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WEB CULTURE - Toute une identité faite de jeux vidéo, de films, de littérature, de design et, bien sûr, d’informatique La culture geek : une référence qui devient « mainstream » Maya GHANDOUR-HERT

Nous en avons forcément un ou une dans notre entourage, qu’il ou qu’elle soit fan de « Star Wars », de jeux de rôles ou de H.P. Lovecraft. Lui, passe le plus clair de son temps à « poutrer du zombie » (déjà, l’expression est incompréhensible pour le commun des mortels) dans « God of War » (non, pas l’alias du Hezb, mais plutôt un jeu vidéo où l’utilisateur incarne un redoutable guerrier). Elle est intarissable quand elle vous parle des annales du Discworld (Disque du monde) de l’écrivain britannique de science-fiction Terry Pratchett. Ils sont tantôt accros à l’ordinateur et aux logiciels libres, tantôt marqués à jamais par les dessins animés japonais période Goldorak et San Ku Kaï… Ce sont les geeks, jadis stéréotypés par l’étiquette « faillots à lunettes, boutonneux marginalisés par la classe ou les copains et généralement très intelligents ». Le geek originel est l’informaticien, ou le chercheur en science dure. Il semble vivre en symbiose avec son ordinateur, parle le langage binaire couramment et, par-dessus tout, semble hermétique à toute norme sociale. Il ne sort pas, peut porter des chaussettes trouées sous des baskets en hiver... Seulement voilà : d’archétype du premier de la classe frustrée, le geek est devenu le modèle d’une nouvelle identité revendiquée. Précurseurs d’une culture de l’Internet et des nouvelles technologies, les geeks sont réhabilités. Et l’on dira même plus : la culture geek devient « mainstream ». La révolution est en marche. Et elle se fait sentir au sein de la société. Aujourd’hui, il faut avoir un iPod ou le dernier techno-gadget à la mode. Et savoir s’en servir ! Une bonne partie de la culture geek est rentrée dans les mœurs. Maintenant, c’est celui qui ne sait pas se servir d’un ordinateur qui passe pour un imbécile. Les jeux vidéo sortent de la mise au ban, la culture asiatique est tolérée et même appréciée, et la plupart des quidams peuvent aujourd’hui tenir une conversation sur les capacités techniques de leurs produits multimédias. (En médaillon, Mr. Geek, illustration créée par l’auteur du blog « lemondedecuypi.blogspot.com »). Autant le préciser tout de suite. Il ne s’agit pas de réaliser ici un dossier sur les geeks ou pour les geeks. L’énorme vivier de références communes et l’existence d’innombrables codes que nous, les « pas geeks », avons du mal à comprendre sont des pièges redoutables. Deuxième avertissement : le geek est à ne pas confondre avec le technophile qui est lui défini communément comme une personne « qui utilise les nouvelles technologies et se passionne pour elles ». En d’autres termes, c’est celui-là même qui possède un i-Phone (traficoté pour servir localement), un Blackberry (avec un roaming via la Jordanie ou Bahreïn), une imprimante qui surfe sur Internet et un robot-mixer MP3 (bon, c’est une blague, mais au train où vont les choses, il faut s’y attendre). Références Web sur l’étymologie Que veut dire geek ? D’où vient ce mot aujourd’hui international. Questions évidentes, mais pas aussi simples à cerner. Sur le Web les références sont multiples, mais souvent peu étayées. La toute première référence précise de ce mot que nous associons souvent à la technologie moderne remonte aux alentours de 1515, dans un vers d’une des premières eglogues (forme poétique pastorale tombée en désuétude) anglaises. C’est l’œuvre d’Alexandre Barclay (1475-1522), un moine et poète écossais. « He is a foole, a sotte and a geke », dit un de ses vers et les deux mots qui précèdent le « geke » suffisent à en éclairer le sens : un fou, un sot. Le mot traverse les âges et… l’Atlantique. Il atterrit, début XXe siècle, dans