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Sarah, la dernière juive de Wadi Abou Jmil

À quelques mètres du Maghen Abraham, « la plus belle synagogue du Levant » et dernier édifice du culte israélite à Beyrouth, la dernière juive libanaise à habiter Wadi Abou Jmil se promène, traînant un chat derrière elle. « Appelez-moi Sarah dans votre papier. Je ne veux pas dévoiler mon vrai prénom car chez nous au Liban on tue. Rien que l’autre jour, ils ont assassiné un de nos hauts officiers. Mais je ne veux pas me mêler de politique », dit-elle en nous faisant signe de la suivre discrètement dans son appartement. Au milieu des immeubles luxueux du centre-ville, Sarah vit dans une incomparable misère. Elle s’était retrouvée seule, à la fin des années 1980, après le décès de ses parents. Ses autres frères et sœurs ont émigré en Europe. « La dernière fois qu’ils m’ont écrit, le postier a remis la lettre au responsable local du mouvement Amal qui contrôlait le quartier. Il a pensé que la lettre contenait quelques informations importantes au sujet d’Israël. Mais moi, je ne suis pas israélienne, mais libanaise. De toute façon, je ne veux pas me mêler de politique, car chez nous, on tue. J’ai donc dit à ma famille qui vivait en France de ne plus m’écrire. Depuis, je n’ai aucune nouvelle de mes frères et sœurs », raconte-t-elle. Sarah est pourtant issue d’une famille aisée. « Mon grand-père était rabbin et très riche. Il a quitté Kfarnabrakh, dans la montagne, pour s’installer à Beyrouth. Nous possédions des immeubles et des magasins dans ce quartier. J’ai même fréquenté l’école de l’Alliance jusqu’en classe de seconde, le dernier cycle de l’école. Là, ils avaient essayé de nous apprendre l’hébreu pour prier. Mais nous n’étions pas douées du tout. Ils nous ont donc appris le français et l’anglais, au côté de l’arabe. Voyez, je n’ai pas toujours été dans la misère », se souvient-elle. Sarah a hérité des biens immobiliers de sa famille. Malheureusement, ses propriétés se trouvent dans la zone contrôlée par Solidere qui les a, bien entendu, rasées pour construire des immeubles de luxe, refusant de payer à la vieille dame les indemnités qui lui reviennent de droit. « Plusieurs dizaines de milliers de dollars, ils me doivent plusieurs dizaines de milliers de dollars. Mais bon, je ne veux pas me mêler de politique, car chez nous… ». Sarah ravale prudemment sa colère. « Nous vivions si bien à Wadi, juifs, musulmans et chrétiens. Je dînais avec des amis musulmans durant le mois du ramadan. Il y avait des commerces, des écoles. Les mariages au Maghen Abraham étaient magnifiques. Le bâtiment était inondé de lumière. Il y avait un lustre aussi grand qu’une pièce. Des drapeaux libanais étaient suspendus à l’entrée de l’édifice. Nous étions heureux. Quand la guerre a commencé, les gens ont commencé à fuir le quartier. En 1982, quand les Israéliens ont envahi Beyrouth, j’ai quitté Wadi. Je suis revenue après leur départ. Et j’y suis toujours », indique-t-elle. Quand les parents de Sarah sont morts, il n’y avait plus de rabbin au Liban pour prier lors de la cérémonie funèbre. « Je les ai ensevelis dans le cimetière juif de Saïda. Cinquante voisins musulmans sont venus avec moi. Ils ont récité la Fatiha (la première sourate du Coran). L’essentiel pour moi était qu’une prière monothéiste soit prononcée lors de leurs funérailles. Mes amis s’en sont chargés », poursuit-elle. Sarah est une juive croyante. Elle ne suit plus le shabbat car aucune synagogue n’ouvre ses portes aujourd’hui à Beyrouth, mais récite régulièrement les seules prières qu’elle connaît : la Fatiha et quelques lignes des psaumes. Quand elle peut se permettre d’aller chez le boucher, elle mange de la viande « halal », « qui est également casher, car les musulmans prononcent le nom de Dieu avant d’égorger les bêtes ». Les livres des rabbins sont des documents précieux, historiques, transmis de génération en génération. Mais Sarah a détruit ceux que son grand-père lui a légués. « Un jour, une patrouille syrienne a enfoncé la porte de mon appartement, pour perquisitionner, affirme-t-elle. Ils ont fouillé dans tous les coins. J’avais enroulé les livres de mon grand-père dans un drap et les avais cachés derrière une armoire que la patrouille a déplacée. Les livres sont tombés par terre. Je les ai vite ramassés, embrassés et pressés contre mon front. Les soldats voulaient les confisquer, mais l’officier les en a empêchés. J’ai voulu leur offrir du café, mais ils m’ont dit qu’ils ne consommaient rien chez les juifs. J’ai alors détruit les livres, de crainte qu’ils ne reviennent. Car vous savez, chez nous, on tue… »
À quelques mètres du Maghen Abraham, « la plus belle synagogue du Levant » et dernier édifice du culte israélite à Beyrouth, la dernière juive libanaise à habiter Wadi Abou Jmil se promène, traînant un chat derrière elle. « Appelez-moi Sarah dans votre papier. Je ne veux pas dévoiler mon vrai prénom car chez nous au Liban on tue. Rien que l’autre jour, ils ont...