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Actualités - OPINION

Portraits insolites… L’autocrate en lui-même Pr Antoine COURBAN

Suite aux guerres et aux catastrophes naturelles, la ville de Beyrouth aurait été détruite sept fois et reconstruite. Est-ce pour autant qu’il y a lieu de ne pas s’inquiéter de la tragédie d’une ville qui fut, jusqu’il y a deux ans et malgré toutes les violences qu’elle a subies, la perle de la Méditerranée orientale ? Séduits par cette capacité de Beyrouth à résister au pire, certains hommes – élus par le destin et tentés par une mission d’autocrate – pourraient être amenés à prendre des initiatives inédites que leur inspirerait leur conviction personnelle d’incarner le salut de tout un peuple. Leur action ferait, alors, courir un risque non négligeable au bien public car elle présuppose une supériorité du politique sur le juridique. De tels candidats à l’aurocratie ne manquent pas dans la classe politique libanaise. Il n’est pas donné à tout le monde de mener à bien une carrière d’autocrate. Peu d’hommes ont reçu le don providentiel de n’écouter que leur propre volonté. La plupart des candidats-autocrates tombent, hélas, dans les excès regrettables de la répression. Un des plus illustres exemples historiques est celui de la Terreur révolutionnaire en France entre 1793 et 1794. Qui ne connaît pas le nom de Robespierre, le rigoureux Robespierre ? C’était l’homme le plus honnête de son temps, dont la raideur morale était proverbiale. On connaît moins bien les proconsuls provinciaux de cette sanglante période qui, chacun à sa manière, ont mené une petite carrière d’autocrate local. Tel fut le cas de Joseph Le Bon, un brave homme, un homme de Dieu puisqu’il avait été ordonné prêtre. Après être devenu un curé assermenté et constitutionnel, il installa la pire terreur dans sa région de Cambrai. Il s’appliquait à suivre assidûment toutes les exécutions. Il ne cessait de haranguer les foules afin de stimuler la délation et le zèle des dénonciateurs. Il admonestait les juges d’un ton calme, égal et doux qui, dit-on, épouvantait son auditoire. Mais la palme incontestée de ces petits autocrates de province revient certainement au proconsul Carrier de Nantes. Cet obscur ancien procureur du roi commença sa carrière de justicier du peuple en septembre 1793. On le décrit comme un homme réservé, effacé, mais susceptible. Sa probité et son honnêteté seront toujours citées en exemple. Il était nerveux et irascible, un rien colérique. Il ne supportait pas, semble-t-il, la contradiction tant il était convaincu de la justesse de son jugement. On le disait poursuivi par l’idée fixe de sa propre mort. Le fantasme de sa disparition explique sans doute la fragilité de son psychisme obligé de se réfugier dans la rumination de quelques thèmes répétitifs qui résonnaient comme des coups de tonnerre dans l’immensité de son ego hypertrophié. Cette obsession permanente de la mort expliquerait également l’impression de « face plate et vide » qui frappa tous les chroniqueurs de cette époque. En dépit de sa haute taille, de son front dégarni et fuyant, sa démarche manquait cependant de cette altière grandeur qui distingue les grands hommes. Il allait gesticulant avec ses grands bras, ce qui lui conférait une démarche de pantin désarticulé. Tous les historiens s’accordent à dire qu’il avait la bouche convulsive tant ses lèvres et son visage étaient en permanence agités par des mouvements désordonnés de la mimique qui mettaient mal à l’aise ses interlocuteurs. Néanmoins, sa rigueur morale demeurait inébranlable. Il ne désirait qu’une chose : pourfendre toutes les formes possibles de corruption qui mettaient en danger la Révolution. Robespierre ne disait-il pas que celle-ci était supérieure au gouvernement ordinaire car elle s’appuie « sur la plus sainte de toutes les lois : le salut du peuple »? Mû par cette conviction, le proconsul Carrier trouvait que la guillotine était trop lente. Sa fragilité psychique ne lui faisait pas supporter la fusillade car trop bruyante. Les prisons de Nantes étaient pleines à craquer. Mais la Loire était là avec ses eaux profondes. Il décida donc de noyer les ennemis du peuple par groupes entiers. C’est ainsi qu’il tua, par noyade, dix mille personnes environ durant sa courte carrière de justicier du peuple. La Convention finit par le juger et le condamner. Comme le pense Gérald Attali, le procès de Carrier fut un tournant dans la Révolution car il permit de rétablir les préceptes élémentaires du droit et, surtout, de proclamer la supériorité du juridique sur le politique. Ce faisant, on a salutairement restitué « aux personnes privées un espace autonome que l’État ne doit pas investir ». Il est vrai que le proconsul Carrier ne cessait de répéter : « Nous ferons de la France un cimetière plutôt que de ne pas la régénérer à notre façon. » Le cas historique de Carrier préfigure le fascisme autocratique tel qu’en lui-même il se révèle. Article paru le vendredi 28 décembre 2007
Suite aux guerres et aux catastrophes naturelles, la ville de Beyrouth aurait été détruite sept fois et reconstruite. Est-ce pour autant qu’il y a lieu de ne pas s’inquiéter de la tragédie d’une ville qui fut, jusqu’il y a deux ans et malgré toutes les violences qu’elle a subies, la perle de la Méditerranée orientale ? Séduits par cette capacité de Beyrouth à résister au...