un… cirque. Il y gagne cette fois un sens très spécifique. Le geek est un monstre de foire qui se distingue non pas par ce qu’il est – « femme à barbe ou frères siamois » –, mais par ce qu’il fait. En l’occurrence, des choses assez malsaines du type « égorger des serpents ou des poulets vivants avec ses dents ». On trouve la trace de petites annonces passées par des hommes prêts à occuper ce poste de « geek man ». On se rapproche du sens moderne du « geek  » avec une référence dans une lettre de Jack Kerouac à Allan Gisberg, datée du 1er octobre 1957 : « Brooklyn College wanted me to lecture to eager students and big geek questions to answer… » Mais il faut ensuite attendre Usenet pour voir la première utilisation de « geek » en tant qu’étiquette revendiquée. Un utilisateur poste une parodie de la traditionnelle chanson American Pie dans une version appelée Hacker Style. On y trouve cette phrase « I was a lonely young computer geek with a program due “most every week” ». L’OED indique que ceci a été posté sur le groupe net.jokes le 20 février 1984. Si, auparavant, le terme « geek » recelait une connotation péjorative, il sous-tend aujourd’hui tout un mode de vie, de pensée. Finie donc l’époque du « geek » boutonneux qui restait scotché devant l’écran de son ordinateur à en oublier l’existence d’une vraie vie. Chaque époque a ses leaders. Le « geek » du XXIe siècle (appelons-le néo-« geek », tiens) triomphe à l’ère de la civilisation technologique. Les ancêtres des « geeks » ? On ne vous apprend rien : Bill Gates, fondateur de Microsoft, le père tout-puissant, homme d’affaires accompli et première fortune mondiale. Steve Jobs, techno-gourou d’Apple, maître à penser des tendances. Et Steve Wozniak, compagnon de Jobs, le génie barbu, idéaliste et baba-cool, qui gagnait à 13 ans le premier prix d’un concours de création de machines à additionner et soustraire. « Un “geek” est une personne passionnée par les technologies, les sciences, les maths, les jeux, l’histoire, la connaissance en général. » Voilà une définition parfaitement logique. Le documentaire-culte Deux Français, Tristan Schulmann et Xavier Sayanoff, rendent hommage à cette « geek culture » dans un documentaire de cinquante minutes qui a été diffusé en novembre dernier sur Canal+. Ils ont fait le tour de la « planète geek » et rencontré quelques-uns de leurs plus dignes représentants. En espérant, à l’occasion, en finir avec les clichés dont on les affuble. Suck my geek (c’est le nom très provocateur du film) « des geeks sortis tout droit des garages californiens dans les années 60, qui ont fait de notre planète un monde, leur monde ». Il présentait des « geeks », « qui sont désormais partout ». C’est un hommage à « la “geek culture” ». Il débute par une mise en contexte rapide : « Accros à la science et aux mythologies, fans de SF (science-fiction), cinéphages, rôlistes, gamers, dingues d’informatique, notre passion n’a aucune limite. Pendant des années, notre goût pour l’irréalité nous a marginalisés. » Dans ce documentaire, les participants étaient d’accord sur des références communes : un imaginaire généralement très important, une culture approfondie sur des détails auxquels l’homme ordinaire n’attache aucun intérêt, le fait qu’ils n’ont pas choisi d’être « geeks », mais qu’ils le sont devenus à cause d’un film ou d’un dessin animé. Car le « geek » est avant tout un assoiffé de savoir. « L’érudition des “geeks” sur les univers, mythologiques, fantastiques ou technologiques, vient avant tout de la recherche du plaisir. Pour eux, une activité n’est épanouissante et jouissive qu’avec un bagage de connaissances et une maîtrise des tenants et des aboutissants. Ils ont une volonté d’investigation au quotidien et une vision globale que les “intellectuels” n’ont pas. Encore moins les victimes du hype », expliquent les auteurs du documentaire. Way of Life Dans