pour papier glacé, elle fait partie de la vie, elle est à ce titre un formidable espace de création. L’acte de manger est très particulier à plus d’un titre ; c’est, peut être, la seule activité humaine qui met en éveil simultanément la totalité de nos sens. Il y a l’aspect vital, celui de la connaissance, et par là celui de la mémoire », dit-elle. Comment ne pas penser à la madeleine de Proust… « Toutes ces données et bien d’autres mettent en jeu nos affects et nos cultures. » Aliment indispensable pour le corps et plaisir voluptueux pour l’âme, la nourriture est, depuis toujours, source inépuisable d’inspiration pour les esprits créatifs de tous les temps. Pour avoir une idée des nombreuses fantaisies de Marije Vogelzang, réalisées sous l’égide du métissage art-nourriture, visitez le site www.proefamsterdam.nl. Maya GHANDOUR HERT
Beyrouth est décidément une ville où l’on trouve littéralement à boire et à manger… Et pour tous les goûts. Après une semaine de pérégrinations culinaires dans un pays en pleine ébullition et où les lignes rouges sont tracées à tout bout de champs, Marije Vogelzang a décidé qu’il fallait impérativement mettre son grain de sel dans ce grand taboulé. Elle a donc...