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Actualités - OPINION

L’Iran, une puissance qui inquiète le monde II- En attendant le retour des réformateurs

La politique étrangère, qui occupe une place très importante en Iran, est surtout guidée par l’idéologie, le nationalisme et la géographie. L’Iran des mollahs se veut le leader mondial de la révolution islamique et a une vision paranoïaque de l’histoire perçue comme une vaste conspiration judéo-chrétienne contre le monde musulman. Bien que son messianisme soit moins virulent, rien n’indique qu’il n’ait renoncé à exporter son modèle de société et sa révolution. Mais son idéologie n’empêche pas sa diplomatie de faire preuve à l’occasion de pragmatisme et de duplicité pour faire prévaloir ses intérêts. Ce fut le cas durant la présidence de Khatami qui opéra un rapprochement avec l’Europe et amorça une détente entre Téhéran et Ryad, alors que Khomeyni avait multiplié les anathèmes à l’encontre de la famille royale saoudienne, fer de lance de la résistance contre les Perses chiites, et appelé à son renversement (Voir L’Orient-Le Jour du mardi 18 décembre 2007). Mis à part son appartenance à un vaste monde iranophone, l’Iran, de par sa géographie, se trouve au contact de trois ensembles : l’Asie centrale, le Moyen-Orient arabe et le golfe Persique ouvert sur l’océan Indien. Cette situation en fait un pivot géostratégique qui le destine à jouer un rôle régional majeur en jouant à la fois sur le volet panchiite et le volet paniranien. Quant à son nationalisme, il est alimenté par un ethnocentrisme et un sentiment d’exception exacerbés, ainsi que par le souvenir vivace de l’interventionnisme des puissances anglo-saxonnes et des Russes dont une des manifestations les plus flagrantes fut le coup d’État de 1953 fomenté par la CIA contre le Dr Mossadegh. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’un des principaux axes de la politique étrangère de l’Iran soit une hostilité absolue aux États-Unis, qualifiés jusqu’à récemment de « grand Satan » ainsi qu’à Israël que Mahmoud Ahmadinejad n’hésite pas à menacer régulièrement de destruction. D’où l’appui apporté aux mouvements de résistance anti-israéliens : le Hamas palestinien et surtout le Hezbollah, bras armé de l’Iran et fer de lance du chiisme au Liban, qui bénéficie d’un soutien financier et militaire massif. D’où aussi son alliance avec la Syrie, seul pays arabe opposé à l’alliance américano- israélienne. À travers la constitution de ce front de refus face à l’impérialisme et au sionisme honnis, et l’instrumentalisation de la cause palestinienne, il y a indéniablement de la part de l’Iran une volonté d’acquérir une influence prépondérante au Moyen-Orient. Cette ambition a paradoxalement été confortée par l’intervention américaine en Irak, qui a renforcé les chiites majoritaires dans ce pays, et dont l’échec a créé un vide de puissance où s’est engouffré l’Iran. Une des conséquences de l’enlisement américain en Irak est le regain d’influence de l’axe irano-syrien au Liban et l’intransigeance croissante de leurs alliés politiques locaux, en particulier le Hezbollah. Auréolé de son autoproclamée « victoire divine » face à Israël, obtenue grâce à un arsenal impressionnant fourni par l’Iran, celui-ci constitue un véritable État dans l’État et une menace pour le fragile équilibre communautaire du pays du Cèdre, éternel otage des luttes d’influence régionales. Le soutien de la République islamique aux chiites irakiens et au Hezbollah libanais fait qu’on a beaucoup parlé de la constitution d’un croissant chiite allant de l’Iran au Liban-Sud en passant par l’Irak et la Syrie, gouvernée par le régime alaouite (secte issue du chiisme). Éventualité qui inquiète au plus haut point les pays arabes « modérés » sunnites alliés des États-Unis, en particulier les monarchies du Golfe où vivent des minorités chiites. Traumatisés par le bain de sang en Irak, ils craignent par-dessus tout que le clivage grandissant entre sunnites et chiites ne fasse tache d’huile, achevant de déstabiliser la région. Aussi cachent-ils de moins en moins leur méfiance envers la théocratie iranienne et son prosélytisme. Cette méfiance n’est pas seulement due au fait que ces pays sont très majoritairement sunnites alors que l’Iran est chiite, mais à l’antagonisme traditionnel entre Perses et Arabes. D’ailleurs, durant la longue guerre entre l’Iran et l’Irak appuyé par l’Occident et les pays arabes, leur sentiment national fit que les chiites arabes irakiens combattirent avec acharnement leurs coreligionnaires iraniens malgré la discrimination dont ils étaient l’objet de la part du régime de Saddam Hussein. Cependant, les tensions entre l’Iran et ses voisins arabes tendent à s’atténuer et Téhéran s’efforce d’apaiser leurs craintes, notamment à l’égard de son programme nucléaire. C’est ainsi que lors du 28e sommet du Conseil de coopération du Golfe, en novembre 2007, auquel il a été invité pour la première fois, le président iranien a proposé un pacte de sécurité aux monarchies pétrolières. Le dossier nucléaire Les positions intransigeantes de M. Ahmadinejad sur le dossier du