la culture « geek », il y a aussi des soirées « geeks », des dîners « geeks », des réunions « geeks », des gadgets « geeks », des diffuseurs d’infos « geek » (essentiellement tournés vers les objets high-tech, on l’aura deviné). Un blogueur écrit : « Je pense que, pour être “geek”, il faut sentir certains besoins, il faut avoir envie d’un truc en se disant c’est indispensable au bon déroulement de ma vie et que ce “truc” apparaisse inutile à 90 % de la population. » Cette culture a déjà son vocabulaire francisé propre (pas encore reconnu par l’Académie française). Il y a donc le verbe « geeker », la « geekitude », le « geekophile », la « geekologie », le « geekophobe », la « geekette »... Même la mode qui en est à des années-lumière veut sa part de « geek ». Les créateurs de mode, qui se revendiquent de la culture « geek », se multiplient. Les plus « geekment correct » sont sans aucun doute le tandem hollandais Viktor and Rolf. Véritable incarnation du mythe « geek », les faux jumeaux ont réalisé un manifeste au « geek chic », sous la forme d’une couverture pour le magazine très trendy Icon. Plus que des fashion designers, ils sont devenus des « fashion geeks »... So chic ! D’autres aspects de la vie d’un « geek » mériteraient là aussi des sujets complets de thèses. Citons – entre autres – le look très particulier souvent adopté par le « geek », l’humour tellement particulier de celui-ci (où plus d’une blague sur deux concerne un certain Bill Gates contrairement à nos blagues classiques sur Haïfa ou sur Abou el-Abed), ou encore leur bon goût pour ce qui concerne le tuning de leurs configurations, bon goût qui fait hurler de jalousie tous les jackys qui dépensent leurs salaires à optimiser leurs voitures au lieu de savoir apprécier la beauté de dernier processeur d’AMTel capable de faire tourner le dernier noyau 7.4.3.6.2.5 alpha de la dernière distribution à la mode. En plus, la compilation du noyau est un jeu d’enfant, vraiment... – Le chiffre 42 ? Une référence culturelle obscure pour le commun des mortels, mais culte pour le « geek ». Dans le Guide du routard intergalactique, livre de Douglas Adams récemment adapté au grand écran, un superordinateur met 7,5 millions d’années à répondre « 42 » à la question : « Quelle est le secret de la vie, de l’univers et de tout le reste ? » Autres références incontournables pour pénétrer le monde « geek » : Star Wars, le Seigneur des anneaux, Donjons et Dragons, et plus largement la science-fiction et l’heroïc-fantasy. « En réalité, on ne lit pas que ça, mais ce sont les bases de cette culture. Les “geeks” sont bien plus ouverts que ce que laisse paraître leur image. Mais on s’en amuse plutôt », assure Thomas. – Les croyances Les « geeks » croient à un monde de coopération et de gratuité. La promotion des logiciels libres est un de leurs chevaux de bataille. Ils préfèrent Linux, système d’exploitation gratuit, au Windows de Bill Gates. Et si toute la philosophie « geek », derrière les barbes, les looks improbables, était avant tout un rejet passif mais ferme de la société de consommation et du show-biz ? – « Coming-out » télévisé Une série américaine de téléréalité intitulée Beauty and the « geek » met face à face huit équipes composées chacune d’une bimbo écervelée et d’un « geek ». Le but du jeu : les « geeks » doivent apprendre à devenir plus cool et moins coincés. Les bimbos, elles, doivent apprendre à utiliser leur cerveau. Aventure humaine intéressante, certes, mais impossible à décrire, vous en conviendrez.
Nous en avons forcément un ou une dans notre entourage, qu’il ou qu’elle soit fan de « Star Wars », de jeux de rôles ou de H.P. Lovecraft. Lui, passe le plus clair de son temps à « poutrer du zombie » (déjà, l’expression est incompréhensible pour le commun des mortels) dans « God of War » (non, pas l’alias du Hezb, mais plutôt un jeu vidéo où l’utilisateur...