Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Le Hezbollah consociatif

Par Mohammad ben JELLOUN* Dans le temps qui suivit la guerre de l’été 2006, le Hezbollah fit un pas historique décisif en revendiquant pour son compte le multiconfessionnalisme libanais et la démocratie consociative (ou consociationnelle) radicale, impliquant le droit de veto. Ceci a été rendu explicite dans un document (28 août 2006) intitulé Le Hezbollah et l’État libanais : réconciliant une stratégie nationale avec un rôle régional signé Ali Fayyad, membre du bureau politique et directeur d’un think tank étroitement affilié au Hezbollah. Selon Fayyad, « la règle du consensus devint la devise du Hezbollah » suite à une crise gouvernementale provoquée par un vote majoritaire et suite à ce que le parti considéra comme une tentative de la part du camp majoritaire de monopoliser le processus décisionnel. L’insistance du Hezbollah sur le fait que le système politique du Liban est démocratico-consensuel, fondé sur la règle du « consociationnisme », comme stipulé par le préambule de la Constitution libanaise, ne doit pas être considérée simplement comme une réaction politique à un moment particulier de profondes divisions, ajoute-t-il, avant de préciser qu’elle reflète une transformation profonde dans l’appréhension du Hezbollah des exigences du système politique libanais ainsi que l’importance qu’il donne à la stabilité interne pour tout projet national devant réussir dans ses dimensions panarabe et islamique. L’adhésion du Hezbollah au principe consensuel, conclut-il, considère que la règle majoritaire crée un rapport instable des forces et qu’elle est inadéquate à long terme pour protéger les intérêts de tous. Le mouvement cherche donc à investir sa force et ses capacités dans le sens de promouvoir l’équilibre plutôt que d’asseoir sa domination dans la structure libanaise. Le document plaide ainsi clairement contre toutes sortes d’inquiétudes, de craintes, de soupçons et d’avertissements concernant le Hezbollah. Naturellement, les allusions, allégations, et accusations de chantage étaient fondées sur les chiffres de la démographie libanaise favorables à la communauté chiite (plus de 40 % de la population), comparés aux chiffres défavorables de sa représentation politique (21 % des sièges parlementaires seulement), dû à l’équilibre « artificiel » (50/50) maintenu entre chrétiens et musulmans. Elles étaient fondées également sur le traditionnel discours de « déconfessionnalisation » tenu par le même Hezbollah. En effet, dans la mesure où le parti tenait un discours de politique intérieure (ce qui n’est pas toujours évident), il ne souhaitait probablement pas moins qu’une déconfessionnalisation totale du système politique, y compris les plus hautes fonctions pour reprendre l’expression (printemps 2005) de l’un de ses guides spirituels au Liban, le grand ayatollah Mohammad Hussein Fadlallah. Que faut-il comprendre par déconfessionnalisation au Liban aujourd’hui, selon le Hezbollah ? Eh bien, l’impression est qu’il n’est plus permis de confondre le multiconfessionnalisme constitutionnel ou la démocratie consociative avec le confessionnalisme politique et les politiques de puissance des communautés et sectes religieuses. S’il faut le deviner, la déconfessionnalisation veut dire désormais l’élimination d’un confessionnalisme inconstitutionnel non déclaré. Comment le Hezbollah en est-il arrivé là ? Un point de repère est représenté par les élections de 1992 lorsque, liquidant son passé puritain et militariste par souci de participation politique, il entrait dans le jeu politique à proprement parler. Le pas suivant, il le fit en entrant au gouvernement au lendemain des élections de 2005. Le processus continua avec les appels au dialogue du secrétaire général, sayyed Hassan Nasrallah, et son insistance sur la nécessité d’un « gouvernement d’unité nationale ». En fait, jusqu’à très récemment, les propos favorables au système une-personne-un-vote étaient chose courante. Par exemple, lorsque Ghaleb Abou Zeinab, membre du bureau politique en charge des relations du Hezbollah avec les communautés non chiites du Liban, déclarait (automne 2004) que le parti avait abandonné toute intention d’imposer le système aux chrétiens du Liban, il le faisait tout en doutant du caractère définitif de la consigne. Un autre point de repère, enfin, est le mémorandum d’entente entre le Courant patriotique libre du général Aoun et le Hezbollah (2 février 2006), lequel anticipait la position favorable aujourd’hui au confessionnalisme, en faisant bien comprendre que « la démocratie consensuelle demeure le fondement de base pour le gouvernement au Liban, parce qu’elle est