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Actualités - OPINION

L’épître aux patriotes

Mon général, Vous avez assorti votre consentement à l’amendement de la Constitution d’un certain nombre de conditions. Quoique vos demandes soient, à mon sens, légitimes, je doute fort qu’elles soient acceptées par l’actuelle majorité, laquelle aurait tout à perdre à reconnaître votre poids politique réel et à organiser les élections anticipées que vous exigez. Pire encore, les ténors de la majorité se félicitent aujourd’hui de vous voir refuser un amendement sans conditions de la Constitution et leurs caisses de résonance en font leurs choux gras. Or, en l’absence d’un amendement constitutionnel qui permettrait l’élection du commandant en chef de l’armée à la présidence de la République, notre destin semble scellé : soit la majorité parlementaire tentera le coup de force en élisant à la majorité simple l’un des siens qui ne représenterait pas les chrétiens ; soit les Américains, les Syriens, les Saoudiens et les Iraniens se rapprochant momentanément, leurs affidés libanais enterreront la hache de guerre, s’entendront ensemble pour vous lâcher et éliront comme président quelqu’un qui deviendra vite un pantin entre leurs mains. Dans les deux cas de figure, l’avenir s’annonce des plus sombres pour le Liban. C’est dans l’espoir d’éviter cela, mon général, que je vous écris à présent, vous priant humblement de lever de votre propre chef et unilatéralement les conditions que vous avez pu poser pour accepter que la Constitution soit amendée en vue de l’accession à la présidence du commandant en chef de l’armée. Alors même que j’écris ces mots, j’entends certains, autour de vous, murmurer que ce n’est pas à vous, qui avez déjà assez consenti, de faire de nouvelles concessions et que ce serait plutôt à l’autre camp, dont les exigences sont irraisonnées, de mettre un terme à leurs ambitions démesurées. À tous ceux-là je dirai qu’ils ont raison, mais que j’ai des raisons encore plus que valables de vous demander à vous et à personne d’autre que vous de faire des concessions. La première raison est que, vous mis à part, tous les hommes politiques libanais qui pourraient éventuellement débloquer la situation en faisant des concessions ne sont maîtres ni de leurs actes ni de leur destinée. Tous doivent composer avec l’étranger : qui avec Washington, qui avec Damas, qui avec Ryad, qui avec Téhéran et qui avec les quatre à la fois. De ce fait, ces gens-là ne s’appartiennent pas et toute concession qu’ils pourraient faire, loin de s’apparenter à un noble geste consenti par des Libanais envers d’autres Libanais, ne serait qu’un calcul tactique fait par des étrangers dans le cadre de la guerre qu’ils livrent à d’autres étrangers sur l’échiquier libanais. Vous seul, mon général, ne subordonnez pas les intérêts du Liban à des considérations supranationales allant d’Annapolis à la crise du nucléaire iranien, en passant par le Golan, la guerre en Irak et celle que les frères ennemis musulmans se livrent à présent. À ce titre, vous seul êtes susceptible d’offrir des concessions librement, loin de toute pression et en prenant uniquement en compte l’intérêt de la patrie, le bien-être de vos concitoyens et l’avenir de nos enfants. La deuxième raison que j’ai de vous demander à vous et à nul autre que vous, de faire des concessions pour débloquer la situation, est qu’hormis vous, tous les hommes politiques libanais à qui je pourrais le demander se battent contre les fantômes de leur passé : tel a un compte à régler, tel une revanche à savourer, tel une dette à rembourser, tel un démon à exorciser, tel un empire financier qu’il a hérité et qu’il lui faut à tout prix préserver et tel une dynastie menacée à sauvegarder. Contrairement à eux, mon général, vous n’êtes pas l’otage de telles considérations personnelles et psychologiques. Partant, votre décision, quand vous la prendrez, le sera en toute objectivité et sérénité et sans aucune arrière-pensée. La troisième et dernière raison que j’ai revêt encore plus d’importance à mes yeux et vous rend d’autant plus cher à mon cœur. Pour avoir longtemps été exilé, dénigré, moqué même, vous êtes bien le seul, parmi les politiciens libanais, à avoir fait vôtre cette vertu spartiate élevée qui consiste à savoir, en toute circonstance, supporter l’injustice. Or cet idéal si difficile à atteindre a, de tout temps, différencié les vrais hommes des simples enfants. À qui d’autre que vous pourrais-je donc demander de supporter aujourd’hui encore plus d’injustice dans l’intérêt de la patrie ? Préféreriez-vous, mon général, que j’aille le demander à ceux qui nous gouvernent ? Voilà, mon général, ce que je répondrai à ceux de vos partisans qui me diraient que vous avez assez donné et que je devrais aller prier d’autres d’en faire autant. Je leur dirai de même que les concessions que les autres pourraient éventuellement faire, les Libanais n’en veulent pas parce qu’elles ne seraient pas sincères, parce qu’elles refléteraient des stratagèmes conçus par l’étranger et parce qu’elles seraient un cadeau empoisonné. J’ajouterai que les seules concessions pouvant désormais déboucher sur une solution réellement nationale seraient celles que vous-même consentiriez, de votre plein gré et en votre âme et conscience, et que ce serait, venant précisément de vous, un véritable acte souverain. Quant à ceux de vos amis qui m’objecteraient qu’accepter un amendement sans condition de la Constitution serait une erreur politique grave de votre part, je leur répondrai en disant que, dès lors qu’on sait distinguer entre le bien et le mal et qu’on agit en toute conscience, on ne saurait commettre d’erreur. Et si les apparences peuvent parfois nous donner tort, l’histoire, elle, nous donnera toujours raison. Je leur dirai tout cela, mon général, comme vous le leur diriez vous-même. Car, comme moi et bien plus que moi, vous pressentez qu’il ne peut en être autrement : que le salut de la patrie passe par là. Encore une fois, mon général, nous nous en remettons à vous. Percy KEMP
Mon général,
Vous avez assorti votre consentement à l’amendement de la Constitution d’un certain nombre de conditions.
Quoique vos demandes soient, à mon sens, légitimes, je doute fort qu’elles soient acceptées par l’actuelle majorité, laquelle aurait tout à perdre à reconnaître votre poids politique réel et à organiser les élections anticipées que vous exigez. Pire...