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Actualités - OPINION

Le Liban blanc

«Vous avez votre Liban et ses dilemmes. J’ai le Liban et sa beauté. Vous avez votre Liban avec les conflits qui le rongent. J’ai mon Liban avec les rêves qui y naissent. Vous avez votre Liban, prenez-le tel qu’il est. J’ai mon Liban et je n’en accepte que l’absolu. Votre Liban est un imbroglio politique que le temps tente de dénouer. Mon Liban est fait de montagnes qui s’élèvent, dignes et magnifiques, dans l’azur. Votre Liban est un problème international que tiraillent les ombres de la nuit. Mon Liban est fait de vallées paisibles et mystérieuses dont les versants accueillent les sons des cloches et les murmures des rivières... J’ai survolé mon Liban un dimanche ensoleillé du mois de janvier, à l’heure où le soleil tapait fort, si fort que le bleu intense de la mer se confondait avec l’azur. Une tempête de neige venait de prendre fin, la nature se parait de tous ses attraits et les sommets enneigés étaient visibles depuis les côtes libanaises. Mon avion s’apprêtait à s’éloigner en direction de mon pays d’émigration, lorsque je pus admirer la beauté du Liban d’en haut, en cette radieuse journée d’hiver. Comme la neige était à l’honneur, elle était bien répartie sur nos monts hautains et fiers, sa blancheur nous éblouissait les yeux et dévoilait un panorama splendide. Les montagnes habillées de leurs beaux manteaux blancs s’élevaient avec un air de grandeur et de majesté. Des merveilles défilaient sous mes yeux, cette mer bleue qu’est notre Méditerranée, le littoral, la côte avec ses baies et ses caps que je dessinais de mémoire, ces anciennes villes côtières bien alignées, aux mille années d’histoires, qui reposent sur leurs ports antiques et oubliés. Je n’ai jamais imaginé que ça pouvait être si féerique de survoler mon pays, que ces montagnes enneigées si proches de la mer sont restées si intactes, si parfaites, telle une toile blanche dans l’océan. On ne peut se lasser de les contempler tant elles s’imposent à notre regard avec leurs superbes et différentes formes. Je distinguai Sannine, Ouyoun el-Simane, Becharré, les Cèdres, Laklouk, le Mont-Liban, l’Anti-Liban, jusqu’à la Syrie. Ce spectacle s’offrait à nos regards ébahis sans façon, nous procurait des moments magiques, des instants mémorables. Un paradis terrestre réel et pourtant si inaccessible, une douceur de vivre des jours passés. Que de poèmes sur la beauté de mon pays me sont revenus à l’esprit, que de chansons populaires... Pendant le reste du voyage j’ai revu la neige de mon enfance et la place qu’elle occupait dans notre vie montagnarde, dans ma petite ville natale. Quand, la nuit, on la surprenait en train de s’entasser silencieusement, c’était pour nous le bonheur, c’était le farniente du lendemain qui s’annonçait. Les festivités étaient vite déclenchées, les chansons, les danses, les espiègleries jusqu’au petit matin. Après tout il y avait de quoi se réjouir, c’était des jours de vacances en plus sur notre calendrier scolaire, c’était des examens ajournés, des soucis d’écolier écartés et remplacés par de l’insouciance, par une guitare, un tourne-disque. Les écoles fermaient leurs portes pour un nombre de jours non défini, autant que Dame Nature le désirait ! Et croyez-moi, des fois elle savait être généreuse Dame Nature : je n’oublierai jamais les sept tempêtes d’un mois de mars, d’un hiver rigoureux, qui s’étaient succédé sans un jour de répit, dans les années soixante-dix. En ce temps-là, pour être heureux, on se contentait de peu, on prenait le temps de vivre, on goûtait aux plaisirs les plus simples de la vie. Les gens étaient sincères les uns envers les autres, ils s’entraidaient dans la vie, et leur union faisait leur force. Quand il neigeait, le bonheur se dessinait sur tous les visages, la neige étant un don du ciel, un cadeau de la nature. Oui, ces montagnes que je viens de caresser de mes yeux nous procuraient de vrais bonheurs. Elles nous avaient tant de fois accueillis à bras ouverts et servis de sources de vie. Lorsque la guerre nous rendait prisonniers de nos maisons, de nos régions, ce sont nos montagnes qui nous abritaient avec hospitalité et nous revitalisaient avec générosité. Chacun son histoire avec sa montagne, moi, en 1975, j’ai dû la traverser à pied pour parvenir à rejoindre mes parents. C’était un trajet dans la neige que j’ai dû emprunter de Zaarour jusqu’a Zahlé, un périple pas comme les autres, avec des combattants de ma terre natale obligés de la prendre pour ravitailler la ville encerclée. Nous nous étions perdus en cette nuit glaciale de mars, dépourvus de vivres. Il fallait à tout prix retrouver le chemin du retour. Une seule et unique solution s’offrait à nous : escalader la montagne enneigée d’en face, dans l’obscurité effrayante de la nuit, puis la dévaler malgré les dangers qui nous guettaient. Au petit matin, les cloches des églises avaient sonné pour annoncer notre arrivée, pour annoncer surtout l’ouverture d’une nouvelle route, d’un nouvel espoir pour les habitants de la ville. Que d’événements dans ce cher pays, que d’histoires cachées dans le cœur de ces montagnes ! Aujourd’hui, dans mon pays, les Libanais stagnent depuis de longues années à la même place, ils font face aux mêmes dilemmes, et sont toujours dans le même pétrin. La neige, malgré sa splendeur, est devenue pour la plupart une source de gêne et d’impécuniosité. Ce sont les coupures d’électricité, le prix exorbitant des combustibles, les routes impraticables, les hôpitaux inaccessibles. Le Liban serait-il devenu un rêve inaccessible pour ses propres fils ? Appartient-il juste à ces personnes qui se sont emparées de lui un jour, qui depuis, refusent de le remettre sur les rails des pays civilisés, pour ne plus avoir à le rendre à ses fils, ou à le partager avec eux ? Que de pensées et de questions restent sans réponses dans le silence de la soumission, de la trahison et de la corruption. Mais la vie l’emporte sur tout le reste. Les Libanais savent réagir pour secourir leurs parents et leurs familles. Ils savent à tout prix garder la tête haute et se trouver une nouvelle identité, une meilleure vie en attendant des jours meilleurs. Voilà qu’ils se déplacent avec courage et détermination, pour travailler ailleurs, réussir, montrer leurs talents au monde. … Laissez-moi vous dire à présent qui sont les enfants de mon Liban... Ce sont les vainqueurs où qu’ils aillent, ils sont aimés et respectés où qu’ils s’installent. Ce sont ceux qui naissent dans des chaumières, mais qui meurent dans les palais du savoir » (Gebran Khalil Gebran – 1920). Andrée SALIBI P.S. - Le mot « Liban » est dérivé de « Loubân », terme relevé dans un texte d’origine sémitique cananéenne datant du deuxième millénaire (1900 av. J-C). Ce mot signifie « blanc » et qualifie les montagnes libanaises qui sont les seules de la région à être couvertes de neige en hiver.
«Vous avez votre Liban et ses dilemmes. J’ai le Liban et sa beauté. Vous avez votre Liban avec les conflits qui le rongent. J’ai mon Liban avec les rêves qui y naissent. Vous avez votre Liban, prenez-le tel qu’il est. J’ai mon Liban et je n’en accepte que l’absolu. Votre Liban est un imbroglio politique que le temps tente de dénouer. Mon Liban est fait de montagnes qui...