la concrétisation effective de l’esprit de la Constitution et de l’essence du pacte de coexistence commune ». Il ne suffira plus désormais d’opposer les deux axes, syro-iranien et israélo-américain, dans quelque rapport de simple symétrie. À présent, il s’agit de prendre au sérieux la menace israélo-américaine, de même qu’il s’agit d’envisager la solidarité anticolonialiste par rapport à toute occupation étrangère dans la région. S’il en est ainsi en ce qui concerne le Hezbollah et si tel va être le cas pour la coalition du 14 Mars, cela va sans doute faire revivre le rayonnant esprit de la Constitution libanaise – l’esprit consociativo-patriotique de l’entente Solh-Khoury de 1943 – et ne manquera pas de propager le modèle de démocratie que le rival israélien a si grande envie de détruire. Dans les années 80, le Hezbollah était transnational (moyen-oriental) et intégriste (suivant étroitement les positions idéologiques iraniennes). Depuis, le parti a décidé d’être présent dans l’arène nationale libanaise. Pour commencer, l’aspect islamique se vit marginalisé dans le discours du parti. Aussi bien son leader spirituel de l’époque, Mohammad Hussein Fadlallah, que son secrétaire général, Hassan Nasrallah, firent preuve de pragmatisme et de conciliation en politique intérieure, déclarant « impossible » toute instauration d’un État islamique, étant donné le multiconfessionnalisme et le pluralisme politique libanais. En fait, aux yeux de l’opinion publique au Liban et dans l’ensemble de la région, le parti en venait de plus en plus à incarner et le type de compétition intercommunautaire louable et l’héroïsme patriotique exemplaire. En particulier, l’aile militaire de l’organisation acquérait un statut exceptionnel, surtout depuis sa consécration par le gouvernement de Fouad Siniora (16 janvier 2006) comme mouvement de résistance nationale, à ne pas confondre avec les milices ayant pris part à la guerre civile et devant être désarmées, selon les accords de Taëf. Selon le même Fayyad, mentionné plus haut, le discours politique du Hezbollah représente un effort constant pour réconcilier « le concept d’une oumma (une nation islamique) aux préoccupations, intérêts et destin communs d’un côté et, de l’autre côté, son ordre du jour en tant que mouvement de libération nationale libanais et composante-clé du système de pouvoir politique au Liban ». Selon Fayyad, il n’existe plus de contradiction entre les rôles intérieur ou national et extérieur ou régional du Hezbollah, ou entre sa fonction libanaise en tant que résistance et sa fonction régionale de solidarité (avec le Hamas par exemple). Exprimée dans un langage philosophico-politique occidental, la résistance telle qu’incarnée par le Hezbollah est une forme avancée de participation patriotique et de citoyenneté républicaine (au sens du républicanisme classique et de l’humanisme civique de la renaissance). Pour être plus précis, le Hezbollah est en train de subordonner ses préoccupations d’ordre culturel relatives à l’oumma à celles d’ordre territorial relatives à la patrie ; c’est-à-dire qu’il est en train de subordonner une vision communautaro-républicaine dans la tradition philosophico-politique, mettons de Charles Taylor, à une vision agnostico-républicaine dans la tradition d’une Hannah Arendt. Ainsi, si le Hezbollah comprend la vocation du Liban comme étant ni entièrement chiite ni même entièrement islamique, c’est donc au tour de la coalition du 14 Mars de comprendre que cette vocation ne peut être non plus entièrement libérale ou entièrement laïque. Le fait est qu’il n’y a pas consensus intercommunautaire libanais quant à la généralisation de la laïcité ou de l’application des lois chari’a ; le seul consensus enregistré ici a trait au multiconfessionnalisme et l’autodétermination nationale libanaise. De même, si le Hezbollah comprend la vocation républicaine du Liban comme n’étant ni un communautarisme exclusif ni un patriotisme anticommunautaire, c’est au tour de la coalition du 14 Mars encore de comprendre qu’une telle vocation ne peut être non plus ni soi-disant libéralo-nationale, dans un sens philosophico-politique américain, ni soi-disant postnationale, dans le sens habermasien. En fait, le seul consensus possible est, ici, républicano-consociatif. (*) Sociologue et politologue suédois-marocain.
Par Mohammad ben JELLOUN*

Dans le temps qui suivit la guerre de l’été 2006, le Hezbollah fit un pas historique décisif en revendiquant pour son compte le multiconfessionnalisme libanais et la démocratie consociative (ou consociationnelle) radicale, impliquant le droit de veto. Ceci a été rendu explicite dans un document (28 août 2006) intitulé Le Hezbollah et l’État...