programme nucléaire iranien sont un élément majeur de la politique étrangère de son pays, particulièrement concernant sa relation avec les États-Unis et l’Occident qui le soupçonnent de chercher à fabriquer l’arme atomique. Entretenant le doute sur ses intentions, l’Iran juge inacceptable de se voir empêché d’enrichir de l’uranium à des fins civiles alors que le traité de non-prolifération nucléaire ne l’interdit pas. Entravant les inspections l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) visant à faire la lumière sur ce programme et jouant habilement des hésitations et des divisions de la communauté internationale pour gagner du temps, il bénéficie sur ce dossier du soutien de la Russie et de la Chine. En avril 2007, il a annoncé que l’Iran enrichissait l’uranium à une échelle industrielle malgré les résolutions, assorties de sanctions, de l’ONU. Si l’on considère de plus les autres accusations proférées par l’Administration américaine contre l’Iran, en particulier son rôle déstabilisateur en Irak et au Liban, les deux pays semblaient se diriger vers une confrontation. D’ailleurs, le président Bush n’a-t-il pas déclaré que si l’Iran se dotait de l’arme atomique cela pourrait déclencher une troisième guerre mondiale ? De leur côté, les Européens, en particulier la France, avaient durci le ton contre l’Iran, évoquant le risque de guerre et plaidant pour un renforcement des sanctions et l’instauration de mesures de rétorsion unilatérales. Cependant, malgré cette rhétorique intransigeante de part et d’autre, aucun scénario n’est à écarter dans le bras de fer entre l’Iran et l’Occident. Il se peut qu’un renforcement des sanctions, assorti d’offres de dialogue, finisse par déboucher sur des concessions réciproques et l’acceptation par la communauté internationale que l’Iran se dote d’une capacité nucléaire civile sous étroit contrôle. Comme il se peut que les États-Unis, qui encerclent complètement l’Iran, prennent l’initiative d’une frappe militaire ciblée contre ses infrastructures nucléaires et militaires, ce dont ils ont largement la capacité. Mais la publication récente d’un rapport des services de renseignements américains annonçant que l’Iran avait suspendu dès 2003 son programme nucléaire militaire pourrait éloigner cette éventualité. De plus, la convocation de la conférence d’Annapolis en novembre 2007 semble indiquer l’amorce d’un changement de la politique des USA vis-à-vis de la région. Alors que les néoconservateurs comptaient sur la force militaire pour modeler un « nouveau Moyen-Orient » et que l’Administration Bush avait jusqu’ici négligé le problème palestinien, elle considère maintenant son règlement comme une condition nécessaire pour instaurer la paix et semble désormais vouloir privilégier la diplomatie sur l’option militaire. Certes un des objectifs de la conférence était de détacher la Syrie de son allié iranien en faisant preuve de plus de souplesse vis-à-vis des positions syriennes sur les dossiers du Golan et du Liban ; souplesse qui devrait débloquer l’impasse politique au Liban par l’élection d’un président de la République libanaise agréé par la Syrie. Mais surtout il semblerait que Washington ait entamé un dialogue avec Téhéran, Ryad servant de médiateur entre les deux pays, ce qui représenterait un revirement radical de la part des États-Unis. En donnant la priorité à des considérations idéologiques au détriment du développement économique et social et en imposant au pays le joug d’un rigorisme islamique rétrograde les mollahs iraniens ne peuvent qu’être confrontés à un mécontentement croissant de la part d’une frange de plus en plus importante de la population. Et en persistant à manifester une telle volonté de puissance, ils ne peuvent que représenter une source d’inquiétude pour leurs voisins et le reste du monde. Mais malgré les difficultés intérieures de l’Iran et les pressions extérieures dont il est l’objet, un changement de régime est improbable dans un avenir prévisible. Le mieux que l’on puisse espérer serait un retour au pouvoir des réformateurs, supposés être plus respectueux des droits de l’homme et plus pragmatiques en politique étrangère. Aussi, tout en maniant la carotte et le bâton, l’objectif stratégique de Washington et l’intérêt bien compris de l’Occident devrait-il être d’obtenir un changement de comportement du régime qui garantirait la stabilité de la région bien mieux qu’une frappe militaire qui servirait avant tout l’intérêt d’Israël. Il semble que les États-Unis soient arrivés à cette conclusion, prenant de court leurs alliés européens, qui n’ont d’autre choix que leur emboîter le pas. Mahmoud Ahmadinejad quant à lui ne s’y est pas trompé, criant déjà victoire et proclamant le dossier nucléaire « clos ». Ibrahim TABET Historien
La politique étrangère, qui occupe une place très importante en Iran, est surtout guidée par l’idéologie, le nationalisme et la géographie. L’Iran des mollahs se veut le leader mondial de la révolution islamique et a une vision paranoïaque de l’histoire perçue comme une vaste conspiration judéo-chrétienne contre le monde musulman. Bien que son messianisme soit...