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Actualités - OPINIONS

Les lecteurs ont voix au chapitre

Je t’en supplie, arrête… Pourquoi tiens-tu tant à partager avec d’autres ce que tu vois ? As-tu pensé une seconde que les yeux de ma mère ou son cœur pourraient me reconnaître ? As-tu négligé le fait que je pourrais bien être marié et père de famille ? Tu as bien dû l’apprendre quelque part, ce métier que tu exerces. En suivant tes études, dans quel cours as-tu appris ce manque total de respect de la dignité humaine ? Une main criminelle m’a tué. Mais toi, qui filmes ce qui reste de mon corps déchiqueté, tu fais autant de mal à mes proches. Après chaque attentat, tu accours avec tes collègues et vous pensez atteindre le but de votre mission. Elle consiste à informer les gens, certes, mais au nom de quelle loi te donnes-tu le droit de me montrer ainsi diminué ? Je me demande comment les images que tu transmets sont aussi nettes, ta main ne tremble-t-elle pas en filmant ce qui reste de moi ? N’es-tu pas du tout gêné de montrer mon sang, ma chair, mes membres ? Comment peux-tu filmer avec autant de froideur ma voiture s’il en reste quelque chose, mes affaires personnelles qui ne laissent planer aucun doute sur mon identité ? Tu es autant responsable que les tueurs du chagrin de mes proches. Mon chemin a croisé celui de la malheureuse personne visée, les terroristes et toi m’avez fait payer trop cher ce fruit du hasard. J’aurais l’impression de revivre un peu le jour où tu exerceras ta profession en respectant la souffrance des autres, le jour où je n’entendrais plus ces questions honteuses qui pleuvent après chaque attentat dont la plus choquante est : « De quelle religion sont les victimes ? ». Mon Dieu, comment peut-on descendre aussi bas sur l’échelle des valeurs ? Je t’en supplie, journaliste de mon pays, écoute mon cri, que mes mots résonnent dans tes oreilles quand tu te retrouveras dans la même situation. Pense à tout ce que je t’ai dit, pense à ces enfants qui regardent ces images et qui en arrivent à banaliser la violence, qui en arrivent à confondre vie réelle, films d’horreur ou jeux vidéo. Informe les gens, mais de grâce, sache détourner l’objectif de ta caméra ou de ton appareil photo quand la morale l’exige. Léna NJEIM Au suivant « Je jure sur la tête de ma première vérole que cette voix depuis je l’entends tout le temps. Au suivant ! Au suivant ! C’est la voix des nations et c’est la voix du sang. Au suivant ! Au suivant ! » Cette chanson du grand Jacques* Brel est malheureusement d’actualité au Liban. Qui sera le suivant ? Depuis trois ans, il n’est pas un matin où, au réveil, je ne remercie Dieu de m’avoir gardé dans mon sommeil avant de filer droit vers ce maudit téléviseur afin d’entendre les dernières nouvelles. Chaque matin au réveil me revient cette même pensée morbide : y a-t-il eu un attentat cette nuit, ce matin, en ce moment même ? Un mort, des morts pendant mon sommeil ? Ces questions matinales finissent par me causer de violentes migraines. Je suis fatigué, nous sommes las de suivre, même sur le petit écran, tous ces enterrements, d’écouter toutes les déclarations des chancelleries occidentales, des régimes arabes, disant et répétant toujours la même chose : leurs effroi et leur incompréhension devant de tels actes barbares et inhumains. En attendant, c’est chez nous qu’ont lieu tout ces attentats, ce sont nos frères qu’on prend, c’est nous qui avons peur de sortir de la maison, d’envoyer les enfants à l’école, d’aller travailler, d’être bloqués dans un embouteillage qui pourrait nous être fatal. Il serait tellement plus simple de médiatiser la liste exhaustive de tous les condamnés à mort, et là nous pourrions organiser un grand rassemblement de tous ces gens qui s’aiment et se détestent, qui veulent le pouvoir et l’argent. Nous les convoquerions place des Martyrs pour un grand combat à mains nues, et celui qui en sortira vainqueur prendra la destinée du pays et du peuple. Et alors, peut-être, n’y aura-t-il plus à être le suivant de celui qu’on suivait. Anthony DARMO * Référence à Jacques Brel, « Au suivant » Y en a marre… Y en a marre de me précipiter sur mon portable, mon téléphone (l’autre ligne ne fonctionne plus, « pas de réseau ») pour appeler maman, papa, mon mari, ma sœur, ma tante, mon oncle, tous les copains qui habitent la région où l’explosion s’est produite, tous les copains qui sont susceptibles de passer par là… Ouf ! personne, merci mon Dieu ! Y en a marre, le soir, de reconnaître parmi les noms des personnes décédées une connaissance. Oui, mais cette connaissance a une famille, des enfants, elle passait par là, elle n’avait rien à voir… On la qualifie de martyr, martyr pour quoi ? Pour qui ? Y en a marre… Y en a marre de me lever le matin, préparer les enfants pour l’école, attendre le bus et réaliser au bout de dix minutes de retard qu’il n’y a pas de classe… on a décidé cela la veille à minuit. Figurez-vous qu’à minuit, je dormais, étant donné que je devais me lever à 6h pour aller bosser. Y en a marre… Je ne sais même plus pourquoi je suis toujours là, pourquoi je m’attache à ce pays, je ne sais plus… Nous sommes nombreux à nous poser les mêmes questions sans pouvoir agir. Y en a marre ! Lara CHOUCHANI ASMAR
Je t’en supplie, arrête…

Pourquoi tiens-tu tant à partager avec d’autres ce que tu vois ? As-tu pensé une seconde que les yeux de ma mère ou son cœur pourraient me reconnaître ? As-tu négligé le fait que je pourrais bien être marié et père de famille ?
Tu as bien dû l’apprendre quelque part, ce métier que tu exerces. En suivant tes études, dans quel cours...